Entretien

Jérôme Commandeur : “Faire de l’humour est une activité de fête foraine”

28 juin 2022
Par Erick Grisel
Jérôme Commandeur réalise son premier film, “Irréductible”.
Jérôme Commandeur réalise son premier film, “Irréductible”. ©SND

Stand-upper, acteur et animateur, cela fait bientôt 20 ans qu’il fait rire sur scène, au cinéma, à la radio. Grand prix au festival de l’Alpe d’Huez, son premier film, Irréductible, qui sort ce mercredi 29 juin, est bien parti pour plaire au plus grand nombre. Entretien spontané avec un garçon qui ne s’arrête jamais, aussi caustique que romantique.

En 2016, il coréalise son premier film, Ma famille t’adore déjà. Cette fois, pour Irréductible, Jérôme Commandeur est seul aux manettes pour narrer l’histoire de Vincent Peltier, un fonctionnaire qui, refusant de donner sa démission, se fait muter par une hiérarchie sadique aux quatre coins du monde, de l’Équateur au Groenland. En chemin pour l’enregistrement de l’émission Quotidien, au téléphone sur son scooter, Jérôme nous a parlé de résistance, de Will Smith et de ces blagues qui ne font pas rire. Malgré une circulation ponctuée çà et là de sirènes d’ambulances, pas une seule fois le comédien n’a perdu le fil de sa pensée.

Comment résumeriez-vous le tournage de votre film en quelques mots ?

C’était un tambour de machine à laver. Un énorme barnum ! Trois ans de ma vie, 330 personnes, plein de pays visités…

Vous êtes vraiment allé au Groenland pour les scènes avec Lætitia Dosch ?

En fait, la Suède, ça a été Paris et Limoges. Et pour le Groenland et l’Équateur, je vous dirais que si vous avez cru aux endroits où on vous a emmené, c’est qu’on a bien travaillé ! Mais cette réponse ne me satisfait qu’à moitié, parce qu’elle induit l’usage d’effets spéciaux sur fond vert. En fait, on est allé là où on a bien voulu de nous, puisqu’on a tourné l’année du Covid, en 2020, et que les pays fermaient leurs frontières les uns après les autres.

Pourquoi ce titre, Irréductible, qui évoque un peu les Gaulois de Goscinny et Uderzo ?

J’avais envie de traiter un sujet qui parle de nous, qui nous définisse. On a tendance, en France, à se jeter des anathèmes à la figure, que ce soit sur les plateaux télé ou les réseaux sociaux. Dès qu’il y a une règle, on échafaude des plans pour obtenir un passe-droit. Si on prend un rond-point dans le mauvais sens, on pense que ce sont les autres qui ne l’ont pas pris dans le bon sens. On est toujours ronchons. Et pourtant, quand on sait nous parler, quand on prend le temps de nous expliquer les choses, on est le pays de l’Abbé Pierre et de Coluche. C’est toute cette mosaïque de choses parfois contradictoires que je voulais mettre dans Irréductible.

Lætitia Dosch et Jérôme Commandeur dans Irréductible.©SND

Cela fait près de 20 ans que vous êtes humoriste. Depuis, notre rapport à l’humour a-t-il évolué tant que ça ?

C’est un peu une marotte de journaliste, ce sujet. Moi, en 20 ans, personne ne m’a jamais dit : “On ne peut plus rire de rien” ou “Vous êtes allé trop loin”. J’ai lu dans un journal que dans les années 1970, les spectacles de Pierre Desproges étaient incasables en télé et que les gens du pouvoir giscardien surveillaient de très près Le Petit Rapporteur de Jacques Martin. Ce que je veux dire par là, c’est que cela a toujours été un peu difficile de faire de l’humour touchy. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Ce qui a changé, peut-être, c’est la puissance des réseaux sociaux.

Vous ne vous fixez pas de limites pour vos spectacles ?

Non, les gens sont incroyablement mûrs pour n’importe quel sujet. Et ils adorent mettre les doigts dans la prise. Il y a cette fameuse phrase qu’on attribue à Pierre Desproges, “On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui”. Je me permets de me l’approprier en la renversant pour dire : “N’importe qui ne peut pas rire de tout”. J’ai toujours entendu Alain Chabat ou Valérie Lemercier dire qu’il faut soigner l’écrin. J’adore cette phrase. Quand Les Nuls faisaient un sketch sur des pets, on criait au génie, car ils savaient soigner l’écrin. C’est un précepte que je m’efforce de suivre.

Mais une bonne ou mauvaise blague peut avoir des conséquences fâcheuses. Qu’avez-vous pensé de la réaction de Will Smith aux Oscars ?

Ça m’a fait beaucoup réfléchir, cette histoire, car au fond elle est très emblématique de notre époque. Encore une fois, je me suis dit qu’on ne peut faire rire qu’avec ce qui heurte. Mais toute plaisanterie n’est pas un règlement de compte en soi. Prenons l’exemple du type qui glisse sur une peau de banane, c’est le geste qui fait marrer, on ne souhaite pas que la personne se blesse. De la même façon, Chris Rock n’a jamais souhaité que la femme de Will Smith tombe malade. C’était juste une blague de cancre, peut-être assez ratée. J’ai des bides dans mon film, j’aurais aimé qu’ils n’y soient pas. Faire de l’humour est une activité de fête foraine.

Résister comme Vincent Peltier dans votre film peut être vu comme un acte héroïque, mais aussi comme un acte obtus. Vous êtes-vous déjà reproché dans votre vie d’avoir cédé trop vite ou au contraire d’avoir résisté trop longtemps ?

On est tous confrontés à ce genre de question : jusqu’où peut-on pousser le bouchon ? Quand doit-on pardonner ? Se réconcilier avec sa famille ? Cette problématique s’ancre dans notre quotidien. Parfois, quand je vois des affiches de spectacles de café-théâtre avec des gamins qui démarrent, je me dis : “Et si tu étais encore sur une scène de café-théâtre à 46 ans – l’âge que j’ai – devant un public de 30 personnes, est-ce que tu résisterais encore, ou est-ce ce que tu lâcherais l’affaire ?” Je dois avouer que je n’ai pas la réponse.

Esteban et Jérôme Commandeur dans Irréductible.©SND

Votre spectacle s’appelle Tout en douceur. Et, en effet, vous avez une façon douce de dire les choses dures, ce qui les rend d’autant plus drôles…

J’aime bien cette idée que lorsque l’on se met, sinon des gnons, au moins des tacles, on peut se retrouver tous autour d’une table, à faire un banquet comme dans les albums d’Astérix et Obélix. Et que ce soit dans mes one man shows ou dans mon film, je finis toujours par une note douce.

Vous étiez déjà comme ça plus jeune, caustique, à tourner les choses en dérision ?

Oui, lorsque j’étais en 5e, j’avais un prof un peu alcoolo qui sentait le rosé à trois kilomètres. Je me souviens qu’un jour, je me suis tourné vers un copain en classe pour lui dire : “Ah, c’est bien, il est à jeun aujourd’hui !”, alors que le type était ivre mort. Et on est parti dans un fou rire ! Mais on fait tous ça, non ? Tourner en dérision un sujet dramatique, c’est un moyen de se rassurer face à la vacuité ou la violence du monde.

Michel Houellebecq, dans l’un de ses livres, parle du rire fascisant du public. Est-ce que cela vous fait peur, parfois, tous ces gens qui rient devant vous à gorge déployée ?

Ahaha, non, j’en parle souvent avec des copains humoristes. C’est profondément mystérieux, une salle qui rit. Pourquoi, quand les gens vous applaudissent à tout rompre, qu’ils ont la banane et qu’ils sont 3 000 à être debout, vous vous mettez à pleurer ? Oui, c’est ce que je répondrai à Houellebecq : les rires ne me font pas peur, ils me font pleurer de bonheur.

Pour finir sur une note légère, projetons-nous dans les vacances estivales. Cette période est-elle pour vous synonyme de repos total ou au contraire l’occasion de travailler et de faire le plein de vannes ?

C’est marrant, autant à 25 ans j’attendais les vacances comme une séance de boxe, je voulais tout donner, me coucher à cinq heures du matin, autant, maintenant, je n’aspire qu’au repos total. Cet été, pour moi, ce sera la Sicile et Cadaquès.

Irréductible, de Jérôme Commandeur, en salle le 29 juin 2022.

Tout en douceur en tournée jusqu’en novembre 2022.

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