
La série « Toxic Town », diffusée sur Netflix, revient sur l’un des plus grands scandales environnementaux du Royaume-Uni, les empoisonnements de Corby. À travers le combat de mères déterminées à obtenir justice pour leurs enfants nés avec des malformations, ce drame poignant met en lumière les ravages de la négligence industrielle et l’injustice sociale qu’elle engendre.
Tracey (la formidable Aimee Lou Wood, découverte dans Sex Education) travaille dans l’ancienne usine de la ville. Tous les soirs, en partant du travail, elle doit essuyer cette fichue poussière ocre qui se dépose sur son pare-brise. De son côté, Maggie (Claudia Jessie, la Eloise de La Chronique de Bridgerton) s’occupe d’épousseter les affaires de son homme, convoyeur sur le site de réhabilitation de l’aciérie. Pas de doute : quelque chose cloche à Corby, épicentre industriel des Midlands de l’Est, en Angleterre. Les particules sont partout, elles s’incrustent sur le bitume, s’infiltrent dans les maisons. Et elles vont se disséminer dans les organismes et empoisonner les habitant.e.s, jusqu’aux fœtus des femmes enceintes.
« Personne ne m’a jamais écoutée, je ne suis qu’une mère. Donc j’ai dû les faire écouter« . Cette voix à la fois résignée et pleinement déterminée, c’est celle de Susan McIntyre (Jodie Whittaker, ex-Doctor Who), l’une des nombreuses femmes victimes de l’affaire des déchets toxiques de Corby. Alors que la ville était devenue l’une des zones les plus industrialisées de la région dans les années 60, l’immense site de l’aciérie (280 hectares), devenu non rentable, a été fermée en 1981.
Mais que faire des tonnes de déchets qui y avaient été entreposés ? Le conseil municipal de la ville ne s’embarrassera pas. Entre 1984 et 1999, il va ordonner la démolition, l’excavation et la réhabilitation du site dans le cadre d’un ambitieux programme de régénération urbaine. Au programme : le transport des déchets toxiques à travers des zones habitées jusqu’à une carrière voisine, entraînant jusqu’à 200 trajets quotidiens de camions. Des véhicules roulant à toute berzingue, sans bâche, sans lavage de roues et sans masque pour les employés.
Si les responsables locaux espéraient voir renaître la ville ouvrière, leur projet se soldera par une véritable catastrophe sanitaire. Car les poussières et boues toxiques se répandront partout, exposant l’ensemble de la population à la contamination. Avec des conséquences particulièrement dramatiques. C’est ainsi que le taux de malformations congénitales des membres supérieurs chez les bébés nés de la fin des années 80 à 90 de Corby a explosé, sans aucun antécédent familial.
Touchées dans leur chair, 18 femmes feront front pour demander justice à la fin des années 90. Leur combat aboutira en 2009, lorsque la Haute Cour de Londres reconnaîtra la responsabilité du conseil dans les malformations de leurs enfants.
Quand l’injustice environnementale devient un combat de mères
C’est cette histoire vraie- surnommée « le Erin Brockovich anglais »– que raconte Toxic Town en quatre épisodes habilement troussés par le showrunner Jack Thorne. Loin d’être un cas isolé, l’affaire de Corby expose les inégalités face aux catastrophes environnementales. Car comme l’a révélé une étude de l’Agence européenne pour l’environnement, les quartiers défavorisés sont systématiquement plus exposés aux polluants atmosphériques et aux déchets toxiques. Souvent invisibilisées et marginalisées, ces populations vulnérables ont peu voix au chapitre.
Toxic Town rappelle que la pollution n’est pas seulement qu’une question écologique, mais aussi un sujet profondément social et politique. Car à travers cet air et cette terre pollués, c’est bien la perniciosité du système capitaliste- dominé par les hommes- qui est pointée du doigt, la recherche du profit au détriment de la santé des plus vulnérables. Et ce sont ces « premières lignes » qui en paient le prix fort.
Revenant sur la décennie de bataille juridique qui opposa les cols blancs cyniques et corrompus jusqu’à l’os aux mères de Corby, ce show à la narration très classique mais percutante rend hommage à l’esprit combatif de ces femmes méprisées qui oseront (enfin) se faire entendre. De l’annonce joyeuse de leur grossesse au drame de la naissance de ces bébés malformés en passant par leur procès historique, la mini-série Netflix illustre ce talent typiquement britannique pour aborder des sujets graves avec une certaine légèreté et une pointe d’ironie, dans la veine de Pride, The Full Monty et We Want Sex Equality. A l’instar de ces films, Toxic Town parvient à mêler engagement social et émotion, mettant en lumière les luttes des « petites gens » sans pour autant les réduire à une simple victimisation.
Proposant une galerie de personnages attachants, gouailleurs et souvent émouvants, le tout ponctué d’une bande-son nineties aux petites oignons (Chemical Brothers, Radiohead, Super Furry Animals…), Toxic Town rappelle la nécessité de l’action collective et alerte sur les responsabilités des pouvoirs publics et des grandes entreprises. Un sujet plus actuel que jamais.
Toxic Town, à regarder en streaming sur Netflix depuis le 27 février 2025, une série de Jack Thorne avec Aimee Lou Wood, Claudia Jessie, Jodie Whittaker…