L’autrice vient de remporter le 23e Prix du roman Fnac avec Les Âmes féroces. Pour l’occasion, L’Éclaireur a échangé avec elle sur son nouveau roman, ses inspirations et la littérature en général.
Après Blizzard, votre premier roman, comment avez-vous abordé l’exercice délicat du second roman ?
J’avais commencé à écrire Les Âmes féroces le lendemain du jour où j’ai posté Blizzard, parce que je suis très optimiste par nature. Je me suis dit que si personne ne voulait publier Blizzard, il fallait repartir sur autre chose. J’ai envoyé Blizzard en janvier 2020, il est sorti en septembre 2021. Donc j’ai eu le temps de bien avancer Les Âmes féroces, sans poids. Il n’y avait pas d’angoisse. C’est quand Blizzard est sorti que là, subitement, les problématiques liées à un second roman ont commencé à se poser.
Quelles étaient ces problématiques ?
Je me souviens d’une phrase d’un journaliste : “Le second roman, écrivez-le vite, il va se faire laminer.” Personne n’est tendre avec un second roman. Donc c’était compliqué pour moi, parce qu’il était vraiment très avancé, ce second. Et j’avoue que je le préfère à Blizzard. C’était un peu comme de me dire “Vous avez deux enfants ; le premier, les gens l’ont trouvé très sympa, mais le prochain, personne ne va l’aimer.” Il y a eu une interruption totale. Je n’ai pas pu écrire pendant trois mois. Comment écrire si on vous annonce une catastrophe ?
« Je voulais rester sur un roman choral, parce que j’aime particulièrement être dans la tête des personnages. »
Comment ce déclic de poursuivre l’écriture est-il revenu ?
Ça n’a pas été un déclic, mais j’ai vraiment eu le temps de digérer. Je me suis dit que, de toute façon, il fallait qu’il soit écrit, qu’il soit terminé. Je l’ai quand même fini avec un fond d’angoisse et d’inquiétude, mais, pour moi, il est important qu’il existe.
Quel a été le point de départ des Âmes féroces ?
J’ai commencé en me disant que je voulais rester sur un roman choral, parce que j’aime particulièrement être dans la tête des personnages. Au début, d’ailleurs, le personnage de Lauren avait une façon de parler qui était assez proche de celle de Benedict. Comme ça a été fait dans la lignée de Blizzard, il a fallu vraiment dissocier les deux romans et trouver une voix, une identité.
Je savais que je voulais qu’il y ait un mort. Je n’avais pas vraiment prévu cette fin-là, car je ne fais pas de plan. Je voulais que cela soit sur une année, parce que Blizzard se déroule à peu près en 24 heures, donc je voulais un temps plus long, un écoulement des saisons. Puis, quatre voix encore, mais pas morcelées comme dans Blizzard, pour que chaque voix ait vraiment du temps pour parler et pour s’installer.
Vous avez écrit votre premier livre à la main. Est-ce une habitude que vous avez gardée ?
J’ai continué, par superstition et parce que ça fonctionne pour moi. Maintenant, je réalise que c’est 50 % du travail. C’est-à-dire que j’essaie d’écrire l’histoire intégralement à la main, sans trop relire ce que j’ai fait. Ensuite, il y a 50 % du travail qui consiste à ouvrir l’ordinateur, reprendre, remodeler, recorriger. Mais ce premier jet à la main, c’est vraiment la méthode qui fonctionne pour moi.
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Est-ce que le travail de relecture de ce premier jet est difficile pour vous ? Est-ce que c’est une étape que vous appréciez ?
Mon moment de fierté, c’est vraiment quand j’ai ma petite pile de cahiers et que l’histoire est entièrement contenue dans ces cahiers-là. Je me dis qu’il faut travailler la matière, mais la matière est là. Ce n’est pas forcément très angoissant de le reprendre sur l’ordinateur. Ce qui est venu un peu plus tard, une fois que j’ai commencé à le faire lire à Nathalie Zberro, mon éditrice à L’Olivier, c’est qu’elle m’a avertie d’un certain nombre d’écueils.
Par exemple, un personnage en prison, ça peut très vite virer Prison Break, série américaine, cliché. Il a fallu faire attention à ces choses-là qui, peut-être, m’avaient échappé. J’avais écrit mon histoire, j’avais réussi à la taper, à la mettre en forme. C’est tout l’intérêt d’avoir un vrai éditeur.
Est-ce qu’on peut comparer Les Âmes féroces à un polar ou à un thriller ?
Alors ça, c’est un vrai sujet. Pour moi, ce n’est pas un thriller et ce n’est pas un polar. Ça commence comme un polar, parce que j’aime bien balader le lecteur. Quand on met en scène un meurtre et un shérif, c’est un polar. Mais je pense que ce n’est pas ça, en fait, le sujet. La question “Qui a tué Leo ?” n’est pas forcément au centre du livre. Pour moi, ça n’est ni l’un ni l’autre. Le polar est un genre que j’estime énormément. Un bon polar, il faut savoir l’écrire ! J’ai beaucoup de respect pour les auteurs de polar. Je rêverais de savoir écrire un polar de A à Z, ou un thriller.
« On est imprégné de tout ce qu’on a lu, mais j’ai vraiment un processus qui est presque de l’écriture automatique. »
Comment le qualifieriez-vous, alors ?
Comme pour Blizzard, je pense que ce qui revient le plus souvent c’est le terme de roman noir. Je pense que c’est plus proche. On aurait pu qualifier ça de roman psychologique, aussi. J’ai beaucoup de mal à le qualifier ! Ce qui m’intéresse, c’est d’être dans la tête des personnages, c’est la psychologie des personnages.
Cela fait penser au genre de la tranche de vie… De la tranche de vie un peu exceptionnelle par rapport aux événements vécus.
C’est tout à fait une tranche de vie et d’ailleurs ce n’est même pas vraiment exceptionnel, c’est-à-dire que ça peut tout à fait se produire. C’est une tranche de vie, une petite plongée dans la psychologie des personnages, une petite plongée dans la nature humaine.
En dehors du genre, est-ce que vous avez des références ou des inspirations marquées pour Les Âmes féroces ?
Non, moins que pour Blizzard qui est vraiment un livre qui a été fait sur le terreau des lectures précédentes. Là, c’est curieux, je l’ai écrit sans écouter de musique, alors que j’en avais écouté beaucoup pour Blizzard. Parfois, on me dit que ça fait penser à De beaux lendemains, de Russell Banks, où on a quatre personnages qui parlent. Sur la structure, je suis d’accord. D’ailleurs, je ne prétends pas avoir inventé quoi que ce soit. C’est un roman choral, c’est une forme classique. La structure avec quatre personnages, c’était déjà celle de Blizzard, mais je ne me suis pas dit pour autant que j’allais refaire la même chose.
Une journaliste avait dit que Blizzard lui faisait penser à Faulkner. Évidemment, j’étais aux anges. Maintenant, quand on me dit qu’il y a des élans faulkneriens, je relativise. On est imprégné de tout ce qu’on a lu, mais j’ai vraiment un processus qui est presque de l’écriture automatique. Ce qui me vient du lâcher-prise du stylo sur la page. J’ai donc beaucoup de mal à expliquer comment le livre est né, ce que je voulais raconter et si j’ai eu des références particulières. C’est juste cette tranche de vie – c’est vraiment bien trouvé –, cette tranche de vie d’une vie américaine qu’on trouve chez Richard Ford, Joyce Carol Oates, Joyce Maynard. Ce ne sont pas forcément des aventures extraordinaires, mais un moment dans la vie des personnages.
Est-ce que le découpage par saisons et par narrateurs était prévu dès le départ ou est-ce venu au fur et à mesure ?
C’est venu au fur et à mesure. Je savais que je voulais une femme shérif. Il se trouve qu’elle est devenue lesbienne au bout de trois semaines d’écriture. Le prof de français et son expérience avec sa mère, c’est venu en septembre 2023. J’allais rendre le manuscrit et subitement je me suis dit : “C’est évident, ce type n’a pas écrit son roman !” Il y a des choses qui viennent parfois à la dernière minute.
Le prologue a été écrit en janvier ou en février de cette année. C’est un texte qui bouge, qui n’avait pas vraiment cette fin-là. Je prends ça comme ça vient. Un lecteur m’avait dit un jour : “Vous saviez pas au début de quoi ça allait parler, vous saviez pas comment ça allait finir, vous êtes sûre que vous l’avez écrit ce bouquin ?” Parfois, ça énerve les gens quand on leur dit que finalement on ne sait pas d’où ça vient, mais je pense que c’est une sorte d’humus, de terreau dans lequel se sont accumulés des images, des idées, des mots, des figures…
Que signifie ce Prix du roman Fnac pour vous ?
Il y a deux choses différentes. Quand j’étais jeune et que je n’osais pas entrer dans une librairie, moi, je rentrais à la Fnac. Parce que c’était moins intimidant. J’avais l’impression que j’aurais pu y passer des heures. Quand j’étais jeune, la Fnac, c’était l’espace de liberté où il y avait tout. Si j’ai besoin d’aide, on va m’aider, mais si je suis trop timide pour demander de l’aide, on ne va pas être sur mon dos.
« Les États-Unis c’est le meilleur et le pire en même temps […] ça en fait une terre de fiction totale. »
Sur le Prix du roman Fnac en lui-même, c’est un prix de libraires et un prix d’adhérents, donc de lecteurs. Je vais faire un mauvais jeu de mots, mais ça n’a pas de prix ! On est vraiment dans quelque chose de très vrai et de très concret. J’avoue que je vais souvent à la Fnac Saint-Lazare et j’aime bien, quand je monte l’escalator, voir les livres en haut. J’ai un petit fantasme d’aller faire un tour à la Fnac pour voir mon livre en haut de l’escalator… C’est une enseigne que j’aime beaucoup !
Quel est votre rapport aux États-Unis ? D’où vient cette découverte de la littérature et cette envie de rester peut-être avec cette culture, cette histoire ?
J’en avais un peu parlé au moment de Blizzard. Comme beaucoup de jeunes gens, j’étais écrasée par la littérature française au lycée… Victor Hugo, Balzac, des hommes brillantissimes, tous morts, que des hommes. Pour moi, ce n’était pas possible d’écrire. Je n’imaginais pas une autre écriture que la leur, donc je n’avais pas de place là-dedans. C’est vraiment en lisant de la littérature américaine qu’il y a eu quelque chose… que je ne m’explique pas. Je me suis sentie accueillie par la littérature américaine, qui n’y est pour rien et qui n’est même pas au courant que je ressentais ça. Il y avait quelque chose de réconfortant, de familier aussi. Particulièrement Russell Banks, j’en ai beaucoup parlé, mais il n’y avait pas que lui.
Si j’ai situé les deux romans aux États-Unis, c’est que je trouve que c’est vraiment un pays fascinant et effrayant en même temps. C’est-à-dire qu’il y a à la fois un rêve américain et un cauchemar américain. J’ai une grande envie de traverser les États-Unis en train, mais les États-Unis, c’est le meilleur et le pire en même temps. Ils sont assez semblables aux Français. On va fonctionner comme une société occidentale, mais, en parallèle, il y a des tas de choses qui sont absolument incompréhensibles. Du coup, ça en fait une terre de fiction totale. J’ai l’impression que tout peut être écrit. Il me semble que rien de ce qui se passe dans Blizzard ou Les Âmes féroces ne pourrait pas se passer aux États-Unis. C’est vraiment une terre extrêmement civilisée et extrêmement sauvage.
Est-ce que vous avez eu un coup de cœur récent ou une attente particulière pour les semaines à venir ?
Cet été, je suis retombée dans mon travers et je suis partie avec de la littérature américaine ! Cependant, je suis en train de lire Mythologie du .12 de Célestin De Meeûs, et je trouve le livre vraiment très, très réussi ! Je suis aussi en train de lire le roman de Richard Ford, Le Paradis des fous, sur un père qui accompagne son fils qui va mourir. Sur le papier, ce n’est pas du tout le livre que vous avez envie de lire, mais c’est extrêmement drôle, avec beaucoup d’autodérision.
Les Âmes féroces, de Marie Vingtras, Prix du roman Fnac 2024, Éditions de l’Olivier, 272 pages, depuis le 19 août 2024 en librairie.