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Goldorak, aux origines du mythe

16 octobre 2021
Par Tom Demars
En France, la série d’animation est diffusée pour la première fois le 3 juillet 1978.
En France, la série d’animation est diffusée pour la première fois le 3 juillet 1978. ©Toei Company

Le monument imaginé par Gô Nagai fait son grand retour dans une œuvre hommage. À l’occasion de la sortie de l’une des BD les plus attendues de l’année, retour sur la genèse d’un héros qui a marqué toute une génération.

Le succès de Goldorak en France relève du miracle. Non pas que l’univers imaginé par Gô Nagai ne le mérite pas : il fait partie des œuvres à l’origine de l’amour du public français pour la culture manga. Il a aussi offert au genre mecha (robot géant) ses lettres de noblesse et a établi des codes dont profiteront des années plus tard les Gundam, Power Rangers ou encore Evangelion. Si le culte voué à la licence est si imprévisible, c’est avant tout par son origine, aussi incongrue que son auteur.

Gô Nagai occupe en effet une place unique dans le milieu du manga, voire de la bande dessinée en général. Il est l’auteur du paradoxe, son œuvre étant marquée par un changement constant : les visions très graphiques qu’il dépeint, son style de dessin au dynamisme imparable, ses histoires bouleversantes… Il est l’un de ces artistes dont le travail déroute autant qu’il fascine.

Il est à l’origine de nombreuses œuvres majeures. L’École impudique, son premier manga, est une fable tordue, une comédie noire qui se moque ouvertement de la bienséance, où la figure du professeur – un métier très respecté au Japon – devient un symbole d’ignominie et de sadisme. Déjà, à l’époque, l’auteur tord les principes mêmes du genre dans lequel il évolue : le gag manga. Son œuvre majeure, Devilman, a quant à elle confirmé sa vision unique. Elle nous offre un monument apocalyptique, sensuel et anarchique, où l’humanité se révèle être plus sombre que les démons eux-mêmes. Le remake de Yuasa Masaaki, disponible sur Netflix, est d’ailleurs un chef-d’œuvre.

Dans Devilman, l’humanité se révèle être plus sombre que les démons eux-mêmes.©Gô Nagai

Un mangaka caméléon qui s’adapte à toutes les situations

Étonnant, donc, qu’il soit à l’origine d’une série d’animation célèbre auprès de toute une génération d’enfants devenus grands. Gô Nagai navigue entre les genres avec une facilité déconcertante. Il comprend les codes de cet univers et oscille sans cesse entre œuvre commerciale et artistique, entre l’acceptable et le clivant. En effet, si Devilman semble très éloigné de Goldorak, c’est bien l’épopée démoniaque qui a permis à la série de voir le jour. Cette œuvre a fait l’objet d’une démarche particulière pour l’époque : elle a été développée sur plusieurs médias. Devilman a été déclinée à la fois comme un manga et une série d’animation au récit plus grand public produite par la Toei. La stratégie s’est révélée gagnante, ce qui a poussé le mangaka à réitérer l’expérience avec Mazinger Z. Il a eu l’idée d’offrir un second souffle aux récits de robots qui ont marqué son enfance, tels que Astro Boy.

En 1972, le projet est rapidement mis sur pied et Mazinger Z voit officiellement le jour. On y suit les aventures de Kôji Kabuto (qu’on retrouvera donc dans Goldorak et dont le nom dans le traduction française devient Alcor) qui fait face au Dr Hell à l’aide de son robot géant. Si la série se veut plus manichéenne que les précédents ouvrages du mangaka, elle devient rapidement le prototype même du genre mecha. C’est, de fait, le premier récit à mettre en scène un robot géant qui est piloté de l’intérieur par un humain. Une révolution qui est encore aujourd’hui la norme, du Pacific Rim de Guillermo Del Toro à Code Geass. Une nouvelle fois, le pari est gagné. Le succès est phénoménal, tant pour la version télévisuelle que papier.

La naissance d’un univers au succès international

Ce succès va aussi avoir des répercussions insoupçonnées. Alors que des discussions ont lieu avec un sponsor, Gô Nagai va démarcher la revue TV Magazine pour y publier des récits courts dérivés de Mazinger Z. L’éditeur originel, le Weekly Shōnen Jump, apprend la nouvelle et met un terme à sa collaboration avec Nagai. La série réapparaît donc sur TV Magazine, mais sans pouvoir prolonger le récit développé dans le Jump. Gô Nagai voit son œuvre lui échapper et finit par la délaisser.

Les chemins de l’auteur et de la licence se recroisent pourtant en 1975, quand la Toei commande un nouveau court-métrage intitulé La Guerre des soucoupes volantes. C’est à cette occasion que Nagai est rappelé, seulement en tant que consultant. Le synopsis ? Un prince extraterrestre fuit sa planète d’origine à bord d’un mecha. Son périple prend finalement fin quand celui-ci atterrit sur notre planète bleue. Un résumé qui fait écho aux souvenirs des enfants des années 1970.

Le potentiel du court-métrage est repéré et La Guerre des soucoupes volantes évolue rapidement en une série à part entière sur Fuji TV. Une série aux commandes de laquelle on retrouve un certain Gô Nagai. C’est ainsi que naît une autre saga majeure de la décennie : UFO Robot Grendizer. Son succès lui permet même d’être exporté jusqu’en Europe – et donc en France. Le titre y est changé pour l’occasion et devient Goldorak. La série culte qui a fasciné une génération entière d’enfants est donc, à l’origine, une commande que l’auteur a réalisée sans grande passion. Gô Nagai ne fait décidément rien comme les autres.

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Goldorak, de Xavier Dorison, Denis Bajram, Brice Cossu, Alexis Sentenac et Yoann Guillo, d’après Gô Nagai, 168 p., Kana éditions, collection « Classics », 24,90 €. Disponible le 15 octobre.

Article rédigé par
Tom Demars
Tom Demars
Journaliste
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