Entretien

Guillermo Guiz : “Il n’y a rien de plus chiant que les gens qui théorisent sur l’humour”

03 juin 2022
Par Sophie Benard
Guillermo Guiz : “Il n’y a rien de plus chiant que les gens qui théorisent sur l’humour”
©Hélène Marie Pambrun

Alors qu’il s’apprête à retrouver la scène avec Au suivant, c’est un Guillermo Guiz au regard de clown triste, timide et concentré, qui a accepté de répondre à nos questions.

Il a exercé des métiers aussi différents que footballeur, journaliste, manager et directeur artistique. Depuis six ans, l’humoriste tient une chronique hebdomadaire dans La Bande originale de Nagui (France Inter). Et il jouera Au suivant du 8 au 11 juin prochains à Paris, avant de partir en tournée dans toute la France.

Comment décririez-vous Au suivant, le spectacle avec lequel vous apprêtez à repartir en tournée ?

C’est un spectacle assez intime, qui parle de mon enfance, de ce que je pourrai transmettre à un enfant si j’en avais un, un jour. Le thème central, c’est vraiment la transmission, ce qu’on reçoit quand on est enfant, comment on le digère, comment on le perpétue. Et j’en parle avec des blagues !

C’est un spectacle dans lequel je me dévoile un peu plus que dans le premier. J’ai plus bossé, aussi. J’ai travaillé Au suivant pendant un an et demi – j’ai énormément testé les blagues dans des scènes ouvertes. Je veux vraiment faire rire, sinon je ne me sens pas légitime. Et je ne suis pas un bon improvisateur, alors je dois pouvoir m’appuyer sur un texte rodé ; et ce texte-là, je l’ai vraiment bien rodé.

L’humour est-il une pratique culturelle, selon vous ?

J’ai l’impression que c’est une forme d’expression complémentaire du cinéma, du théâtre, de la littérature… Parce que les gens qui sont sur scène développent une vision de la vie, de ce qu’ils ont besoin de raconter ou d’extérioriser ; en ça, l’humour est une forme artistique comme une autre.

Certains stand-uppeurs et stand-uppeuses me semblent parfois plus pertinents, plus utiles que certains philosophes médiatiques, par exemple. Sur scène, on tente de faire passer des idées ou des théories qui sont supposées interpeller les gens ; on pose des questions, on essaie d’éveiller la réflexion chez celles et ceux qui viennent nous voir. Moi, j’ai entendu des stand-uppeurs et des stand-uppeuses dire des choses qui m’ont vraiment marqué, qui m’ont profondément heurté ou transformé. Et ça m’a marqué de la même manière qu’ont pu le faire certains albums, films ou romans.

Bien sûr, je me nourris d’autres formes d’expressions. Je lis pas mal, j’essaie de lire pas mal, alors que je regarde en réalité assez peu de stand-up. Quitte à être influencé, je préfère l’être par des gens un peu plus sérieux et en faire ensuite quelque chose de drôle, plutôt que de partir d’un matériau déjà drôle.

Comment pensez-vous la question de la transmission dans le cadre d’un art de scène, qui est par essence éphémère ?

C’est capté, quand même ! Donc ça laisse une trace. Mais c’est vrai que c’est éphémère, d’autant plus que le spectacle n’est pas pareil au début de sa création que deux ans plus tard, quand il a tourné, quand il a été rodé. Mais j’aime bien ce côté éphémère.

C’est comme avec les chroniques, d’ailleurs… On m’a proposé plusieurs fois de les rassembler dans un livre, mais j’ai toujours refusé, parce que je trouve que ça ne présente pas tant d’intérêt de lire des chroniques datées de plusieurs mois. Je crois que c’est une forme qui se prête mieux à l’immédiateté.

Et le spectacle aussi s’y prête – d’autant plus que, en tant qu’humoriste, on jongle avec les interdits, avec les tabous… Donc un spectacle peut vite se retrouver daté. Ce qui était acceptable il y a cinq ans peut l’être moins aujourd’hui, et le sera encore mois dans dix ans – ou le sera à nouveau… C’est pour ça que ce n’est pas si mal que ça corresponde à un moment. Mais je ne veux pas trop théoriser sur l’humour : il n’y a rien de plus chiant que les gens qui théorisent sur l’humour !

Les humoristes semblent évoluer entre deux mondes, entre la culture et les médias. Est-il possible de continuer à créer dans le cadre de la starification dans lequel ils évoluent aujourd’hui ?

C’est un écueil ! Quand le succès commence à arriver, on n’a plus la même vie qu’avant. Il faut continuer de raconter ce qui nous arrive, ou alors ne plus parler de nous, pour parler plus généralement de la société, ou d’autre chose.

Surtout, plus on est connu, plus on nous demande d’intervenir sur tout et n’importe quoi. Je refuse beaucoup d’interviews, de prestations à la télévision, de choses comme ça… Parce que je sais que ce que j’ai à raconter sur la société a moins d’importance que ce que pourrait raconter un sociologue, un linguiste, un psychologue ou que sais-je. Moi, ce que j’ai à raconter, je le raconte à travers des blagues – c’est ça, ma plus-value. Mes avis ont du sens parce que les gens rient, mais je ne veux pas me transformer en conférencier : je n’ai pas le bagage intellectuel pour le faire. C’est pour ça que je prends très peu la parole au premier degré : tout ce que j’ai à dire, je le dis par l’entremise de blagues – et si je ne trouve pas de blagues drôles, alors je ne dis pas !

Le fait de revenir à l’enfance dans Au suivant a-t-il été un moyen d’éviter cet écueil ?

Oui ! Je crois que ça fait partie des jalons d’une carrière de parler de son enfance. Si je devais faire un troisième spectacle, je me pose la question de ce dont je pourrais bien parler. C’est pour ça que ce n’est pas évident de durer dans ces métiers-là. Il faut pouvoir se renouveler, ne pas être trop ringard – il y a une nouvelle génération qui arrive, qui a les crocs et qui a des choses à raconter.

Je fais des chroniques sur France Inter depuis six ans : j’ai déjà l’impression de beaucoup me répéter. Alors que, je ne sais pas, je n’ai pas tant de choses à dire que ça sur la société, je ne suis pas Pierre Bourdieu. Et en même temps, j’aurais bien aimé voir Pierre Bourdieu faire une chronique toutes les semaines sur France Inter ! Mais en tant qu’humain je prends de l’épaisseur, je m’informe, je m’instruis… Et c’est aussi quelque chose de partageable, je crois. Et puis, on prend aussi de la bouteille en tant qu’humoriste. Ce n’est pas impossible que je devienne un meilleur humoriste en vieillissant ; mais c’est possible aussi que j’en sois à la fin de ma carrière, que je n’ai bientôt plus rien à dire… Je suis vraiment en questionnement sur la suite.

Au suivant, de Guillermo Guiz, au Théâtre de la Renaissance (Paris) les 8, 9, 10 et 11 juin 2022, puis en tournée dans toute la France.

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Article rédigé par
Sophie Benard
Sophie Benard
Journaliste