Vous avez aimé Dark ? Vous allez probablement adorer 1899. Nouvelle création des Allemands Jantje Friese et Baran bo Odar, la série débarque le 17 novembre sur Netflix. Le talentueux duo est (enfin) de retour avec huit épisodes ancrés dans un nouvel univers, mais flirtant toujours avec les frontières de la réalité. Un océan d’énigmes qui ne laissera personne indifférent.
Octobre 1899. À la veille d’un nouveau siècle, des Européens de toutes origines se retrouvent à Londres pour embarquer sur un bateau vapeur. Leur but : migrer vers les États-Unis et commencer une nouvelle vie à New York. Mais leur rêve américain est compromis lorsqu’ils découvrent, en haute mer, un autre navire de migrants, disparu depuis plusieurs semaines.
Un nouveau puzzle à résoudre
Avec ce clin d’œil à peine dissimulé à la crise migratoire qui a lieu en ce moment en Europe, la ville de Winden et sa centrale nucléaire, décors de la précédente série de Jantje Friese et Baran bo Odar, semblent très loin. Pourtant, on retrouve dans 1899 l’ambiance mystérieuse et pesante de Dark. Une atmosphère portée par une musique de Ben Frost, le compositeur qui, déjà, avait travaillé sur la première série de Friese et Odar.
On reconnaît aussi un visage familier, celui d’Andreas Pietschmann, dans la peau d’Eyk Larsen, capitaine balafré et alcoolique du Kerberos, le navire sur lequel voyagent les passagers. L’acteur incarnait, dans Dark, la version âgée de Jonas. Autre point commun entre les deux séries : la présence d’étranges gadgets technologiques et hors de leur temps. Mécanismes servant au voyage temporel, comme dans Dark ? Difficile à dire.
Pour être honnête, L’Éclaireur n’a été autorisé à visionner que les trois premiers épisodes de 1899. Peut-être pour qu’aucun rebondissement clé ne soit dévoilé au public… Ou peut-être pour être maintenu dans une situation de confusion où l’on apprécie à leur juste valeur les nombreuses et insondables énigmes de l’histoire. Car là où Dark et 1899 se rejoignent le plus, c’est dans leur écriture. Il faut dire que leurs créateurs manient à la perfection l’art de l’intrigue et des révélations inattendues. Et ils l’admettent eux-mêmes, leur série est un véritable jeu de piste.
« Cela promet d’être un puzzle amusant pour le public, a déclaré Baran bo Odar au magazine Deadline. Nous retournons à nos racines mystérieuses ! » Ce à quoi sa complice, Jantje Friese, a ajouté que « tous les passagers sur le bateau voyagent avec des secrets qu’ils ne souhaitent surtout pas révéler. Encore une fois, notre histoire est construite comme un puzzle ».
Un puzzle où, dès le commencement, tout est déroutant. Le rythme narratif, assez lent, permet aux réalisateurs de prendre le temps de poser chaque indice. Ou en tout cas, ce qu’on pense être des indices et qui devient source intarissable de questionnements. Pourquoi le symbole de la compagnie de bateau, un triangle renversé et barré, est-il présent absolument partout, jusque sur les boucles d’oreille d’une des passagères ? Pourquoi est-il le signe alchimique de la terre, et non celui de l’eau – un triangle renversé, mais pas barré – alors que toute l’intrigue a lieu en mer ?
Quelle est cette mystérieuse pyramide noire découverte sur le vaisseau fantôme ? Pourquoi chaque épisode se conclut-il par un morceau créé dans les années 1960, 1970 ou 1980 (on entend par exemple Jefferson Airplane, Deep Purple ou encore Echo and the Bunnymen) alors que l’histoire se passe à la fin du XIXe siècle ? Et qui est cet homme accompagné d’un bizarre petit insecte vert ? Pour finir, tous ces éléments ont-ils réellement une importance pour la suite de l’histoire ?
1 612 passagers, autant de secrets
Les interrogations se bousculent pour notre plus grand plaisir. Ce qui est certain, c’est que quelque chose de plus grand que tout ce qu’on peut imaginer est en préparation. Parce que les liens entre les personnages, au premier abord moins complexes que dans Dark, sont en fait plus étroits qu’on pourrait le croire. Ce sont dans un premier temps les différences entre les 1 612 passagers qui sautent aux yeux. Comme le dit la protagoniste, Maura Franklin (jouée par Emily Beecham, vue dans Little Joe, The Pursuit of Love et Cruella) : « Il y a tout un univers en chacun d’entre nous. »
Docteure spécialiste du cerveau, la jeune femme, assaillie de flashbacks inexplicables – ou de rêves ? – embarque sur le Kerberos à la recherche de son frère, disparu à bord d’un autre navire, le Prometheus. Le personnage témoigne d’une première différence de traitement, celle du genre.
Autorisée à étudier la médecine, mais pas à la pratiquer, Maura soulève aussi un intérêt réprobateur chez beaucoup de ses compagnons de traversée, étant une femme indépendante, qui voyage seule. Les passagers sont également divisés économiquement : ils doivent respecter les frontières imposées par leurs classes respectives. Mais, surtout, ce sont leurs nationalités et leurs langues qui les séparent.
Un couple de riches Français en atroce lune de miel, une mère et sa fille chinoises se faisant passer pour des Japonaises, un Espagnol dissimulant son homosexualité, une famille danoise pauvre en troisième classe, un Polonais finançant son voyage en travaillant en salle des machines… Tous ces Européens à la recherche d’une vie meilleure ont des cultures distinctes et parlent des langues différentes. Le réalisme est tellement poussé que, fait rare, chaque acteur et actrice parle à l’écran dans sa langue maternelle.
Un sens du détail et de l’exactitude extrêmement agréable, et une exigence non négociable pour les réalisateurs. « Être fidèle aux cultures et aux langues était vraiment important, confirme Jantje Friese à Deadline. Nous n’avons jamais voulu avoir des personnages venant de différents pays mais qui parlent tous anglais. Nous voulions explorer ce cœur de l’Europe, où tout le monde vient d’ailleurs et parle une langue différente : elle définit tellement votre culture et votre comportement. »
Chez ces passagers qui ne se comprennent littéralement pas, apparaissent pourtant peu à peu des similitudes. La plus importante étant qu’ils cherchent tous et toutes à échapper à des secrets qu’ils espèrent laisser en Europe : les conséquences de leurs actes, la douleur de leurs drames ou le rejet de leurs identités. Mais, face au danger, impossible de cacher son vrai visage. Quand l’équipage du Kerberos découvre l’épave du Prometheus et réalise qu’il est vide – ou presque – les apparences se brisent. D’autant plus quand une étrange brume recouvre soudainement le navire et que les morts se multiplient inexplicablement à bord. Perdus au milieu de l’océan, aucun d’eux n’a d’échappatoire. Malgré leurs différences, les personnages sont, littéralement, dans le même bateau.
Des effets spéciaux à la hauteur du scénario grâce au “Volume”
Tout porte en effet à croire que les protagonistes sont, d’une certaine façon, liés. D’abord, les lettres qu’ils ont tous et toutes reçues, visiblement envoyées par la même personne. Ensuite, le montage. Quand sur un plan, Jérôme, passager clandestin, est frappé, c’est Ramiro, un prêtre venu de la péninsule ibérique, qui se réveille en sursaut sur le plan suivant, se frottant douloureusement le visage. Des plans par ailleurs dignes de tableaux naturalistes, magnifiés – même si le tout est un peu sombre – par des effets spéciaux d’une grande qualité.
Rien d’étonnant, quand on sait que les prises de vues ont été réalisées dans les studios de Babelsberg, en Allemagne, où a pu être utilisée la nouvelle technologie LED, aussi appelée « Volume ». Plus de fond vert : les acteurs performent dans un studio de 420 mètres carrés devant un écran d’environ sept mètres de hauteur. Le décor y est projeté en temps réel, pendant que la scène est tournée. Un procédé nous amenant aux frontières du réel, et c’est bien là le but de cette nouvelle production.
Cartographie d’un monde dissimulé, 1899 joue avec les limites de la réalité, qu’elles soient surnaturelles ou cérébrales. Si l’allusion au mystère du triangle des Bermudes est évidente – on parle de bateaux disparus et de boussoles qui s’affolent –, les références aux hallucinations psychosensorielles ne manquent pas. Le capitaine et Maura sont assaillis d’hallucinations auditives ou visuelles, et le générique de la série n’est rien de moins qu’un remix du morceau White Rabbit de Jefferson Airplane. De quoi troubler encore plus le public : les personnages sont-ils victimes de forces qui les dépassent ou leurs cerveaux leur jouent-ils des tours ? Une chose est certaine, comme pour Dark, la résolution de 1899 est délicieusement imprévisible.