Critique

Baya, trajectoire d’une iconoclaste

22 février 2023
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“Conte 1 :  La dame dans sa belle maison”, de Baya, 1947. 
Gouache sur papier, 24x31 cm. 
Aix-en-Provence, Archives nationales d’outre-mer (France).
“Conte 1 : La dame dans sa belle maison”, de Baya, 1947. Gouache sur papier, 24x31 cm. Aix-en-Provence, Archives nationales d’outre-mer (France). ©Archives nationales d'outre-mer, Aix-en-Provence

Jusqu’au 26 mars, l’exposition Baya. Femmes en leur jardin nous plonge dans l’univers hypnotisant de Baya, l’une des plus grandes artistes XXe siècle.

Portrait de Baya à l’exposition d’artistes algériens, Fête de l’Humanité, La Courneuve, septembre 1998. ©Abderrahmane Ould Mohand

À l’heure des célébrations des 60 ans de l’indépendance de l’Algérie, l’institut du Monde arabe (IMA) a ouvert l’année dernière le cycle d’expositions et événements 2022. Regards sur l’Algérie à l’IMA. Le musée veut ainsi mettre en avant les liens fertiles qui existaient entre les artistes et intellectuel·les algérien·nes, malgré la guerre.

Événement phare de cette programmation, Baya. Femmes en leur jardin est une rétrospective consacrée à l’artiste mythique Fatma Haddad (1931-1998), considérée comme une avant-gardiste de l’art algérien. Programmée à la suite de l’exposition Algérie mon amour. Artistes de la fraternité algérienne 1953- 2021, qui a mis en lumière la remarquable collection du musée de l’IMA en art moderne et contemporain algérien – un patrimoine encore trop méconnu –, cette exposition présente sous un jour nouveau l’une des artistes phare du XXe siècle, celle qui inspira par son talent Picasso, Braques, Breton et bien d’autres.

Femme et oiseaux en bleu, de Baya, 1993. Gouache sur papier, 75×100 cm. Musée de l’IMA.©Alberto Ricci

L’exposition s’appuie sur les dotations uniques des Archives nationales d’outre-mer d’Aix-en-Provence, regorgeant de documents inédits, des collections du Musée Cantini de Marseille et bien d’autres institutions de cette ville. Baya. Femmes en leur jardin est l’une des plus grandes rétrospectives en France consacrées à cette artiste pionnière depuis 1982 – quand, sous l’impulsion de l’alors ministre de la Culture Jack Lang une exposition lui était dédiée à Marseille. « Ma rencontre avec la personne et l’œuvre de Baya reste un souvenir inoubliable », écrit celui qui aujourd’hui est président de l’IMA.

Ce parcours inédit apporte, dans une perspective d’études postcoloniales, un éclairage sur le « cas Baya », étayé par l’exploration de ses archives, qui nous plongent dans la fabrique du génie de cette artiste révolutionnaire, incarnation même d’une Algérie prise entre deux époques.

Baya et l’Algérie colonisée : récit d’une émancipation

L’histoire de Baya est avant tout celle de l’émancipation d’une femme algérienne pendant la période coloniale. Figure de proue de l’art algérien et de la lutte pour l’émancipation, Baya épouse la cause de son peuple tout en créant un art métaphorique, symbolique, où les codes classiques du militantisme s’effacent au profit d’un onirisme engagé. Baya avance en résistant face aux déterminismes coloniaux et ancestraux. Mais elle interrompt sa carrière après son mariage en 1953.

Arrivé le temps de la guerre d’Indépendance, elle émigre à Paris, l’Algérie étant devenue dangereuse pour les artistes. Dix années plus tard, après que soit acquise l’Indépendance de son pays, elle trouve la force de se remettre à peindre et à sculpter, tout en assumant son rôle de femme et de mère au sein d’une famille traditionnelle, à Blida.

Bête grise, de Baya, 1947. Terre cuite, 40x36x22 cm. Collection particulière.

À la différence d’autres femmes artistes, Baya ne connût jamais l’invisibilisation et, dès 1947, son travail fût exposé à Paris grâce au galeriste Aimé Maeght, qui avait découvert fortuitement son talent au cours d’un voyage à Alger. Dans les années 1960, elle est déjà une artiste importante et côtoie l’effervescente scène parisienne. Elle est exposée dans la capitale à maintes reprises.

En 1967, elle rejoint le groupe Aouchem, fondé par Choukri Mesli et Denis Martinez, qui entendait relier l’art contemporain aux sources de l’art africain et au répertoire formel transmis par les arts populaires du Maghreb. Durant toute sa carrière, Baya n’eût de cesse de s’entourer, de chercher le soutien d’une communauté culturelle, sans jamais renoncer à son style unique, bien souvent catalogué un peu trop vite d’art naïf. Loin d’être une sorte de miracle, le parcours de cette femme fût l’expression de sa détermination sans bornes et l’incarnation du courage des artistes algérien·nes de cette période.

Près de 30 ans après sa disparition, son art bénéficie d’une attention renouvelée de la part de jeunes critiques d’art et nourrit la pensée décoloniale, ainsi que les formes d’art contemporain qui y sont liées. Une preuve de plus que reléguer Baya à un courant déterminé et cloisonné du XXe siècle est terriblement réducteur. En effet, son œuvre relève de l’invention pure et s’émancipe de toute référence à d’autres mouvances occidentales. Elle a lancé un mouvement tout en restant iconoclaste. Si Baya n’a pas été scolarisée, elle a eu accès à d’autres savoirs, à un capital symbolique et culturel dont elle ne s’est jamais départie et qu’elle a mis à profit dans sa création en l’utilisant librement. C’est en cela, peut-être, que réside la puissance de cette artiste et l’unicité de son univers.

Baya dans son atelier à Blida, en 1998. ©Famille de l'artiste

Dissiper les stéréotypes

Le co-commissaire Claude Lemand tient à préciser que l’un des buts de cette nouvelle exposition est aussi de dissiper des stéréotypes qui ont été collés à Baya et à art. Par exemple, il ne faudrait pas analyser toute l’oeuvre de cette artiste à l’aune d’un possible engagement féministe, car tout en voulant trouver sa place au sein d’un système colonial et patriarcal, Baya ne fût jamais à proprement parler une « féministe ». Dans son discours, elle ne s’est jamais définie comme révolutionnaire ou victime d’un système, chose qu’il est bon de rappeler. Baya était pleinement consciente de sa condition, de son identité et de sa valeur. Sa carrière fût bien entendu une lutte pour exister, mais elle ne fit jamais le choix de migrer à Paris, comme tous les artistes et écrivain·es algérien·es de sa génération, et avait le choix de rester dans une société à laquelle elle tentait de s’adapter.

Souvent cantonnée à des courants auxquels elle n’appartenait pas ou dépeinte comme une héroïne illettrée, Baya est encore méconnue et mal connue. Claude Lemand s’interroge : « On est en droit de se demander : pour quelle raison aucune œuvre de Baya n’est-elle entrée dans les immenses collections du Centre Pompidou, ne serait-ce qu’à l’occasion des acquisitions et des expositions dédiées aux femmes ? Pourquoi aucune des magnifiques “natures mortes vivantes” de Baya n’a-t-elle attiré l’attention de la grande commissaire de l’exposition du Louvre Les choses. Une histoire de la nature morte ? »

« Notre propos, à travers l’exposition Baya. Femmes en leur jardin et les études documentées de l’historienne Anissa Bouayed qui l’accompagnent, était aussi de tordre le cou à un certain nombre d’idées fausses et de conceptions plaquées artificiellement sur la vie et l’œuvre de Baya »,explique le commissaire, qui exhorte à ne pas broder autour de la vie réelle de cette artiste.

Baya, Femmes en leur jardin, collectif, Images Plurielles, 2022, 280 p., 38 €.©Images Plurielles

L’exposition est accompagnée de la publication d’un ouvrage précieux. À la fois catalogue savant et livre d’art, illustré d’œuvres de Baya (dessins, peintures et sculptures), de photos et documents d’archives, enrichi d’un choix de textes et de nouveaux éclairages, il recueille une quarantaine de ses « premiers dessins » de 1944-1945, toutes les gouaches de ses Contes de 1947, un choix de documents historiques jamais publiés, une vaste sélection de ses peintures et de ses sculptures de 1945 à 1998, éclairées par les analyses historiques et esthétiques les plus récentes.

La Dame aux roses, de Baya, 1967. Gouache et graphite sur papier, 101×152 cm. Paris, musée de l’institut du Monde arabe, AC 87-70.©Musée de l'IMA/Philippe Maillard

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