Entretien

Peter Doherty pour Felt Better Alive : “La France m’a peut-être sauvé la vie”

16 mai 2025
Par Thomas Ducres
Peter Doherty pour Felt Better Alive : “La France m’a peut-être sauvé la vie”

Avec « Felt Better Alive », Doherty fait plus qu’un retour remarqué ; il prouve qu’on peut avoir stoppé toutes les drogues et continuer de carburer à la meilleure des addictions : la quête d’un bon album solo. Interview du plus « rehab » des rockeurs anglais.

On peut dire qu’il revient de loin : 221 kilomètres pour être exact, soit la distance qui sépare Paris d’Étretat, où l’ex-enfant terrible du rock anglais a élu domicile dans une maison qui surplombe des falaises au moins aussi hautes que celles que le membre des Libertines a dû gravir depuis ses débuts. Frasques en tous genres, addiction sévère à toutes les drogues (le plus simple serait de lister celles qu’il n’a jamais prises), risque d’amputation des deux orteils à cause d’un diabète corsé… La vie n’a pas été clémente avec celui qui a finalement trouvé refuge en Normandie, loin du bruit et des paparazzis.

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C’est ici, entre vaches, crachin et fromages qu’il a écrit la majorité de Felt Better Alive. Un album écrit en France mais avec volant à droite tant il sonne anglais, tantôt Beatles, tantôt folk, tantôt Bob Dylan. Si les nostalgiques des Libertines seront heureux d’entendre un titre comme Poca Mahonney, les autres seront surpris par la chanson d’ouverture en hommage au Calvados, ou encore Fingee ; l’un des grands moments barrés de ce disque intime qui troque le boucan des bouteilles de bière vides contre des arrangements à la Nick Drake.

Reconversion, mode d’emploi : à 46 ans, Doherty ne semble donc pas avoir fini de faire le tour de lui-même. Quelques heures avant son concert parisien au Trianon, et alors qu’il n’est même pas encore l’heure du tea time, il se prête pour nous au jeu de l’interview. Et comme toujours avec Peter, sans langue dans sa poche.

Vous publiez votre cinquième album sans les Libertines, et les médias semblent encore une fois surpris de ce retour, alors que vous n’avez peut-être jamais été aussi présent. Comment expliquez-vous cela ?

Que les gens croient que c’est mon premier album solo depuis neuf ans ou six ans, je m’en fiche. Certaines personnes sont payées pour écrire et elles ne connaissent pas suffisamment ma carrière, ce n’est pas grave. Je suis un auteur : écrire des chansons, c’est ce que je sais faire, ce que j’aime faire, et je le ferais même si je ne gagnais rien avec. En l’occurence, avec Felt Better Alive, il se trouve que j’avais réuni assez de titres pour que cela ressemble à un disque et que cela intéresse un label. Maintenant que je suis un vieux musicien, j’aime m’asseoir dans la rue avec ma guitare et c’est tout.

Indéniablement, l’un des meilleurs titres de cet album est Felt Better Alive. C’est une belle réponse à ceux et celles qui vous pensaient déjà enterré. Comment vous est venue cette idée ?

Il faut savoir qu’appeler l’album ainsi n’était pas ma décision. J’avais une autre idée ; le label a fait un autre choix avec ce nom un peu plus positif. Je pensais à nommer le disque If You Can’t Fight, Wear A Big Hat [Si tu ne peux pas lutter, porte un grand chapeau, ndlr]. Quant à la chanson éponyme, je l’ai écrite en une seule nuit. J’étais alors plongé dans le chagrin et la mélancolie à cause du décès d’un ami proche, Alan Wass [musicien des The Lipstick Melodies mort à 33 ans d’un arrêt cardiaque, ndlr]. C’était un peu le cowboy écossais de la bande, il aimait le country blues. En grattant la guitare, je m’imaginais simplement en train de le rejoindre au paradis – ou peu importe où il est maintenant. L’une de mes chansons préférées de tous les temps, c’est Pancho and Lefty de Townes Van Zandt, un standard de la country avec les carrioles, le vieux cowboy… Felt Better Alive est venue en pensant à tout ça et, en la composant, je me suis dit que, finalement, je n’étais pas si mort que ça !

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Puisqu’on parle du culte du cowboy, n’avez-vous pas l’impression d’en être devenu un depuis que vous vivez en Normandie, loin de chez vous ?

Pas vraiment, non. Je cherche encore mon vieux cabanon perdu au sommet d’une colline… Je finirai par le trouver un jour.

Peut-on parler de ce titre, Prêtre de Le Mar ? Qui est cette personne religieuse qu’on entend réciter un sermon ?

C’est Didier ! C’est le prêtre catholique dans la région où je vis, un guide et un ami pour tous les villageois du coin. Du côté d’Étretat, c’est une sorte de légende. Il nous a mariés ma femme et moi, il a baptisé notre enfant. C’est un homme de Dieu, il porte le message de Jésus et il bénit même la mer une fois par an, pour protéger les marins et des pêcheurs. Alors j’ai simplement voulu capturer la beauté de ses sermons, et il a dit oui. C’est lui qu’on entend dans la chanson.

Parlons de rédemption, alors. Avez-vous l’impression que vivre en France vous a sauvé d’une mort certaine ?

D’une certaine manière, que ce soit avec les Français ou les choses que vous avez ici, c’est vrai. Vive la France ! Ce que j’ai trouvé chez vous, c’est surtout une personne dont je suis d’abord tombé amoureux de loin [impossible de savoir s’il parle de la France ou de Katia de Vidas, sa compagne autrice du documentaire Stranger In My Own Skin, ndlr]. Je l’ai toujours voulue dans ma vie et dans mon cœur. Quand je suis allé la chercher, je n’ai pas été déçu.

Est-il difficile, quand on s’appelle Peter Doherty, de faire la promotion d’un disque solo sans que les journalistes vous bassinent avec les Libertines ?

Honnêtement, cela arrive très rarement. Peut-être deux fois par mois, mais pas plus. Et puis, j’ai autre chose à penser, j’ai deux chiens géants et un bébé… Mais peut-être qu’un jour, dans quelques années, quand je serai un vieil homme, je pourrai enfin me plonger dans mes vieilles coupures de journaux. Parce qu’autant les médias actuels ne m’intéressent pas tellement, autant la vieille presse musicale des années 1970 me passionne. Les articles mythiques de Hunter S. Thompson, les vieux numéros de Rolling Stone, du NME ou du fanzine Oz… Et puis bien sûr, j’adore Lester Bangs.

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Perdre du temps à feuilleter une grande pile d’anciens journaux, c’est un chemin où je peux facilement me perdre en sirotant une bonne pinte de cidre rosé. Ces gens-là racontaient vraiment quelque chose, on sent qu’ils n’hésitaient pas à utiliser le dictionnaire. Aujourd’hui, cette dévotion et cet art de la critique littéraire ou culturelle me semblent avoir un peu disparu. Parce que beaucoup de gens ne s’y intéressent plus et qu’ils sont devenus insensibles à l’écriture.

« Je perds des choses ou je les casse… »

Avez-vous l’impression que votre manière d’écrire des chansons a changé depuis vos débuts il y a 20 ans ?

C’est exactement la même chose. Je m’assois avec une guitare sur une chaise, et c’est tout. Ça a toujours été ainsi. Je n’ai jamais vraiment apprécié la vie en studio, peut-être parce que je ne suis pas un grand technicien, peut-être parce que je ne suis pas très à l’aise avec la technologie numérique. Je perds des choses ou je les casse… Pour moi, l’écriture de chansons, c’est toujours un stylo, une feuille, une guitare et une chaise.

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C’est une formule minimaliste et gagnante. Du coup, j’imagine que vous êtes un inconditionnel des derniers disques de Johnny Cash avec Rick Rubin.

Les American Recordings ? Évidemment ! Je suis obsédé par sa reprise d’un titre des années 1930, We’ll Meet Again ! [Peter Doherty commence à chanter la chanson d’une traite pendant deux minutes, ndlr.] Cette chanson me brise le cœur à chaque fois. Faut l’imaginer avec son grand chapeau, juste assis sur sa chaise sous la véranda, avec cette grosse guitare badass.

Pour conclure, évoquons un autre miraculé : Daniel Darc. Avez-vous souvent parlé de lui avec Fréderic Lo au moment de l’enregistrement de votre précédent album, The Fantasy Life of Poetry & Crime ?

Bien sûr ! J’ai croisé Darc une fois ou deux avant qu’il ne meure, du côté de Pigalle. J’avais accidentellement éteint ma cigarette sur son blouson. Alors on a commencé à discuter… Je crois qu’il était en train de s’engueuler avec le gars du bar-tabac à propos d’un ticket de carte bleue… J’ai toujours été intrigué par son travail et Frédéric Lo m’a beaucoup parlé de leur collaboration. Darc, de ce que j’ai compris, était littéralement dark. C’était un mélange de noirceur et de lumière, avec des choses tendres et exquises dans sa musique. Quelque part, Daniel Darc ressemblait beaucoup à des personnes avec qui je traînais, avant.

Felt Better Alive, de Peter Doherty, disponible le 16 mai 2025, chez Strap Originals.

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