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Saga des prix littéraires, épisode 2 : des récompenses qui changent une carrière ?

23 novembre 2022
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Saga des prix littéraires, épisode 2 : des récompenses qui changent une carrière ?
©DR

Ventes qui s’accélèrent, droits d’auteur mirobolants, adaptations au cinéma ou encore succès à l’international : les retombées d’un prix littéraire prestigieux ont de quoi laisser rêveur. Pour certains auteurs et autrices, c’est même le début d’une longue carrière.

Une dotation financière, parfois, mais surtout un coup de projecteur colossal. C’est ce qu’apporte l’obtention d’un prix littéraire majeur, qui s’accompagne indubitablement d’un avant et d’un après dans la carrière des autrices et auteurs primés. Plus qu’une reconnaissance par ses pairs, un prix littéraire, c’est une carte de visite qui leur permettra de renégocier leurs contrats à la hausse, voire de changer de maison d’édition.

Pour l’ouvrage récompensé, l’impact économique d’un prix est sans commune mesure – d’autant plus s’il s’agit du Goncourt, le plus prestigieux d’entre eux –, qu’il s’agisse de l’édition grand format initiale, de la version de poche ou des traductions favorisant la renommée internationale. Obtenir un prix littéraire prestigieux, c’est aussi de nouvelles opportunités, comme une possibilité plus grande de voir son œuvre adaptée au cinéma.

Leila Slimani lors d’un salon à Francfort, 2017.©Markus Wissmann

Cela a été le cas pour Chanson douce de Leïla Slimani, prix Goncourt 2016, dont l’adaptation cinématographique avec Karine Viard et Leïla Bekhti est sortie en 2019. Deux ans plus tôt, l’adaptation d’Au-revoir là-haut de Pierre Lemaitre, prix Goncourt 2013, était largement saluée par la critique et obtenait cinq Césars, dont celui de la meilleure réalisation pour Albert Dupontel.

Des ventes vertigineuses

Quand un livre est sacré par un prix Goncourt, Renaudot, Médicis ou encore Femina, ses ventes connaissent presque automatiquement un coup d’accélérateur. En 2021, La Plus Secrète Mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr ne comptait pas plus de 10 000 exemplaires écoulés entre le mois d’août et le début du mois de novembre. Sitôt le Goncourt obtenu, l’ouvrage s’est classé parmi les meilleures ventes, comptabilisant au 31 décembre 2021 quelque 378 000 unités vendues.

En 2012, l’institut GfK Consumer Choices publiait une étude sur l’impact des prix littéraires sur les ventes. Il en ressort que pour les ventes hebdomadaires du Goncourt 2011, L’Art français de la guerre d’Alexis Jenni, les ventes ont été multipliées par dix après l’obtention du sésame. Et, selon Slate, le chiffre d’affaires a atteint 2,8 millions d’euros en dix semaines. Pour Limonov d’Emmanuel Carrère, prix Renaudot 2011, les ventes ont été multipliées par 2,5, le roman s’étant déjà bien vendu avant son sacre.

L’étude détaille cet « effet prix » pour d’autres romans primés, dans une moindre mesure. Ce qu’aimer veut dire de Mathieu Lindon, Médicis 2011, a vu ses ventes hebdomadaires multipliées par quatre, x4,5 pour Jayne Mansfield 1967 de Simon Liberati (Femina 2011), x2 pour Retour à Killybegs de Sorj Chalandon (Grand prix du roman de l’Académie française 2011)… les exemples sont nombreux.

Le même cabinet GfK a également étudié les ventes hebdomadaires de Pas pleurer de Lydie Salvayre, Goncourt 2014, montrant qu’elles étaient passées de quelques centaines entre août et octobre, à plus de 1 800 la semaine précédant la désignation du vainqueur, pour atteindre plus de 36 000 exemplaires la semaine suivant la victoire. Les ventes ne sont ensuite jamais descendues sous le seuil des 21 000 exemplaires, atteignant les 37 000 livres la semaine de Noël.

Un prix pour se lancer

Si un prix littéraire peut venir récompenser l’ouvrage d’un auteur dont la carrière est déjà lancée, il permet aussi à ceux encore dans l’ombre d’en démarrer une. En 1930, Germaine Beaumont obtient ainsi le prix Renaudot pour son premier roman Piège, devenant par la même occasion la première femme à se voir décerner ce prix. S’en suivront une bonne dizaine d’autres ouvrages, dont Agnès de rien adapté au cinéma en 1949 par Pierre Billon. En 1934, elle intègre le jury du prix Femina et y reste pendant plusieurs décennies.

Germaine Beaumont, 1930.©DR

Deux ans après Germaine Beaumont, c’est au tour de Louis-Ferdinand Céline de se voir décerner le Renaudot, lui aussi pour son premier roman, Voyage au bout de la nuit. Auteur décrié pour ses positions et pamphlets antisémites, racistes et homophobes, il est toutefois l’écrivain français du XXe siècle le plus traduit et le plus diffusé dans le monde, après Marcel Proust. Parmi ses œuvres, on note notamment Mort à crédit ou D’un château à l’autre.

Louis-Ferdinand Céline, 1932.©B. Meurisse

Autre auteur à voir le Renaudot consacrer son premier roman : Georges Pérec avec Les Choses. Une histoire des années 1960 en 1965. Il se révélera ensuite très prolifique avec des romans comme Un homme qui dort, La disparition, W ou le souvenir d’enfance, ou encore La Vie mode d’emploi, prix Médicis 1978 qui lui apporte la consécration.

Georges Perec.©DR

Homme de lettres largement reconnu, Patrick Modiano compte aujourd’hui une trentaine de romans, certains primés par des prix prestigieux, comme le prix Roger-Nimier et Fénéon pour son premier roman La Place de l’Étoile. Son troisième roman, Les Boulevards de ceinture lui permet d’obtenir en 1972 le Grand prix du roman de l’Académie française, l’inscrivant définitivement comme une figure de la littérature française contemporaine. Son œuvre suivante, Villa triste obtient le Prix des libraires quand Rue des boutiques obscures est récompensé par le Goncourt en 1978. La consécration internationale arrive en 2014 avec l’obtention du prix Nobel de littérature, le secrétaire permanent de l’académie suédoise de l’époque le qualifiant de « Marcel Proust de notre temps ».

Des « petits » aux grands prix

Après plusieurs prix moins médiatiques reçus dans les années 1980, Emmanuel Carrère décroche le Femina en 1995 pour son roman La Classe de neige, d’ailleurs adapté au cinéma et lauréat du Prix spécial du jury au Festival de Cannes 1998. Nombre de ses œuvres seront par la suite primées, avec notammant le Renaudot en 2011 pour Limonov. L’écrivain n’a pas encore accroché le Goncourt à son palmarès, ce qui n’est pas le cas de Pascale Roze, qui l’a obtenu en 1996 pour Chasseur zéro, également récompensé du Prix du premier roman. Celle qui était alors comédienne voit sa vie changer et a publié depuis une dizaine d’autres romans.

Emmanuel Carrère au Salon du livre de Turin (Italie), 2015.©Anders Photo

Parmi les autres auteurs contemporains, David Foenkinos reçoit sa première distinction en 2002 avec le prix François-Mauriac, décerné par l’Académie française pour son roman Inversion de l’idiotie : de l’influence de deux Polonais. Pour lui aussi, c’est le début d’une carrière et d’une longue liste de prix, dont le Renaudot et le Goncourt des lycéens reçus pour Charlotte en 2014.

David Foenkinos en 2014.©DR

Enfin, il faut aussi citer Leïla Slimani dont le premier ouvrage Dans le jardin de l’ogre est sélectionné dans les cinq finalistes pour le prix de Flores 2014. Deux ans plus tard, son deuxième roman Chanson douce lui offre la reconnaissance du monde littéraire avec le Goncourt. Depuis, l’autrice a été très prolifique, comptant parmi les femmes de lettres de son temps.

Le revers de la médaille

Derrière le succès et les retombées sur les ventes, l’obtention d’un prix littéraire majeur peut avoir des conséquences néfastes pour certains auteurs. Cela a été le cas pour Jean Carrière, lauréat du Goncourt en 1972 avec L’Épervier de Maheux qui s’est écoulé à plus de 2 millions d’exemplaires et a été traduit en 14 langues. Des problèmes personnels préalables et le succès brutal lui ont procuré un sentiment « d’étrangeté à soi », comme il l’a écrit dans Le Prix d’un Goncourt en 1987. L’auteur a mis plus de six ans avant de terminer un autre ouvrage et a vécu 15 ans en dépression.

En 1998, Paule Constant vit mal, elle aussi, la remise de son prix Goncourt pour son roman Confidence pour confidence. Il faut dire qu’à l’époque, tous les regards étaient tournés vers Michel Houellebecq et ses Particules élémentaires que beaucoup souhaitaient voir gagner… Alors que le livre ne figurait même pas dans la liste des finalistes. L’auteur a d’ailleurs qualifié l’ouvrage de sa consœur de « médiocre » et cette dernière s’est longtemps demandé si elle avait vraiment mérité ce prix lui laissant un goût amer. Une question qui semble aujourd’hui réglée puisqu’en 2013, elle est élue à l’unanimité pour siéger au jury de ce prix prestigieux.

Fin de l’épisode 2. La semaine prochaine : les prix littéraires les plus originaux.

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