Le premier tome de King Spawn, sorti en France par Delcourt le 14 septembre, fait entrer le personnage iconique de Todd McFarlane et Image Comics dans une nouvelle ère, placée sous le signe du travail en équipe.
Spawn, c’est une histoire vieille comme le monde : un homme qui n’a rien d’un ange se retrouve en enfer et accepte d’y vendre son âme pour avoir une chance de revoir la femme qu’il aime. Une histoire d’amour, en somme. Mais, dans le cas d’Al Simmons, mercenaire trahi par sa hiérarchie et trompé par Malebolgia, le démon qui ne lui a pas exactement rendu la vie, tout s’est vite compliqué.
Depuis sa naissance en 1992, l’antihéros de Todd McFarlane tente de trouver sa place dans une guerre éternelle entre l’Enfer et le Paradis (l’un étant à peine pire que l’autre), tout en préservant les êtres qui lui sont chers. Une mission quasi impossible qu’il a fini par remplir en imposant aux deux partis un statu quo grâce à une forme de diplomatie ultraviolente qui est sa marque de fabrique. Personne ne sort vraiment gagnant de ce genre de négociations, mais la situation semblait s’être stabilisée, jusqu’à la publication de King Spwan qui rebat les cartes.
Les Avengers venus de l’Enfer
En marge de la série principale, qui détient le record de la plus longue série régulière indépendante de l’histoire des comics avec ses plus de 330 numéros, King Spawn se donne beaucoup d’ambitions. La première : offrir au héros un univers partagé digne de celui des Avengers ou de la Justice League. La seconde : embarquer avec lui aussi bien les fans de la première heure que les nouveaux venus.
Pour les premiers, le pari semble gagné d’avance. Outre-Atlantique, le premier numéro du titre a créé la sensation à sa sortie l’an dernier, en enregistrant plus de 497 000 précommandes, devenant la sortie super-héroïque la plus vendue de ces 25 dernières années. Quelque temps avant sa publication dans l’Hexagone, Thierry Mornet, responsable éditorial comics chez Delcourt, assurait que le personnage, pourtant moins célèbre chez nous, suscitait le même engouement auprès des fans qui avaient déjà pré-acheté « plusieurs centaines d’exemplaires de l’édition spéciale distribuée par la librairie Pulp’s ».
Un signe encourageant selon l’éditeur, montrant que les amateurs du Spawn ne s’y trompent pas : ce renouveau a tout pour leur plaire. Et ils ont raison. Les premiers chapitres de King Spawn explorent comme il se doit le registre de polar noir tendance Dark Fantasy horrifique qui a fait la réputation du personnage. Fait non négligeable pour un héros dont la capacité de séduction a souvent tenu aux talents de dessinateur de Todd McFarlane ou Gregg Capullo, et sa mise en scène est magnifiquement servie par Javi Fernandez. Le style de l’artiste espagnol exploite au mieux l’aspect horrifique de Spawn et les possibilités graphiques qu’offrent ses chaînes et sa cape symbiotique. Cela ravira les fans de la première heure, qui verront malgré tout leur idole évoluer.
Si Al Simmons reste un antihéros torturé et colérique au point d’en devenir parfois primaire, il ne peut plus désormais jouer les cavaliers seuls. Jessica Priest, alias Miss-Spawn, le prévient très vite : « Tu n’es pas seul sur ce coup. Alors arrête de la jouer en solo. » Voilà la nouvelle dynamique de Spawn, qui a certes déjà eu des alliés, mais n’a pas passé son existence entouré de Robins comme d’autres justiciers à la noirceur légendaire. Et il faut reconnaître que le travail d’équipe réussit bien au Spawn.
Même si ce n’est encore qu’esquissé par ce premier tome, on sent bien qu’Al Simmons va devoir cesser de se comporter comme « un maudit roi » et se remettre un peu en question. Les Avengers et la Justice League sont régulièrement animés par ces mêmes frictions et, de ce point de vue, on peut reconnaître que le premier objectif de Todd McFarlane est rempli : la dynamique de groupe apporte un plus. Le second est aussi partiellement réussi, puisqu’il parviendra à embarquer sans problème les aficionados dans cette aventure. Mais qu’en est-il des nouveaux lecteurs ?
La nouvelle vie d’un trentenaire indépendant
On l’a dit, Spawn est une série qui bénéficie d’une longévité extraordinaire pour un titre en « creator own », autrement dit qui appartient entièrement à son créateur. « C’est assez incroyable, surtout quand on voit l’implication de Todd McFarlane tout au long de la série », insiste Thierry Mornet. Il a en effet porté son héros à bout de bras pendant des années, même s’il a su bien s’entourer (en faisant appel notamment à Neil Gaiman, Alan Moore ou Grant Morrison). Il a surtout eu la bonne idée de ne jamais refaire de numéro 1. Ce fameux reboot, qui est devenu l’ingrédient principal des recettes Marvel et DC ces dernières années au risque de perdre les lecteurs, n’est pas dans l’ADN de Spawn.
Voilà pourquoi Delcourt se retrouve aujourd’hui avec une collection d’une trentaine d’albums qui accompagnent le héros depuis ses débuts jusqu’à ces dernières aventures, sans compter les spin-offs. Commencer Spawn aujourd’hui est donc assez facile, puisque l’on sait où démarrer. Mais rattraper son retard représente un sacré investissement en temps et en argent.
Heureusement, King Spawn offre une porte d’entrée supplémentaire pour rejoindre le héros à un moment charnière de son existence. La quête dans laquelle se lancent Al Simmons et ses alliés dans cette nouvelle série les ramène en effet aux origines du héros, ce qui permet au lecteur de saisir, à gros traits, ce qu’il a vécu ces 30 dernières années et de comprendre l’importance de personnages iconiques comme Billy Kincaid, Jason Wynn ou encore Wanda.
L’éditeur français de King Spawn a voulu faciliter cette compréhension de l’univers en intégrant des passages pertinents de Spawn Universe – titre accompagnant l’expansion de l’univers lié au personnage aux États-Unis – à cet album. Il en sera de même pour Gunslinger et Scorched, séries inédites à paraître en novembre 2022 et janvier 2023, qui accompagneront la nouvelle ère Spawn. Tout est donc fait pour aider les nouveaux lecteurs à prendre en marche le train vers les enfers. Et c’est tant mieux, car, malgré sa relative discrétion en France, Spawn n’en reste pas moins un personnage important de la pop culture américaine.
Héros de bande dessinée mais aussi de films et de séries animées, il est l’emblème d’Image Comics, une maison d’édition fondée en 1992 par Todd McFarlane et toute une génération d’artistes lassés de travailler pour Marvel et DC, et bien décidés à être les seuls maîtres de leurs créations. Et si Image a pu publier des pépites comme The Walking Dead et Saga, c’est en partie parce que Spawn lui a permis de se lancer sur de bons rails. Ainsi, même si aujourd’hui son look et son ultraviolence hérités des années 1990 lui donnent des airs un peu démodés, cet antihéros continue de mériter l’attention de tous ceux qui n’ont jamais vu le monde en noir et blanc, comme une opposition entre le Paradis et l’Enfer, entre Marvel et DC, mais qui ont toujours préféré garder un esprit indépendant.