Chef d’œuvre du roman français, l’ensemble de vingt romans écrits par Émile Zola et regroupés sous l’appellation Les Rougon-Macquart est un tour de force. D’abord pour sa capacité à inventer tout en ne déviant jamais de l’objectif, et ensuite pour avoir marqué à jamais ses lecteurs. Du curieux qui se jette à l’eau à l’écolier qui rechigne avant de tomber accroc, qui n’a pas été confronté à l’un de ces romans ? Pas une raison toutefois pour faire l’économie d’une petite remise à niveau.
Les Rougon-Macquart plus forts que La Comédie Humaine ?
Comment conçoit-on, à vingt-huit ans, une œuvre littéraire aussi forte et marquante ? Avec une bonne dose de talent et en s’inspirant des meilleurs. Émile Zola est, en 1868, journaliste et critique littéraire dans divers journaux qui lui permettent de publier ses nombreux textes. Après avoir essayé la plupart des emplois qui lui permettaient d’utiliser sa qualité de plume, le jeune Émile trouve un semblant de stabilité dans la vie de journaliste et publie entre autres Thérèse Raquin en 1867. La découverte quelques années plus tôt de l’œuvre de Balzac par l’entremise de ses connaissances, notamment le philosophe Hyppolyte Taine, est une révélation pour Zola qui décide donc de se lancer dans un projet incroyablement ambitieux et résumé par le sous-titre apposé aux romans du cycle des Rougon-Macquart : Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire. Tout un programme.
Honoré de Balzac a regroupé sous le titre La Comédie Humaine plus de quatre-vingt-dix ouvrages qui se répondent, se croisent, élargissent le propos et forment une œuvre somme qui se veut être le miroir de la société française de la première moitié du XIXème siècle. Après avoir digéré cet ensemble, Émile Zola décide donc en 1868 de se lancer dans sa propre tentative de représenter ses contemporains. Mais s’il admire Balzac, il ressent également le besoin de s’en éloigner. Là où La Comédie Humaine dépeint la société tout entière, Zola veut se concentrer sur une famille, en montrant l’influence du milieu sur l’homme. Moins sociale que Balzac, son approche se veut scientifique, naturaliste.
Anatomie des Rougon-Macquart
Contrairement à Balzac qui a construit La Comédie Humaine au fur et à mesure des romans et nouvelles, revenant sur ses créations par la suite pour solidifier l’ensemble, Zola planifie son œuvre en détail. Dès 1868, avant même de rédiger le premier roman de la série, il dresse l’arbre généalogique de cette famille. Il y apportera quelques retouches au fil des ans, la version définitive étant fixée dans le dernier roman, Le Docteur Pascal, mais l’essentiel était là. Il écrit même trois textes qui exposent chacun un aspect de l’œuvre à venir et ses différences avec celle de Balzac. Tous les personnages principaux ont ainsi dès le début une courte biographie qui expose leur métier, leur lien avec les autres membres de la famille, leur caractère, en s’appuyant sur des thèses en vogue à l’époque concernant l’hérédité.
Mais alors ces Rougon-Macquart, qui sont-ils ? Zola leur donne comme ancêtre Adélaïde Fouque, fille d’un riche maraîcher atteinte d’une légère folie. D’abord mariée à son garçon jardinier, Rougon, dont elle a un fils, Pierre, elle entretient ensuite une relation avec Macquart à la mort du premier. Contrebandier alcoolique et paresseux, ce dernier est le père d’Antoine et Ursule. Ces trois enfants donnent naissance aux trois branches de la famille. Les Rougon, commerçants pour la plupart, naviguent dans le monde de la petite bourgeoisie et sont caractérisés par l’appât du gain. Les Mouret voient régulièrement réapparaître la fragilité mentale de l’aïeule. Les Macquart, eux, représentent la branche terrienne, ouvrière, de la famille, doublée d’un penchant pour l’alcoolisme hérité du premier Macquart. Tout ceci permet à Zola d’évoquer un à un les différents pans de la société du Second Empire, Église, commerce, armée, politique, monde ouvrier dans lesquels se débattent ses personnages.
Rougon-Macquart : les incontournables
(Dans l’ordre de lecture recommandé par Zola)
La Fortune des Rougon (1871)
Émile Zola a voulu donner à La Fortune des Rougon, véritable roman des origines, toutes les caractéristiques d’un prologue pour sa grande œuvre à venir. L’action se déroule à Plassans, ville fictive du sud de la France calquée sur Aix-en-Provence où le jeune Zola a passé une partie de son enfance. Les évènements du roman se situent en même temps que le coup d’État du 2 décembre 1851 par lequel Napoléon III s’emparait du pouvoir et mettait un terme à la Deuxième République. Pierre Rougon, fils d’Adélaïde Fouque et éternel ambitieux, s’empare du pouvoir politique et consacre son accession au sein de la bourgeoisie en jouant des peurs des notables locaux contre les insurgés républicains.
La Fortune des Rougon permet à Zola d’établir le cadre familial de sa saga naissante. Il introduit les personnages qui vont peupler ses romans jusqu’à la fin et les tares héréditaires qui vont handicaper ses héros, de la folie à l’ivrognerie en passant par l’ambition dévorante.
Au Bonheur des Dames (1883)
Roman qui fait suite à Pot-Bouille, Au Bonheur des Dames continue l’histoire d’Octave Mouret mais celui-ci est relégué au second plan. En effet, le roman se concentre sur les femmes, et en particulier l’une d’entre elles, Denise Baudu. Zola a le désir de faire de ce roman un roman optimiste, célébrant l’activité moderne, les triomphes du siècle, en se plongeant dans le monde naissant des grands magasins.
L’action se déroule entre 1864 et 1869. Denise Baudu arrive à Paris en compagnie de ses frères pour travailler dans la petite échoppe de son oncle mais découvre vite que seuls les grands magasins proposent un emploi. Une fois embauchée au Bonheur des Dames, elle assiste à la mort des petits commerces et navigue dans le monde cruel des petites vendeuses. Le directeur du magasin Octave Mouret la remarque et lui confie de plus en plus de responsabilités avant de la demander en mariage.
L’assommoir (1877)
Premier grand succès de Zola et l’un des livres les plus vendus de l’époque, L’Assommoir raconte l’histoire de Gervaise Macquart, petite-fille d’Adélaïde Fouque originaire de Plassans, boiteuse mais plutôt jolie, qui débarque à Paris à la suite de son amant Auguste Lantier accompagnée de leurs enfants. Lantier parti avec une autre femme, Gervaise reprend alors le métier de blanchisseuse qu’elle occupait à Plassans. Elle se remarie avec Coupeau qui lui donne une fille, Anna Coupeau, héroïne du roman Nana.
Ouvrage totalement consacré au monde ouvrier, L’Assommoir se veut pour Zola une description la plus fidèle possible de la vie des classes laborieuses au milieu du XIXème siècle. S’attachant à décrire les conditions de vie, la langue et les mœurs des ouvriers tout en n’omettant pas les ravages de la misère et de l’alcoolisme, il tente d’écrire un roman qui ne ment pas.
La Bête Humaine (1890)
Dix-septième volume de la série Les Rougon-Macquart, La Bête Humaine est un roman noir, presque un thriller du XIXème siècle qui a choqué les lecteurs de l’époque. Il met en scène Jacques Lantier, deuxième fils de Gervaise Macquart qui fut ajouté tardivement à la généalogie des Rougon-Macquart car Zola ne voyait pas en Claude ni Étienne, ses frères, le caractère suffisant pour le rôle. Mécanicien presque amoureux de sa locomotive, la Lison, elle-même quasiment un personnage à part entière, il est un employé méritant malheureusement affublé de pulsions meurtrières. Il se retrouve presque à son corps défendant impliqué dans une histoire de meurtre à la suite de Roubaud et de sa femme Séverine qui deviendra sa maîtresse.
Formidable évocation du monde des chemins de fer, le roman oscille entre les gares de Paris Saint-Lazare et du Havre au gré des nombreux rebondissements qui émaillent l’intrigue.
Germinal (1885)
Roman situé dans le bassin minier du Nord-Pas-De-Calais, Germinal raconte l’histoire d’une communauté de mineurs qui se met en grève contre une baisse de salaire décidée par la Compagnie des Mines. Le héros, Étienne Lantier, fils de Gervaise Macquart, se fait embaucher aux mines de Montsou et découvre les effroyables conditions de travail des mineurs. Incitant ses congénères à se révolter, il les mène au désastre tout en éveillant en eux le désir de jours meilleurs et la conscience de leur force.
Pour décrire au mieux la vie des mineurs, Zola fit comme à son habitude de nombreuses recherches et des séjours dans une véritable mine, renforçant l’aspect documentaire de l’ensemble. Probablement le roman le plus connu d’Émile Zola, Germinal fut un succès d’édition partout dans le monde et eut l’honneur de nombreuses adaptations au théâtre, au cinéma et en série tv.
Le Docteur Pascal (1893)
Vingtième et dernier volume de la série Les Rougon-Macquart, Le Docteur Pascal est un roman particulièrement cher à son auteur. Situant l’action après la chute du Second Empire, Zola donne avec cet ouvrage une conclusion scientifique, philosophique et morale à l’histoire de la famille. Le thème en est ainsi l’hérédité, thème cher à Zola et fil conducteur de tous les autres romans. Pascal Rougon, fils de Pierre, héros du premier roman, est un médecin vivant à Plassans. L’œuvre de sa vie consiste à documenter l’histoire de sa famille et l’incidence de l’hérédité sur le caractère de chacun de ses membres. En butte à l’obscurantisme symbolisé par sa mère, il trouve le bonheur dans une relation incestueuse avec sa nièce Clotilde.