Œuvre littéraire inspirée par l’histoire de son auteur, l’autobiographie convoque le romanesque pour transcender le personnel en universel. Des classiques de romain Gary et Hervé Bazin jusqu’aux confidences de Brett Easton Ellis, en passant par les inspirations d’Amélie Nothomb, Myriam Leroy ou encore Cyril Collard, de nombreux écrivains ont choisi le roman autobiographique pour se raconter. Voici une sélection chronologique et variée de récits intimes qui parlent à tout le monde.
Vipère au poing (1948) – Hervé Bazin
En rupture familiale depuis ses vingt ans, Hervé Bazin suit des études de lettres à la Sorbonne avant de débuter dans l’écriture par la poésie. Récompensé en 1947 pour son premier recueil, il passe au roman un an plus tard en s’inspirant abondamment de sa relation conflictuelle avec une mère qu’il déteste. Roman incontournable de la maltraitance intra-familiale et de la haine maternelle, Vipère au poing livre le récit du combat quotidien d’un garçon surnommé Brasse-Bouillon et de sa fratrie contre l’odieuse marâtre qui les élève en vase clos. Plongée dans l’intimité malsaine d’une famille de la haute bourgeoisie provinciale, ce classique de la littérature du XXe siècle n’a rien perdu de sa force.
Les Promesses de l’aube (1960) – Romain Gary
Quand on l’interrogeait sur la dimension autobiographique de La Promesse de l’aube, Romain Gary répondait que son « souci de l’art s’était à chaque instant glissé entre la réalité et l’œuvre ». Une belle formule qui a le double avantage de mettre à distance sa propre histoire et de définir avec justesse ce qu’est une autofiction ou un roman autobiographique. Dans ce classique du genre publié en 1960, l’auteur, en passe de quitter sa carrière de diplomate, se glisse avec pudeur et poésie dans les mots d’un narrateur anonyme retraçant le lien complexe et indéfectible qui l’unit à une mère excessivement aimante dédiée corps et âme à l’adoration de son fils.
Les Nuits fauves (1992) – Cyril Collard
Cinéaste, écrivain et musicien, Cyril Collard traverse les années 80 avec l’insouciance chargée d’énergie libertaire qui caractérisait une jeunesse encore déterminée à jouir sans entrave malgré la menace bien réelle d’un virus dévastateur. Coïncidant avec la révélation publique de sa séropositivité, il publie en 1989 un second roman largement inspiré par sa propre vie. Œuvre générationnelle malgré elle, Les Nuits fauves retrace le parcours débridé d’un trentenaire bisexuel et séropositif, amoureux d’une adolescente qu’il va contaminer lors de leur premier rapport sexuel. En 1993, un an après l’immense succès, parfois controversé, de son adaptation du roman au cinéma, Cyril Collard décède du sida à 35 ans.
Stupeur et tremblements (1999) – Amélie Nothomb
Depuis son entrée en littérature, Amélie Nothomb s’emploie à rendre aussi romanesque une histoire née de son imagination fertile qu’une tranche de sa propre vie. Très à l’aise dans l’exercice du récit autobiographique, elle puise régulièrement dans son histoire personnelle pour trouver le carburant nécessaire à satisfaire son irrépressible besoin d’écriture. Avec Stupeur et tremblements, son septième roman publié en 1999, l’écrivaine belge retraçait son expérience professionnelle dans un Japon qu’elle redécouvre après y avoir vécu durant l’enfance. Entre un monde du travail impitoyable et la singularité de la mentalité nippone, la jeune femme s’accroche de toutes ses forces pour ne pas plier sous un choc culturel d’une grande violence.
Le Lambeau (2018) – Philippe Lançon
Critique littéraire régulièrement récompensé pour ses écrits, Philippe Lançon survit miraculeusement au massacre qui eut lieu le 7 janvier 2015 dans les locaux de Charlie Hebdo. Gravement blessé à la mâchoire, meurtri au plus profond de sa chair, il trouve dans l’écriture l’acte résilient indispensable pour surmonter la tragédie. Récit autobiographique poignant d’une immense qualité littéraire, Le Lambeau raconte une histoire atroce qui finit bien. Une histoire de destruction violente suivi d’une reconstruction apaisante, celle d’un presque mort qui revient pleinement à la vie malgré la douleur et l’horreur.
Les Yeux rouges (2019) – Myriam Leroy
Journaliste et romancière belge, Myriam Leroy débute sa carrière littéraire par le théâtre avant de passer au roman avec le récit inconfortable d’une amitié toxique entre deux adolescentes. L’année suivante, elle s’inspire d’une malheureuse expérience personnelle de harcèlement pour écrire Les Yeux rouges. Dans un style quasi épistolaire composé en partie de verbatims numériques, elle déroule avec réalisme l’histoire glaçante d’une journaliste de la TV belge ciblée, menacée et agressée par un de ces ignobles crétins digitaux qui déversent anonymement et quotidiennement leur bile masculiniste et raciste sur les réseaux sociaux.
L’Année du singe (2020) – Patti Smith
Figure de proue du punk intello new-yorkais de la fin des seventies, Patti Smith est avant tout une artiste complète doublée d’une poétesse qui a choisi d’électrifier ses vers pour mieux les déclamer. Entrée depuis longtemps au patrimoine du rock et de la pop culture, elle est également l’autrice accomplie de plusieurs recueils de poésie et de photographie, d’essais et surtout de magnifiques romans autobiographiques. Publié en 2020, L’Année du singe entre justement dans cette dernière catégorie qu’elle prise particulièrement. Lors de cette errance à la fois existentielle et onirique, Patti se souvient avec mélancolie, digresse avec fantaisie, pleure des amis disparus et guette les signes d’un temps qui passe, inexorablement.
Les Éclats (2023) – Brett Easton Ellis
Cynique et nihiliste pour certains, brillant et clairvoyant pour d’autres, Brett Easton Ellis s’est fait une spécialité de ne jamais laissé personne insensible à ce qu’il écrit. Propulsé à 21 ans au rang de nouvelle star du roman US avec un premier roman croquant avec cruauté la vacuité d’un groupe d’étudiants blancs et aisés, il passe à la postérité six ans plus tard avec une histoire de tueur psychopathe d’une violence rarement atteinte. Septième roman seulement en près de quarante ans de carrière, Les Éclats marque aujourd’hui son retour à l’autofiction en exhumant d’une plume toujours aussi tranchante un terrible événement fondateur survenu durant sa jeunesse dorée californienne.