Entretien

Tristan Lopin : “J’ai un peu envie de déconstruire les gens en les faisant rire”

15 décembre 2022
Par Sophie Benard
Tristan Lopin : “J’ai un peu envie de déconstruire les gens en les faisant rire”
©DR

Tristan Lopin joue son nouveau spectacle, Irréprochable, depuis déjà un an et demi… et pour encore un an et demi ! Rencontre.

En plus de la scène, vous êtes aussi très présent sur les réseaux sociaux : est-ce pour la promotion ou plutôt comme un tout autre exercice, un moyen d’expérimenter un autre lieu d’expression ?

À la base, les réseaux c’était vraiment pour faire la promo des spectacles : je me rends bien compte que c’est maintenant quelque chose d’assez indispensable pour fidéliser les gens, pour qu’ils aient envie de venir voir le spectacle. La première Cigale que j’ai faite, par exemple, je l’ai remplie en vingt-quatre heures… parce que j’ai fait une story sur Instagram !

Sur les réseaux, je ne mets rien concernant ma vie personnelle, en fait. Je ne dis jamais si j’ai un mec, ce que je fais ; je ne raconte pas ma vie privée. Je ne m’en sers pas pour raconter ma vie, mais vraiment pour créer un contenu divertissant pour les gens. Mais je ne me sens pas obligé de publier pour autant : hier je n’avais rien envie de poster, je n’ai rien posté !

Vos réseaux ont explosé pendant le confinement, était-ce angoissant de retrouver la scène après ces quelques mois ?

Moi, j’étais très content de retrouver la scène ! Les réseaux, je trouve ça vraiment sympa, c’est très spontané, mais ce que j’aime, c’est la scène, justement parce que je peux y aborder des sujets dont je ne parle pas sur les réseaux sociaux. Et puis pour la scène je travaille vraiment mon écriture, je parle de choses que j’ai eu le temps de mûrir.

Et je ne gagne pas d’argent avec les réseaux sociaux ! Quand je fais de la scène, les gens paient, alors j’essaye de leur offrir quelque chose de qualitatif – voire d’intelligent !

« Ce que j’aime vraiment, c’est écrire, construire le raisonnement, choisir les mots… Réussir à arriver à quelque chose de concis, de rapide, pour faire apparaître les idées très clairement. »

Tristan Lopin

L’écriture vous attire-t-elle particulièrement ?

Oui ! Le jeu m’attire aussi, j’ai fait un peu de théâtre. Mais ce que j’aime vraiment, c’est écrire, construire le raisonnement, choisir les mots… Réussir à arriver à quelque chose de concis, de rapide, pour faire apparaître les idées très clairement.

Quand je vais voir d’autres humoristes – j’ai été voir Florence Foresti récemment –, j’aime bien comprendre comment ils ou elles commencent leurs vannes, et me dire que j’aurais fait autrement, ou que j’aurais ajouté ou enlevé quelque chose. Parfois je me dis que j’aurais pu faire la même blague, mais que j’aurais eu tendance à la construire dans l’autre sens, par exemple.

Sur scène, comment trouvez-vous l’équilibre entre les parties très chorégraphiées et la spontanéité, les échanges avec le public ?

En réalité, les interactions avec le public restent des moments très cadrés. Mes questions sont toujours les mêmes et le panel des réponses possibles est en fait assez restreint : je peux toujours retomber sur mes pattes !

C’est un équilibre précaire, c’est vrai, mais je sais toujours où je vais et où je veux emmener le public !

En vous écoutant parler du spectacle dans les médias, le sujet du viol – que vous abordez au début du spectacle – est très mis en avant ; avez-vous été tenté de tout consacrer à ce sujet ?

Non, je n’ai pas voulu parler que de ça. Une heure et demi sur un viol, c’est quand même beaucoup. Mais c’est un sketch que je voulais faire parce qu’il explique ceux qui suivent, qui parlent des névroses, de l’anxiété, de mon rapport aux hommes. C’est pour ça que je le mets au début du spectacle : ça donne du sens à tout le reste.

Était-ce une surprise que l’humour sur un tel sujet soit si bien reçu ?

Oui et non. J’avais bien sûr une grosse angoisse, j’avais peur que ça ne passe pas. Mais, en même temps, je ne fais pas du tout de généralité. Quand je l’ai écrit, je trouvais ça drôle, tout simplement. Alors il faut que tout le monde puisse en rire, bien sûr – parce que c’est aussi horrible…

Mais je me demandais surtout si ça passerait dans ma bouche à moi. Dans la bouche de quelqu’un connu pour faire de l’humour un peu noir, un peu grinçant, on sait que ça passe. Je me disais que quelqu’un comme Blanche Gardin par exemple, ça passerait grave, parce qu’elle est sur ce registre.

Alors que moi, dans mon précédent spectacle, j’étais quand même sur un registre plus solaire, plus “bon pote”. Je me demandais si les gens n’allaient pas être un peu désarçonnés…

C’est une idée assez puissante, je crois, de mettre en avant l’idée que le viol n’est pas nécessairement un traumatisme insurmontable, qu’on peut aussi “passer à autre chose” – si on y arrive, bien sûr. C’était voulu ?

Oui, je voulais surtout dire que non seulement ça arrive à plein de gens, malheureusement, mais surtout qu’on n’est pas condamné parce que ça nous est arrivé.

Évidemment, je crois que c’est toujours quelque chose d’un peu traumatisant, quelque chose qui finit par teinter beaucoup de choses de la vie. Mais je crois aussi qu’on peut s’en sortir ; on n’est pas condamné à avoir toute sa vie des relations de merde, à se dire que tout est foutu…

On peut dire “C’est horrible”, mais se dire aussi qu’il faut qu’on avance et qu’il y a plein de jolies choses qui arrivent.

Est-ce une volonté de votre part de partager aussi des messages politiques ?

Oui. J’ai un peu envie de déconstruire les gens en les faisant rire ; de ne pas être moralisateur, culpabilisant ou paternaliste, mais de montrer que parfois on pense de telle ou telle manière et… c’est de la merde, quoi ! Je trouve ça intéressant de se dire qu’on peut toujours se poser la question autrement, regarder les choses selon un autre prisme.

Alors après, on ne peut pas aller chez les gens pour les forcer à entendre des choses qu’ils n’ont pas envie d’entendre. Mais je me dis qu’en faisant du contenu qui est parfois engagé, ça peut toucher une ou deux personnes qui ne pense pas du tout comme moi…

« Je trouve ça intéressant de se dire qu’on peut toujours se poser la question autrement, regarder les choses selon un autre prisme. »

Tristan Lopin

Vous avez désormais une chronique hebdomadaire sur France Inter ; comment travaillez-vous cet exercice spécifique, très différent de la scène ?

La chronique, c’est toujours en fonction de l’invité de l’émission ; et puis, c’est vraiment fondé sur l’humeur du moment, sur l’instant T. Je peux jouer avec des sujets et des événements que je ne pourrais pas forcément utiliser pour un spectacle, parce qu’un spectacle s’inscrit dans un temps plus long.

Tristan Lopin joue Irréprochable partout en France jusqu’en juin 2023.

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Article rédigé par
Sophie Benard
Sophie Benard
Journaliste