Critique

Toute la vérité de Adrien Béal : pièce à conviction(s)

28 janvier 2022
Par Félix Tardieu
Toute la vérité - Adrien Béal
Toute la vérité - Adrien Béal ©Martin Argyroglo

Dans cette création collective, le metteur en scène Adrien Béal et la compagnie du Théâtre Déplié poursuivent un travail entamé avec Perdu connaissance (2018) et Les Pièces manquantes (2020) qui prend appui sur la pensée de Michel Foucault.

Dans Toute la vérité, Adrien Béal et la troupe du Théâtre Déplié articulent cinq fictions distinctes, identifiables par des gestes associés aux cinq sens, et pensées comme cinq chapitres d’une seule et même réflexion autour de la vérité. Anodins en surface – un baiser, une odeur, un regard, une écoute –  ces gestes liés de près ou de loin à la sexualité et au corps mettent en réalité au jour des rapports complexes entre les individus, voire des individus avec leur propre intériorité. Le spectateur est là, en embuscade, face au plateau, comme un enquêteur derrière un miroir sans tain : dans ce décor que l’on se figure incomplet ou désordonné, rien n’est laissé au hasard : malgré l’espace qui s’offre aux comédiens, tout est dans la lumière, aucun corps ne peut échapper aux projecteurs et aux regards un brin réifiants. Tour à tour, les personnages passent ainsi aux aveux – l’aveu, cette notion absolument centrale dans la conception de Michel Foucault de la vérité et qui a présidé à l’écriture de cette pièce – et se livrent sur leurs expériences sensibles.

Toute la vérité – Adrien Béal/Théâtre Déplié ©Martin Argyroglo

Tout part d’un baiser interdit entre un frère et une soeur après l’enterrement de leur frère aîné. À partir de ce fait initial, de ce tabou, la pièce travaille alors à dévoiler les procédures d’aveu – conscientes ou inconscientes – opérant entre les individus à travers des institutions telles que la famille ou la médecine. Le plus souvent, cette procédure d’aveu semble provenir du fond de l’individu lui-même, d’un corps qui aurait intériorisé ces lois et ces normes (processus que Foucault désignerait sans doute sous le terme de « subjectivation ») qui produisent une vérité à un instant t. La pièce ne lésine pas sur les silences, les répétitions, se faisant l’écho des discours subrepticement énoncés.

Le tout est alors porté par des comédiens habités, mis à nu (à cet égard, la pièce en devient une réflexion sur la nature même du théâtre et la fonction de l’acteur), dont on sent d’un bout à l’autre l’implication dans la création de la pièce. Pensé comme un « observatoire de rapports », ce petit théâtre de l’intime se suffit à lui-même et n’a heureusement pas besoin d’expliciter son ancrage théorique pour être efficace : en un peu plus d’une heure seulement, la pièce parvient à dilater ce court laps de temps qui précède la parole et où s’immisce la production discursive de la vérité.

Toute la vérité (Adrien Béal / Théâtre Déplié) – avec Caroline Darchen, Pierre Dévérines, Adèle Jayle, Julie Lesgages, Etienne Parc, Cyril Texier – Théâtre de Gennevilliers (T2G), du 25 janvier au 06 février 2022.

À lire aussi

Article rédigé par
Félix Tardieu
Félix Tardieu
Journaliste