Sébastien, libraire à la Fnac Bercy-Village, présente ses coups de cœur du mois. Deux romans policier en ce mois de mars, communément appelé « mois du polar » avec le grand festival consacré au genre qui se déroule à Lyon. L’un se situe dans la vague thriller classique : frissons garantis et enquête palpitante. L’autre pourrait être qualifié de sociétal entre la fresque historique, la saga familiale et le roman d’espionnage. Deux excellentes lectures que je vous conseille ardemment.
Une Saison pour les ombres – R.J. Ellory (Sonatine)
Alors qu’il a construit sa vie à Montréal, Jack Devereaux doit retourner dans la petite ville où il a passé son adolescence : Jasperville, à l’extrême Nord-Est du Canada. Son frère cadet, Calvis, vient dêtre inculpé de tentative de meurtre et d’agression violente. Parti il y a vingt-six ans après la mort de leur mère dans de tragiques conditions, Jack n’a cessé de fuir ce moment où il n’aurait d’autre choix que de retourner dans cet endroit qui semble maudit, et pas seulement pour lui.
Il est arrivé avec sa famille au début des années 1970 dans cette cité minière isolée de tout, au milieu de nulle part, recouverte par neige et la nuit qui occupe la majeure partie du temps. Le soleil ne se lève plus en hiver et que le thermomètre atteint des températures dépassant les -30. Un milieu hostile : « le trou du cul du monde, mais gelé jusqu’à l’os« , qui est le cadre parfait pour la noirceur qui habite ce roman.
Depuis 1972, des morts violentes de jeunes filles ont émaillées l’histoire de cette bourgade ouvrière. Des corps déchiquetés, éviscérés avec une telle sauvagerie que l’explication la plus rationnelle était que ce soit l’oeuvre de bêtes féroces peuplant les alentours. Mais les ours ou les meutes de loups n’attaquent que lorsqu’ils se sentent en danger ou s’ils sont affamés. Or, il est assez difficile de penser que ces jeunes adolescentes aient pu menacer ces animaux impressionnants et les corps n’ont jamais été dévorés.
L’autre hypothèse prend sa source dans les légendes autochtones les plus obscures. Le peuple algonquin qui occupait jadis ces terres croit particulièrement à un des ces mythes : le « wendigo », sorte de bête surnaturelle, maléfique et assoiffée de sang qui s’emparerait des âmes de certains hommes jusqu’à les transformer en êtres diaboliques.
Des histoires de fantômes pour certains mais qui hantent habilement l’ensemble du récit, étayé par les cas de folie observés chez certains des habitants de cette contrée reculée et inhospitalière, comme si le diable en personne s’était emparé de leurs esprits : « L’enfer est vide, tous les démons sont parmi nous » écrivait Shakespeare.
Un contexte d’une noirceur profonde dans lequel peuvent se mettre en scène les pires de nos peurs : « on est soi-même, mais on porte en soi les fantômes de tous ceux qu’on aurait pu devenir« . Jasperville, dérivée du français « J’espère ville », devrait s’appeler « Despairville » selon Jack tant elle inspire une ambiance des plus desespérantes, navigant entre démence et folie meurtrière. Le mal, le bien et la recherche de la vérité d’un homme qui ne peut plus fuir son passé font d’Une Saison pour les ombres un des meilleurs crus de R.J. Ellory (traduit par Etienne Gomez). Son don pour camper des atmosphères sombres et son talent pour nous accrocher à l’histoire sans répit jusqu’à la dernière ligne font la différence. Un excellent polar dans la plus pure tradition du noir angoissant et addictif.
Le Cimetière de la mer – Aslak Nore (Le Bruit du monde)
En sautant de l’à-pic de sa riche propriété de Rederhaugen qui surplombe un magnifique fjord en Norvège, Vera Lind se suicide. On retrouvera son corps en bord de mer, là où sont rejetés bien d’autres cadavres depuis des années. Veuve du fondateur de la très lucrative fondation SAGA consacrée aux oeuvres diplomatiques et humanitaires, elle avait été écartée du pouvoir depuis longtemps par son fils Olav. Son testament introuvable met en émoi une famille divisée en plusieurs clans.
Ecrivaine à succès, elle avait écrit un roman qui s’avère être le témoignage de son histoire tortueuse et porteur de révélations tumultueuses. Ce manuscrit est en fait son véritable legs, le problème est que personne ne sait où il se trouve. Personne ? Pas tout à fait…
Alternant la saga familiale contemporaine et des faits bien réels de la Seconde Guerre Mondiale, le récit se fait enquête dans une ambiance à couper au couteau. Tout commence par un épisode marquant de l’histoire de la Norvège et le naufrage du DS Prinsesse le 23 octobre 1940 : point de départ du mystère, ce bateau renferme des secrets pernicieux que d’aucuns auraient préférés cacher. Comme la collaboration doublée de la quête effrénée pour l’argent et le pouvoir qui ont pour conséquences une participation active à la guerre froide ou encore à l’espionnage clandestin.
Tour à tour les intrigues s’imbriquent ou se font plus mystérieuses pour accrocher un peu plus encore le lecteur. Littéralement haletant le suspense allié à un récit savamment rythmé font de ce roman un polar indispensable.
On se suprend même parfois à se croire dans une série télé. La trame narrative est tout aussi efficace et se situe entre Succession d’HBO et Le Bureau des Légendes de Canal +. Vous rêvez d’une intrigue labyrinthique que vous ne pourrez pas lâcher ? Ce roman est pour vous et, qui plus est, il ne se contente pas d’être efficace mais est aussi instructif et original sur l’histoire de la Norvège et des rapports sociaux qui la composent. Le Cimetière de la mer renferment de nombreux cadavres oubliés et beaucoup d’affaires que certains voulaient enterrer. Aslak Nore, traduit ici par Loup-Maëlle Besançon, maîtrise tous les filons d’un suspense insoutenable et passionnant, un peu à la manière de Stieg Larsson et sa saga Millénium. Une nouvelle plume à ne pas manquer !