Critique

Amer M. et Colette B. : un diptyque théâtral sur l’exil et l’identité

31 janvier 2022
Par Félix Tardieu
"Amer M" de Joséphine Serre
"Amer M" de Joséphine Serre ©Tuong-Vi Nguyen

Deux simples noms, deux visages inconnus, deux minces fils à partir desquels la dramaturge Joséphine Serre tisse un récit à mi-chemin entre la fiction et l’enquête. Les deux pièces, conçues comme un ensemble indissociable, sont à découvrir en ce moment au Théâtre de la Colline.

Tout part d’un hasard : en 2010, Joséphine Serre trouve dans sa boîte aux lettres un portefeuille rempli de petits papiers, appartenant à un certain Amer M., un algérien kabyle arrivé en France en 1954. Épluchant les quelques documents qui s’y trouvent, la dramaturge tente de recomposer l’histoire d’Amer et ce qu’a pu être sa vie sa France. Joséphine Serre, qui raconte sur scène sa trouvaille en même temps que les personnages prennent vie sous les yeux du public, ressentira d’ailleurs le besoin de faire le chemin inverse, de gagner l’Algérie depuis la France, de retourner sur les traces d’Amer et de recomposer les pièces du puzzle. La paperasse administrative qui dicte les contours d’une identité envahit alors le décor et nous plonge dans un Odyssée moderne, en quête d’une mémoire disparue : la réalité du vécu compte finalement moins que la mise en récit d’individus anonymes devenant, grâce aux puissances de l’imagination, les héros de leurs propre(s) histoire(s).

Guillaume Compiano incarne Amer M. dans la pièce de Joséphine Serre ©Tuong-Vi Nguyen

Amer M., monté pour la première fois en 2016, est aujourd’hui complété par Colette B., du nom de la mystérieuse pianiste à Radio France dont la carte de visite, trouvée dans le portefeuille d’Amer, entretient la possibilité d’une relation entre les deux êtres et démultiplie les possibilités narratives. Joséphine Serre imagine alors la vie de Colette B., incarnée à la fois sur scène par Camille Durand-Tovar et la pianiste France Pennetier. Trois lettres manuscrites, une carte de visite, un rendez-vous sur un banc : à partir de ces éléments disparates, Joséphine Serre déploie son écriture théâtrale et esquisse en quelque sorte le portrait-robot ce personnage de Colette, qu’elle imagine  alors « pied-noir », française d’Algérie ayant dû quitter Oran dans la précipitation lors de l’indépendance du pays.

Camille Durand-Tovar incarne Colette B. dans la pièce de Joséphine Serre ©Tuong-Vi Nguyen

Ce second volet, tout aussi indispensable, rappelle sur scène le même quatuor d’interprètes – Xavier Czapla, Guillaume Compiano, Camille Durand-Tovar, Joséphine Serre – mais s’engage dans une direction sensiblement différente. Amer M. mettait surtout en scène la rencontre entre les archives et le travail de l’écriture, ou comment, à partir d’un seul objet, donner naissance à un personnage en chair et en os et faire oeuvre de théâtre. Plus fluide et aéré, comme enfin délesté du poids des documents, Colette B. profite pleinement du vide laissé par l’histoire d’Amer et offre alors aux comédiens tout l’espace et le temps nécessaires pour habiter leurs personnages.

Amer M. / Colette B, Théâtre national de la Colline, du 29 janvier au 20 février 2022 – Amer.M les mar. et jeu. À 20h, Colette B. les mer. et ven. à 20h / Version intégrale le sam. à 18h et le dim.

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Article rédigé par
Félix Tardieu
Félix Tardieu
Journaliste
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