Critique

À l’IMA de Tourcoing, les sentinelles témoignent du passage du temps

23 septembre 2022
Par Apolline Coëffet
Abdessamad El Montassir, Achayef, 2018, FNAC 2021-0017, Centre national des arts plastiques.
Abdessamad El Montassir, Achayef, 2018, FNAC 2021-0017, Centre national des arts plastiques. ©Adagp, Paris, 2022, courtesy de l’artiste

Jusqu’au 12 février 2023, l’Institut du Monde Arabe de Tourcoing accueille une exposition sur ces artistes qui, pareils à des sentinelles, veillent au passage du temps. Issue des fonds du Cnap, chacune des œuvres témoigne alors d’une histoire dont le cycle semble éternel.

Pour son premier évènement de la saison, l’Institut du Monde Arabe de Tourcoing livre le récit historique et contemporain d’une civilisation tourmentée par l’instabilité politique. Intitulée Les Sentinelles, l’exposition présente les œuvres de différents artistes qui, chacun à leur manière, témoigne de ce temps présent qui écrit l’histoire sinon la vie des populations locales. Issues des fonds du Centre national d’arts plastiques, elles entremêlent photographies et vidéos de telle sorte à souligner la pluralité des regards. Entre les murs de l’institution, ceux-ci se rassemblent selon les divers foyers qui entretiennent une narration à la fois individuelle et collective.

En quête de boussole, quotidiens urbains, tout contre l’histoire, survies, transit… Ces cinq chapitres s’intéressent tour à tour aux différents sens que revêt le terme même de « foyer ». Qu’ils soient points centraux, espaces de création artistique, cœurs des révoltes ou des lieux de vie ou de diasporas, tous portent en eux une sensation particulière : celle de vivre en état de siège permanent.

Une tentative de recomposition

Selon les artistes, ce sentiment s’exprime de multiples manières. À titre d’exemple, Hassen Ferhani immortalise un relais routier situé aux confins du désert algérien. Randa Marouf et Mohamed Bourouissa mettent en scènes des groupes d’adolescents qui rejouent les séquences d’un quotidien qui les paralyse. Statiques, ils semblent dans l’attente d’un mouvement, d’un élan libérateur qui ne vient pas.

Face à ce climat incertain, certains artistes ouvrent tant bien que mal le champ des possibles. Les images mouvantes entrent ainsi résonnance avec les clichés fixes, pensés comme des arrêts nécessaires sur des situations précises. De ce dialogue aux accents poétiques et dramatiques jaillit une tentative de recomposition. Des repères temporels et géographiques alternatifs s’érigent alors pour délimiter d’autres points de passages pour survivre à l’exil de soi et de sa communauté. Entre fiction et documentaire, les approches mettent en lumière une conscience du tragique qui se heurte irrémédiablement au désir de s’émanciper pour aborder de nouveaux horizons.

Yto Barrada, Ferry boat Tanger-Algesiras, série Le détroit, notes sur un pays inutile, 2000, FNAC 01-080, Centre national des arts plastiques, en dépôt au Carré d’Art, musée d’art contemporain de Nîmes.©courtesy de l’artiste/ Cnap, crédit photo : Yves Chenot

Se transformer et se réinventer

À cet effet, Safia Benhaim raconte notamment l’histoire d’une femme qui retrouve sa terre natale après de longues années d’exil politique. Dans la peau de l’enfant qu’elle était alors au moment de ce départ contraint et précipité, elle interroge l’ancrage dans un territoire qui la rejette. En réponse à ces pérégrinations mentales, la petite fille se transforme et se réinvente enfin en une créature imaginaire. 

Dans un autre genre, Yto Barrada photographie ces milliers d’anonymes qui, chaque jour, franchissent le détroit de Gibraltar pour gagner l’Europe dans l’espoir d’un avenir meilleur, qu’importe le prix à payer. En guise de conclusion, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige présentent des vidéos en diptyque qui mettent en scène le trajet des migrants. En creux, un questionnement sous-jacent se dessine finalement : que convient-il de montrer ou de raconter ? De quels évènements l’histoire collective doit-elle se souvenir ?

Les Sentinelles, à l’Institut du Monde Arabe de Tourcoing, jusqu’au 12/02/2022.

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Article rédigé par
Apolline Coëffet
Apolline Coëffet
Journaliste