Les licences ludiques devenues cultes pour toute une génération font leur grand retour dans les rayons pour séduire les petits, mais surtout les grands, nostalgiques d’un âge d’or rêvé.
Hero Quest, Donjons et Dragons, Musclor et Goldorak… Un voyageur temporel venu des années 1980-1990 ne serait pas dépaysé en atterrissant de nos jours dans un rayon jeux et jouets. Il faut dire que les éditeurs font des pieds et des mains pour ramener, parfois d’entre les morts, des licences ayant connu le succès il y a plus de 30 ans. Même le jeu fictif Jumanji, popularisé par le film de 1995 avec Robin Williams, a eu droit à une adaptation en carton et en plastique. Loin d’être un hasard, cette fièvre ludique liée aux dernières décennies du XXe siècle est observée de près par les entreprises qui ont repéré le filon.
Des enfants devenus grands consommateurs
« La réédition de packs anciens existe depuis longtemps, notamment pour l’univers Star Wars, et elle vient d’une vraie demande de la part des consommateurs », constate Pierre-François Periquet, responsable de la communication chez Hasbro France. « Pour les jeux de plateau, c’est un phénomène plus récent, mais là encore c’est une demande des clients, à condition que le traitement du nouveau produit soit identique à celui d’origine ou plus qualitatif. » C’est typiquement le sort qu’a connu le mythique Hero Quest, disparu des magasins après l’an 2000 et désormais de retour grâce à la mobilisation des fans états-uniens qui ont répondu présents lors du financement participatif lancé par Hasbro en 2020.
« Le crowdfunding a été bouclé en moins de 15 jours, avec tous les paliers atteints très rapidement et 3 millions d’euros récoltés pour un objectif d’un million, se souvient Pierre-François Periquet. Il y avait clairement un engouement pour ce produit qui a marqué une génération, donc on s’est dit que c’était dommage d’en limiter l’accès aux États-Unis. » Résultat : des petits chanceux retrouveront ce jeu culte au pied du sapin en 2022. Enfin, des « petits » plus si « petits » que ça, puisque la clientèle principale de ces produits jouant à fond la carte de la nostalgie reste les enfants… mais ceux des années 1980, qui ont bien grandi depuis.
À force d’arpenter les salons, Pierre-François Periquet a pu dresser le profil sociologique de ces consommateurs : « Des quadragénaires ou des trentenaires qui arrivent sur le marché du travail, qui se sont séparés de leur chambre d’enfant ou qui étaient frustrés de ne pas avoir certains jouets, petits. » Parmi eux, il distingue deux types d’individus : « Ceux qui ont joué enfants à ces jeux, qui en gardent des souvenirs partagés avec la famille ou les amis et pour lesquels ces produits sont des madeleines de Proust. Ceux-là représentent un beau volume de nos ventes. »
Et puis il y a « les fans hardcore, qui ont une connaissance très pointue des produits qu’ils collectionnent ». Romain Cheval fait partie de cette seconde catégorie, qui compte sur le marché ludique. « Même si on représente quelque chose comme 2-3 % des ventes en volume, on peut représenter jusqu’à 8 à 10 % du chiffre d’affaires. Donc, forcément, les industriels nous proposent des produits un peu plus premium, un peu plus chers que ceux de notre époque et ce phénomène va bien au-delà d’une simple nostalgie. »
Barbus à lunettes et parents nostalgiques
En effet, en lançant Arkéo Toys, sa chaîne YouTube consacrée aux vieux jeux et jouets, il a été surpris de regrouper 74 000 abonné·e·s aux profils variés, rassemblé·e·s autour de cette passion ludique. « C’est vraiment un mouvement global, assure-t-il, presque étonné lui-même de ce succès. Je ne m’attendais pas, sur une chaîne qui ne parle que de jouets, à avoir parmi mes abonné·e·s des femmes, des enfants d’aujourd’hui et pas seulement des barbus à lunettes comme moi. »
Il faut dire que la question dépasse les genres et les générations. « Ce sont des objets miroirs, qui nous ressemblent, ou qui ont fait partie de notre vie. Ça peut être une petite maquette d’avion sur le bureau d’un grand patron ou des Funko Pop sur celui d’un ado. Ce sont des objets qu’on cherche à retrouver, partager, parce que ce sont des morceaux de nous, tout simplement. » Un avis partagé par Lionel Siero, mordu de Transformers, Saint Seya et autres licences des années 1980.
Depuis l’Équateur, où vit ce fan des Mystérieuses Cités d’or, il participe à la vie de communautés de collectionneuses et collectionneurs basés en Europe et aux Amériques. D’où qu’ils soient, ces hommes et ces femmes se mettent à acheter ces produits, car « ils ont tous et toutes un souvenir important attaché à tel jeu ou tel jouet. Par exemple, j’ai un ami péruvien qui collectionne les Transformers, parce que son père, qui voyageait beaucoup dans les années 1980, lui en a ramené un de l’étranger alors que ça n’existait pas au Pérou. » Et puis, bien sûr, pour tous ces quadragénaires et trentenaires, outre la nostalgie, « l’autre élément déclencheur d’achat, c’est d’avoir des enfants ».
Romain Cheval en rigole : « On a souvent besoin d’une excuse quand on est adulte pour aller s’acheter un petit souvenir d’enfance ou un gros château fort. Mais beaucoup de parents ont pu se faire plaisir en montant des Lego ou en jouant avec des Playmobil parce qu’ils ont eu des enfants. Les entreprises ont bien saisi ce phénomène et, quand Lego propose, par exemple, un vaisseau Star Trek, ils ne s’adressent clairement pas aux jeunes générations… »
Lionel Siero, lui, n’a pas craqué pour l’entreprise en petites briques, mais pour le fameux Hero Quest, retrouvé il y a quelques années après de longues recherches sur Ebay. « Ce jeu me manquait et je voulais surtout le faire découvrir à mes enfants », explique-t-il. Pour Philippe, son fils aîné, ça a été une révélation : « Je ne savais pas ce qu’était Hero Quest, mais quand on y a joué pour la première fois, c’était super ! C’était le même plaisir qu’avec un jeu vidéo, mais en vrai. On en a refait plusieurs parties en famille, puis j’ai invité des amis et on est restés trois ou quatre heures à y jouer. À la fin, ils m’ont tous dit : c’est génial ! Pourquoi on n’a pas ça aujourd’hui ? » Mais c’est parce qu’il fallait naître dans les années 1980, les enfants !
Les années 1980, un âge d’or en toc ?
À en croire Lionel Siero, cette période était bénie des dieux et des fabricants de jeux. « Je pense qu’entre 1975 et 1995, on a vécu un âge d’or des jeux et jouets, parce que c’était aussi une époque où il n’y avait pas encore trop de jeux vidéo dans les salons. » En ce temps-là, une après-midi entre amis ne se passait pas devant la dernière PlayStation, mais autour d’une table, avec des figurines, des pions et des dés. Cela peut donc expliquer l’attachement des adultes issus de ces générations pour les jeux de leur enfance.
Mais il y a également une autre raison, beaucoup moins sentimentale : « Sans trop le savoir, nous avons été en quelque sorte les cobayes des différentes marques de jouet. » C’est ainsi que Romain Cheval voit les choses. Après avoir mené son enquête, il s’est aperçu que les années 1980 avaient bien quelque chose de très spécial, mais du point de vue légal : « Toutes les publicités de jouets liés à des dessins animés ou des émissions pour enfants avaient été interdites par Jimmy Carter aux États-Unis, en 1974. Mais, à l’arrivée de Reagan, au début des années 1980, on a eu un changement total de paradigme. Il est revenu dessus, et c’est comme ça qu’on a pu avoir autant de dessins animés liés à des marques et financés par des créateurs de jouets. »
D’abord Charlotte aux fraises, ensuite Musclor, puis la machine s’est emballée pour proposer aux enfants toujours plus de contenus audiovisuels narrant les aventures de leurs figurines favorites ou se déroulant dans l’univers de leurs jeux préférés. À grands coups de séries et de produits dérivés, « les entreprises ont été assez loin dans leur logique de placement de produits, mais, finalement, à la fin des années 1990, la peur des jeux vidéo a poussé l’administration Clinton à remettre quelques barrières de manière à ce que le monde ludique soit un peu plus éthique. » Fin de la récré.
Il n’empêche, ces expérimentations industrielles ont laissé leurs traces. Aujourd’hui, si vous croisez dans les rayons enfants un adulte avec une boîte de Labyrinthe sous le bras, une Tortue Ninja dans la main et un masque Power Rangers sur la tête, vous ne l’entendrez pas se plaindre d’avoir servi de cobaye. Il vous parlera plutôt de l’âge d’or mythique des années 1980.
Mais en réalité, en revenant quelques décennies plus tard dans le même rayon, vous aurez de fortes chances de croiser sa fille les bras chargés de produits Bakugan, Gormiti ou Pat Patrouille, vous vantant la période bénie des années 2000-2010.
Pierre-François Periquet est prêt à parier là-dessus : « Ça peut fonctionner pour toutes les licences, parce que ce qu’on partage enfant, dans sa chambre ou avec ses amis, on le garde en soi pour toute la vie. Quelle que soit la génération, je ne connais personne qui ne parle pas avec les yeux qui brillent des jouets de son enfance. »