Gargantua est le héros emblématique du roman homonyme écrit par François Rabelais au XVIe siècle. Géant comique et savant qui mêle joyeux excès et sagesse humaniste, il incarne l’esprit de la Renaissance française, tout en étant le personnage clé d’une profonde satire de la société, de la politique et de l’éducation de l’époque. Retour sur l’un des plus célèbres personnages de la littérature française, dont l’influence perdure encore aujourd’hui et continue de captiver les lecteurs.
Qui est Gargantua ?
C’est en 1534 que François Rabelais, moine devenu écrivain, publie La vie très horrifique du grand Gargantua, père de Pantagruel, plus communément appelé Gargantua. Ce roman fait suite à Les Horribles et Épouvantables Faits et Prouesses du très renommé Pantagruel Roy des Dipsodes, paru deux ans plus tôt, qui constitue le premier volet d’une série de cinq livres racontant les aventures de Gargantua et de son fils Pantagruel. Rabelais, imprégné de culture humaniste et doté d’un esprit satirique acéré, crée un géant bon vivant dont les aventures servent de prétexte à une critique mordante de la société de son époque.
Gargantua a une naissance fabuleuse : après onze mois de gestation, il sort de l’oreille gauche de sa mère Gargamelle en réclamant à boire. Fils de Grandgousier, roi d’Utopie, l’enfant géant grandit dans un environnement d’abondance et de plaisirs. Son enfance est marquée par une éducation traditionnelle peu efficace, jusqu’à l’arrivée de Ponocrates, un précepteur humaniste qui va transformer le jeune géant en prince éclairé.
Les aventures de Gargantua l’amènent notamment à Paris pour ses études, où il fait sensation par sa taille mais aussi par ses frasques. Il vole les cloches de Notre-Dame de Paris pour les accrocher au cou de sa jument, provoquant hilarité et colère des Parisiens. Il participe plus tard à la guerre picrocholine, défendant le royaume de son père contre l’invasion du roi Picrochole. C’est durant cet épisode qu’il rencontre Frère Jean des Entommeures, un moine guerrier qui deviendra son ami fidèle.
Quel est le caractère de Gargantua ?
Gargantua est avant tout un personnage bon vivant, joyeux et généreux. Il incarne l’idéal de l’humaniste de la Renaissance, curieux de tout et avide de savoir. Sa soif de connaissance n’a d’égal que son appétit démesuré. Avec le temps, son caractère jovial est tempéré par une grande sagesse, acquise grâce à son éducation humaniste, qui prône l’étude des lettres, des sciences et des arts. Sa nature joviale et son rire tonitruant en font un personnage attachant, malgré ses excès.
En effet, Gargantua n’est pas exempt de défauts. Son caractère excessif le pousse parfois à des débordements, notamment en matière de nourriture et de boisson. Son appétit démesuré est légendaire, tout comme sa capacité à ingurgiter des quantités phénoménales de vin. Loin de les présenter comme des vices, Rabelais en fait l’expression d’une vie pleinement vécue, en accord avec la nature.
Gargantua peut se montrer colérique lorsqu’il est confronté à l’injustice et à l’ignorance. Son parcours initiatique le mène toutefois à un équilibre entre ses désirs et ses devoirs, faisant de lui un modèle de vertu humaniste.
D’un jeune géant gourmand et mal dégrossi, Gargantua devient un prince éclairé, capable de gouverner avec sagesse et de réfléchir aux grandes questions de son temps. Cette transformation souligne l’importance que Rabelais accorde à l’éducation et à la culture dans le développement de l’individu.
Pourquoi parle-t-on de l’appétit gargantuesque ?
L’expression « appétit gargantuesque » est directement issue du personnage de Gargantua. Elle fait référence à son appétit démesuré, décrit avec force détails par Rabelais tout au long du roman. Dès sa naissance, Gargantua réclame « à boire, à boire, à boire », annonçant la démesure qui caractérisera son rapport à la nourriture et à la boisson.
Les exemples de cet appétit hors norme sont nombreux dans le roman. Encore bébé, il tète le lait de 17 913 vaches ! Plus tard, il engloutit des repas “pantagruéliques” (il a transmis cet excès à son fils, le non moins célèbre Pantagruel), composés de quantités astronomiques de viandes, de poissons, de fruits et de vin.
L’expression « appétit gargantuesque » est entrée dans le langage courant pour désigner un appétit phénoménal, une consommation excessive de nourriture. Elle s’utilise aussi au sens figuré pour évoquer un désir ou un besoin extrême dans n’importe quel domaine. Par extension, l’adjectif « gargantuesque » qualifie donc tout ce qui est démesuré, gigantesque, hors norme.
Qui sont les personnages qui entourent Gargantua ?
- Gargantua évolue au sein d’une galerie de personnages hauts en couleur, chacun jouant un rôle important dans son développement et ses aventures.
- Grandgousier et Gargamelle, ses parents, sont des géants bons vivants qui règnent sur le royaume d’Utopie. Grandgousier est un bon roi, sage et pacifique, qui ne fait la guerre que contraint et forcé. Gargamelle, quant à elle, est principalement connue pour la scène rocambolesque de l’accouchement de Gargantua.
- À l’opposé, Picrochole est un roi belliqueux et tyrannique, dont l’ambition démesurée mène à sa défaite face à Gargantua. Il représente les excès de la guerre et l’aveuglement des despotes.
- Ponocrates est le précepteur humaniste qui prend en charge l’éducation de Gargantua après ses premières années chaotiques. Il symbolise l’idéal éducatif de la Renaissance cher à Rabelais, alliant culture classique, sciences et exercices physiques. Sous sa tutelle, Gargantua se transforme en prince éclairé.
- Frère Jean des Entommeures est un des personnages les plus mémorables après Gargantua lui-même. Ce moine guerrier, truculent et batailleur, amateur de bonne chère et de vin, se distingue par son courage et son franc-parler. Il devient le compagnon d’aventures du géant et le soutient dans ses entreprises, notamment lors de la guerre contre Picrochole. Il incarne une vision positive de la vie monastique, en opposition avec les moines corrompus et paresseux que Rabelais ne cesse de critiquer.
- Pantagruel, bien que son histoire soit racontée dans un autre livre, est le fils de Gargantua. Il poursuit et amplifie les aventures de son père, devenant à son tour un géant érudit et bon vivant.
Quelle est la symbolique de Gargantua ?
Gargantua, par sa démesure, symbolise l’appétit de savoir et de vivre propre à l’humanisme de la Renaissance. Sa stature gigantesque reflète l’ambition des humanistes de transcender les limites de l’homme médiéval, en quête de sagesse et de liberté. Son éducation humaniste lui permet de passer de l’ignorance à la connaissance et souligne la foi de Rabelais dans le pouvoir émancipateur de l’éducation.
L’abbaye de Thélème représente quant à elle l’utopie d’une société idéale, fondée sur la liberté individuelle et l’épanouissement personnel. Ce lieu, où l’on vit selon la devise « Fais ce que voudras », incarne le rejet des contraintes imposées par les institutions traditionnelles et la promotion d’une éthique basée sur la responsabilité et l’autonomie. Les Thélémites, hommes et femmes cultivés, y vivent en harmonie, libres de toute contrainte religieuse ou sociale, dans la poursuite du savoir et du plaisir.
La relation de Gargantua avec son fils Pantagruel est évoquée dans les livres suivants de Rabelais. On y découvre un Gargantua vieillissant, prodiguant des conseils à son fils qui part à l’aventure. Cette transmission entre les générations illustre la continuité de l’idéal humaniste défendu par Rabelais. Son “Utopie” peut se poursuivre, du moins dans la fiction.
Comment Gargantua est-il entré dans la culture populaire ?
Depuis sa création au XVIe siècle, Gargantua n’a cessé d’inspirer artistes, écrivains, peintres et sculpteurs. Le personnage du géant bon vivant est représenté dans de nombreuses œuvres, de la Renaissance à nos jours. Gustave Doré, au XIXe siècle, a notamment réalisé une série d’illustrations célèbres pour Gargantua et Pantagruel.
De nombreuses adaptations en bande dessinée, notamment par Dino Battaglia, ou des analyses modernes ont vu le jour, réinterprétant l’œuvre de Rabelais pour différents publics contemporains. Des versions pour adolescents avec contexte et explications, ou pour enfants, côtoient des livres plus savants destinés aux adultes. Ainsi, le géant joyeux a traversé les siècles, conservant intacte sa capacité à divertir et à instruire, à faire rire et à réfléchir.
Dans le domaine de la gastronomie, le nom de Gargantua est souvent utilisé pour évoquer des plats copieux et des festins abondants. De nombreux restaurants portent son nom, promettant implicitement des repas généreux et conviviaux.
Le tourisme s’est également emparé du personnage : dans plusieurs régions de France, notamment en Touraine, où Rabelais situe une partie de son récit, on trouve des circuits touristiques « sur les pas de Gargantua ». Ces itinéraires permettent de découvrir les lieux supposés de ses aventures, mêlant ainsi patrimoine et littérature.
Enfin, l’influence de Gargantua se ressent dans le langage courant. Outre l’expression « appétit gargantuesque » déjà mentionnée, on utilise couramment des termes comme « pantagruélique » (dérivé de Pantagruel) pour qualifier un repas copieux, ou « rabelaisien » pour évoquer un humour grivois et une joie de vivre débordante.
Près de cinq siècles après sa création, Gargantua reste un personnage emblématique de la littérature française. Il est l’incarnation de l’esprit humaniste de la Renaissance, avec ses excès et ses aspirations, ses rires et ses sagesses. À travers ses aventures, Rabelais nous invite à rire des travers de la société tout en célébrant la vie dans ce qu’elle a de plus exubérant. L’influence durable de Gargantua dans la culture française témoigne de la puissance de ce personnage qui touche à l’universel de la condition humaine.