La 76e édition du Festival d’Avignon a lieu du 7 au 26 juillet dans la Cité des Papes. Elle clôture la présidence d’Olivier Py, dramaturge, acteur et metteur en scène, à sa tête depuis 2013. À quelques semaines de la fin de sa mandature, nous avons échangé avec lui.
L’an dernier, la thématique était “Se souvenir de l’avenir”. Cette année, vous avez choisi de mettre les histoires à l’honneur avec “Il était une fois”. Vous vous tournez à nouveau vers l’avenir, en vous adressant au peuple, à la jeunesse et en appelant à la résistance dans votre édito de la programmation officielle. Pourquoi est-ce important, selon vous, de raconter des histoires dans un monde abîmé ?
Il faut constater que les récits, la narration, les histoires, les petites histoires et la grande histoire, la façon dont elle est racontée, sont de plus en plus agissants en politique. Aujourd’hui, on a l’impression que les mouvements du monde sont beaucoup plus construits à partir de récits, et quelques fois de récits fictionnels, que d’idéologies. Il y a ce glissement qui me semble extrêmement important.
On parle de “roman national”, on parle de “narratif”, par exemple dans la guerre en Ukraine, et c’est vrai qu’on voit deux récits s’opposer, et qui ont un rôle – jusqu’à avoir un rôle militaire. Par ailleurs, il y a de nouveaux moyens que nous connaissons tous, les réseaux sociaux, qui produisent aussi des récits, de nouvelles formes de récits et quelques fois des récits faux, ou fallacieux, mais qui ne se donnent pas comme tels.
Donc comment le théâtre fait récit, c’est aussi une question politique. Ce sont des questions qu’on va essayer d’ouvrir pendant ce festival. C’est vrai que c’est une thématique de toutes nos éditions, puisque c’est consubstantiel à l’histoire du théâtre.
Cette année, 27 des 46 metteurs en scène sont des femmes, la moitié des productions viennent de l’étranger, dont une partie du Moyen-Orient. L’affiche a été réalisée par Kubra Khademi, une artiste féministe afghane en exil. Kirill Serebrennikov, opposant au régime de Poutine, est à l’honneur : il ouvrira le Festival dans la cour d’honneur du Palais des Papes avec Le Moine noir. Qu’est-ce que ça implique, de faire le choix d’une programmation engagée ?
Il faut faire attention, les artistes sont engagés mais il ne faut pas les réduire à cette fonction-là. Kirill Serebrennikov, avant d’être un opposant à Poutine, est un très grand artiste, et c’est d’abord en tant que très grand artiste qu’il est dans la cour du Palais des Papes.
On ne choisit pas les artistes parce que ce sont des femmes, on choisit les artistes parce que ce sont des artistes avec qui on a envie de travaille
Olivier PyDirecteur du Festival d’Avignon
L’affiche de Kubra Khademi n’a pas l’air d’être très politique, mais elle parle évidemment de la place des femmes, puisqu’elle se représente elle-même et souvent nue, notamment contre la violence des Talibans. Et puis, sous les pieds de ce personnage, il y a des petites feuilles vertes : pour elle, c’est une évocation de son rapport à l’éco-responsabilité. Mais là aussi, au-delà de cet engagement, c’est d’abord une artiste qui est présente.
Il en va de même pour la programmation, qui depuis maintenant deux ans, est paritaire : on ne choisit pas les artistes parce que ce sont des femmes, on choisit les artistes parce que ce sont des artistes avec qui on a envie de travailler. Donc il faut faire très attention à ce que l’engagement des artistes ne soit pas leur seule légitimité. Le but d’un artiste, c’est de faire de l’art.
Cela étant, le Festival d’Avignon lui-même, je crois depuis sa fondation, depuis Jean Vilar, a toujours eu une part… on peut dire d’engagement, on peut dire de responsabilité, on peut dire de volonté de conscience, on peut dire de tentative de réunir une communauté d’esprits. Il y a un rôle politique du Festival, il est incontestable. Plus lamanifestation gagne en prestige, et plus ce rôle est important. Après tout, aujourd’hui, même le sport est chargé d’éléments politiques ; comment le théâtre ne le serait-il pas alors que ça appartient à son origine ?
Cette 76e édition est aussi votre dernière en tant que directeur. Quel bilan faites-vous de votre présidence, un mandat de dix ans marqué par une pandémie et des enjeux écologiques et sociaux qui se font de plus en plus pressants ?
Moi, j’ai des souvenirs, mais je ne fais pas de bilan. En plus, j’avoue que je n’ai pas du tout construit cette chose-là : j’ai fait chaque festival en rapport au présent, passionné par le présent ; revenir en arrière ne m’intéresse pas vraiment. Je n’ai pas conçu cette édition de manière récapitulative ou comme un bilan. Donc je ne sais pas.
Mais je peux constater qu’il y a des choses du Festival qui ont avancé. Son prestige international a vraiment grandi, et ça je le constate chaque fois que je voyage. On vient d’en parler, l’écho politique du Festival a probablement beaucoup grandi aussi. Son public s’est rajeuni et s’est certainement diversifié. Le Festival, pas simplement pendant le mois de juillet, mais toute l’année, a tissé des liens qu’il n’avait pas autrefois avec le territoire d’Avignon, et ça c’est vraiment très important. C’est une part de l’engagement.
Le Covid a arrêté le théâtre, ça paraît incroyable, alors que les nazis n’y ont pas réussi.
Olivier PiDirecteur du Festival d’Avignon
Il y a des écoles, des lycées… Il y a un vrai travail avec toute l’Éducation nationale maintenant, qui est un travail à l’année – on est partis de zéro à ce niveau-là, le Festival était purement estival. Travailler avec des associations, aller dans les prisons, ça a fait partie du travail du Festival, je crois que c’est extrêmement important.
Le public n’en finit pas de grandir, les pouvoirs publics n’ont pas toujours conscience, je crois, des retours économiques qu’offre cet événement. Je pense qu’il faudrait indexer les subventions sur le retour économique qu’il représente. Il y a là, à mon avis, un manque d’ambition de la part des pouvoirs publics face à l’importance de ce festival pour ce territoire.
Pour finir, comment envisagez-vous l’avenir pour le théâtre, en ces temps troublés ?
Le théâtre a traversé des temps bien plus troublés : on jouait sous l’Occupation. Le Covid a arrêté le théâtre, ça paraît incroyable, alors que les nazis n’y ont pas réussi. Donc il faut se remettre, il faut que le public retrouve le chemin des salles, c’est très important. Ça a lieu au Festival, parce que c’est le Festival, mais toute l’année, ce sera peut-être difficile.
Et puis, il faut continuer à faire ce que nous avons fait, c’est-à-dire à donner la parole à la jeunesse. Le Festival n’est pas ce qu’il est s’il n’y a pas des découvertes de talents. Ce qui importe, c’est qu’une jeunesse se saisisse de la chose théâtrale, pas de répéter éternellement les mêmes gestes avec les mêmes artistes. C’est fondamental.