Décryptage

Des sabres et des poings : petite histoire des films d’arts martiaux hongkongais

16 juillet 2024
Par Mathieu M.
Des sabres et des poings : petite histoire des films d’arts martiaux hongkongais

Rétrospective Shaw Brothers à la Cinémathèque, cycle Hong Kong au Forum des Images, sorties en Blu-Ray de classiques du wu xia pan et du kung-fu… L’été 2024 est l’occasion d’un revival pour les films d’arts martiaux venus de Hong Kong. Durant cinquante ans, ce cinéma de genre a influencé le monde entier. Focus sur ce courant inspiré et inspirant.

Le wu xia pian : le sabre de la vengeance

Des chevaliers errants parcourent la Chine médiévale, se mettent au service de seigneurs locaux, sont victimes de trahison, ou au contraire s’éveillent… Dans la littérature chinoise, cela fait quinze siècles que ce genre de récit fournit la matière de grands livres, historiques ou fantastiques. On les appelle là-bas les wuxia. Certains de ces ouvrages ont même connu un grand succès international : La Pérégrination vers l’Ouest, classique majeur de l’Empire du Milieu, a inspiré l’histoire de Dragon Ball.

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Au temps du cinéma muet, le wuxia se mue en genre cinématographique, nommé wu xia pian. Entre 1926, et la sortie de The Nameless Hero, et 1931, où le pouvoir chinois interdit les films de sabre, L’Incendie du monastère du Lotus Rouge et ses dix-sept suites (!) devient l’un des premiers succès majeurs de l’histoire locale. Mais la guerre sino-japonaise ainsi que la prise du pouvoir des communistes menés par Mao en 1949 modifient la sphère culturelle : désormais, c’est à Taïwan et majoritairement à Hong Kong que le septième art chinois va connaître un rebond, et en particulier par le biais des films dits de « cape & d’épée ». Comme à l’époque du muet, les compagnies hongkongaises font appel à de véritables gymnastes et athlètes pour donner de la crédibilité aux scènes d’action. D’abord tournés en cantonais, les wu xia pian se métamorphosent dans les années 1960, en adoptant le mandarin, langue davantage répandue au sein de la diaspora chinoise à travers le monde.

Emblématique du cinéma hongkongais, le wu xia pian connaît un retentissant succès par l’entremise de compagnies spécialisées, dont la Shaw Brothers. Les codes du genre sont écrits à travers les productions de ce studio. La violence graphique, l’inspiration de l’opéra chinois, les exploits aériens des combattants, l’utilisation du zoom pour rythmer certaines scènes, le format d’image panoramique (ou ShawScope)… À un rythme industriel, la firme locale décide d’adapter les classiques de la littérature wuxia, mais aussi de proposer, à la mode wu xia pian, des remakes de films de sabre japonais, voire carrément, par la suite, des westerns.

Trilogie du sabreur manchot

Ainsi, l’une des plus célèbres franchises du cinéma hongkongais d’alors, La Trilogie du sabreur manchot, s’apparente à une relecture des héros « infirmes » de la culture nippone (en particulier le guerrier aveugle Zatoïchi). Dans un flamboiement de chorégraphies insensées, le réalisateur Chang Cheh pose l’ensemble des éléments les plus significatifs du wu xia pan côte à côte. Un seul bras les tua tous, Le Bras de la vengeance et La Rage du tigre, narrant la vengeance des opprimés sur l’oligarchie, représentent l’acmé commercial du cinéma de sabre chinois.

Du côté artistique, c’est vers King Hu qu’il faut se tourner à l’époque. D’abord, l’homme reprend une spécificité du cinéma hongkongais : les femmes y sont des héroïnes aussi courageuses et crédibles que les hommes, et ce dès les années 1950. Dans L’Hirondelle d’or, il magnifie l’actrice Cheng Pei-peien lui offrant le rôle d’une chevalière errante douée pour les arts martiaux (sa première apparition du film, dans une taverne, vaut pour démonstration) en butte avec des brigands. Tourné au sein de la Shaw Brothers, le film a une patte particulière, que King Hu va prolonger avec un autre wu xia pian, tourné cette fois à Taïwan : A Touch of Zen. C’est cette fois l’actrice Xu Feng qui tient le rôle féminin majeur de cette première incursion du film de sabre chinois vers le cinéma d’auteur. Poétique, spirituel, empreint d’un esprit contemplatif cheminant avec son sujet (le bouddhisme), le long métrage marque aussi pour la qualité de ses chorégraphies, avec comme gimmick la lévitation au-dessus des arbres.   

Une partie de la production de wu xia pian se distingue à l’époque par son « exil » vers Taïwan. C’est le cas par exemple d’un film comme La Vengeance du Dragon noir, réalisé par Joseph Kuo, qui quittera son île pour Hong Kong par la suite afin de réaliser des films de kung-fu.

Bruce Lee, l’étoile made in Hong Kong

En 1970, deux anciens de la Shaw Brothers quittent le studio pour créer la Golden Harvest. Cette société de production fait appel à un comédien alors plutôt habitué aux rôles tiers et aux cascades dans des séries B américaines : Bruce Lee. Cet acteur-né, aussi charismatique qu’endurant, a un parcours atypique, mais surtout un goût pour les arts martiaux qui font de lui, rapidement, un mythe moderne. Avec Big Boss, La Fureur de Vaincre puis La Fureur du dragon (qu’il réalise lui-même), à retrouver en coffret Bruce Lee Blu-Ray 4K, le jeune homme réinvente le kung-fu, cet art martial ancestral chinois qui a été perpétué par le mythe du maître Wong-Fei-hung et l’histoire des moines de Shaolin, qui fusionnent art militaire, art martial pied-poing et spiritualité.

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Le film de kung-fu ou la démocratisation des arts martiaux

A 33 ans, Bruce Lee disparaît. La première superstar mondiale issue du monde asiatique laisse sur le cinéma une empreinte indélébile : Chuck Norris, Steven Seagal, Jean-Claude Van Damme s’inspireront de son parcours de combattant compétiteur/acteur pour renouveler le film d’action. En attendant, Hong Kong a rangé ses sabres : les années 1970 verront fleurir les productions de kung-fu, au détriment du wu xia pian. Les réalisateurs de l’ère précédente suivent le mouvement : Chang Cheh tourne des films comme Duel aux poings, Les 5 Maîtres de Shaolin ou Le Temple de Shaolin, l’acteur Lo Lieh distribue les châtiments physiques dans des productions Shaw Brothers comme La Main de fer, King Hu dirige en Corée Raining in the Mountain, croisant art martial et bouddhisme… 

La Main de Fer 1972

Jackie Chan, le kung fu master comique

En 1978, un cascadeur et chorégraphe des scènes d’action chez Chang Cheh passe à la réalisation. Il se nomme Yuen Woo Ping, et introduit au monde entier la nouvelle figure du cinéma hongkongais : Jackie Chan. Le tandem, avec Le Chinois se déchaîne puis avec Drunken Master (Le Maître chinois) inverse la posture de Bruce Lee. Au sérieux de la star disparue s’oppose le talent burlesque et les calembours de Jackie Chan, qui s’avère également un excellent combattant. Le mélange de kung-fu et de comédie s’avère un choix payant : le garçon enchaîne les succès dans les eighties (ils sont à retrouver dans les trois coffrets DVD L’Essentiel III et III qui lui sont consacrés) et connaîtra même un joli rebond aux États-Unis. Pour autant, dans sa cité-état d’origine, les arts martiaux « sérieux » n’ont pas totalement disparu, et une nouvelle vague va même amener kung-fu et wu xia pian au pinacle international.

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Nouvelle vague : des figures durables

Combats ultra-rapides, montage frénétique, découpage hypnotique… En deux wu xia pan, un cinéaste hongkongais majeur s’affirme : avec Butterfly Murders puis Zu, les guerriers de la montagne magique, Tsui Hark fait exploser de l’intérieur le cinéma hongkongais pour mieux le transformer. Il s’attache ensuite les services d’un nouveau talent des arts martiaux, Jet Li, à qui il donne les rôles principaux de The Master et de la série des Il était une fois en Chine III et III. Encore une fois, le style Tsui Hark fait mouche, et permet à son interprète d’embrasser une carrière internationale.

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Avec ses wu xia pian réinventés, dont The Blade, Seven Swords, Legend of Zu ou plus récemment Dragon Gate (avec Jet Li), Tsui Hark a réussi à travers les décennies. Son secret ? Réinvestir les formes, les mythes classiques du cinéma hongkongais des années 1960 et les connecter avec la modernité. 

Passage obligé chez nombre d’auteurs hongkongais (Wong Kar-Wai avec les magnifiques Cendres du temps côté wu xia pian et The Grandmaster pour le kung-fu), les films d’arts martiaux révèlent des stylistes-nés, tels le collaborateur de Tsui Hark Ching Siu-Tung (Duel to the Death, Histoire de fantômes chinois, Swordsman), l’acteur passé derrière la caméra Sammo Hung (dont on peut désormais revoir le classique The Moon Warriors) ou Yuen Woo Pin, qui après son expérience avec Jackie Chan croise Jet Li le temps de Tai-Chi Master, classique de haute volée où ralentis et composition des plans contribue à panthéoniser le film d’action hongkongais.

Une influence durable

En 1999, au moment d’écrire la scène d’entraînement au combat de Matrix, les sœurs Wachowski choisissent le kung-fu. L’affrontement entre Keanu Reeves/Neo et Lawrence Fishburn/Morpheus dans un dojo virtuel est chorégraphié par… Yuen Woo Ping. Quelque temps après cette expérience, le réalisateur et spécialiste des arts martiaux s’envole pour la Chine, où le réalisateur taïwanais Ang Lee signe Tigre et Dragon. Occidentalisation d’une tradition courant de Chang Cheh à Tsui Hark, ce film majeur, coproduit avec les États-Unis, correspond à un âge d’or : les réalisateurs hongkongais émargent à Hollywood (John Woo dirige le deuxième Mission Impossible, Tsui Hark et Ringo Lam ont tenté l’expérience), Jet Li apparaît tous les trois mois au cinéma, et toute une génération d’acteurs locaux ont acquis une réputation internationale (Maggie Cheung, Gong Li, Michelle Yeoh, Leslie Cheung, Chow Yun-fat…).

Pourtant, Hong Kong est déserté de son cinéma de genre : la rétrocession a eu lieu, et l’ancienne colonie britannique bat sous pavillon chinois. C’est d’ailleurs sur cette nouvelle puissance économique du troisième millénaire que se tournent les cinéastes et les acteurs pour leurs projets. Tandis qu’à travers des samples sur les albums du Wu-Tang Clan et des emprunts de Tarantino (voir le premier volume de Kill Bill chorégraphié par Yuen Woo Ping) les geeks reconnaissent ce qu’ils doivent à Hong Kong, les grosses productions de wu xia pian se font à travers une personnalité comme Zhang Yimou, vétéran du cinéma chinois, qui vend à l’international les très bons Hero et Le Secret des poignards volants, deux films avec la nouvelle diva hongkongaise Zhang Ziyi

Si une nouvelle star locale du kung-fu a pu percer (Donnie Yen, avec les Ip Man ou plus récemment Sakra), si les projets d’auteur témoignent toujours d’un goût pour le wu xia pian dans le cursus des réalisateurs hongkongais ou taïwanais (le mirifique The Assassin d’Hou Hsiao-Hsien avec Shu Qi), l’essence hongkongaise profonde du cinéma d’arts martiaux et de cape & d’épée est désormais une figure du passé. Gageons qu’elle continuera, néanmoins, d’influencer ceux qui tomberont sur les classiques et les trésors cachés de cette immense cinématographie.

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Article rédigé par
Mathieu M.
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