Décryptage

La Quatrième Dimension : le premier chef-d’œuvre des séries SF

18 mars 2022
Par Clément D.
La Quatrième Dimension : le premier chef-d’œuvre des séries SF

« Toute première fois », un rendez-vous où l’on vous présente une œuvre pionnière qui a marqué le paysage audiovisuel. Séries, films, albums précurseurs et avant-gardistes, on se souvient d’eux pour avoir été les premiers à montrer ou traiter un sujet. Aujourd’hui, on aborde La Quatrième Dimension, anthologie séminale de SF/Fantastique ayant influencé les grands auteurs du genre à venir. Le premier chef-d’œuvre des séries SF, qui a déjà donné lieu à 3 remakes et un film !

La Quatrième Dimension, c’est quoi ?

Coffret-La-Quatrieme-dimension-L-integrale-DVDLa Quatrième DimensionThe Twilight Zone en VO – est une anthologie de SF/Fantastique en 5 saisons et 156 épisodes (138 de 25 minutes et 18 de 50 minutes). Créée par Rod Serling en 1959 pour la chaîne CBS, elle fut diffusée jusqu’en 1964. Le format se constitue de récits indépendants à chaque épisode. Chaque histoire plonge des quidams du quotidien dans un dérèglement de la réalité via un virage fantastique, horrifique mais le plus souvent SF (sauts temporels, artefacts futuristes, mondes parallèles, aliens…). Derrière l’histoire se cache une chronique des problèmes de l’époque mais surtout des intemporels travers humains. Si les twists finaux ne sont pas systématiques, ceux de La Quatrième Dimension sont réputés pour leur puissance ravageuse, d’une cruauté parfois insoutenable. Si l’humour n’est pas absent, le ton de la série reste le plus souvent dramatique voire tragique. Même si on ne connaît pas la série, on a certainement entendu son générique, dont l’obsédante boucle de 4 notes composée par Marius Constant est depuis synonyme de basculement dans l’étrange.

La Quatrième Dimension : genèse d’une série mythique

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Dans les années 50, le scénariste Rod Serling (photo ci-contre), virulent commentateur de la société américaine et des vicissitudes humaines, se voit refuser plusieurs scripts. Son ton pamphlétaire ne convient pas à la censure de l’époque. Parmi ses prises de position polémiques, sa dénonciation des horreurs de la guerre (Serling est un vétéran de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre de Corée) passe mal dans une Amérique belliciste. Frustré de ne pouvoir parler ouvertement de sujets qui le tiennent à cœur, il va choisir l’Imaginaire de la SF comme métaphore et ainsi faire « passer la pilule ».

Ni le format de l’anthologie ni le format de la SF sont précisément nouveaux. La plupart des séries des années 50 sont en effet des anthologies, à une époque où la série telle qu’on la connaît aujourd’hui est minoritaire. Alfred Hitchcock présente (1955-1962) est ainsi un des plus grands triomphes de la télévision d’alors grâce à des histoires à suspense dans le style du Maître. Quant à la SF, depuis le succès de Captain Video and His Video Rangers (1949-1955), elles interviennent régulièrement dans la grille des programmes. Si Out There (1951) est un échec, les 85 épisodes de Tales of Tomorrow (1951-1953), fine adaptation de grands auteurs, confirment qu’il y a un avenir pour l’anthologie SF.

Cherchant un sponsor, Rod Serling se tourne vers Desi Arnaz. L’acteur vient juste de terminer le tournage de la sitcom culte I Love Lucy, qui l’a rendu célèbre aux côtés de son épouse Lucille Ball. Arnaz produit et présente à ce moment-là sa propre anthologie Westinghouse Desilu Playhouse. Séduit par le script de The Time Element, un épisode servant de « proof of concept » pour la future série, Arnaz produit l’épisode (dans le genre SF, sa maison de production Desilu permettra l’existence de Star Trek). L’épisode est bien reçu par le public, et Serling obtient le feu vert pour sa propre anthologie : La Quatrième Dimension.

La Quatrième Dimension : une masterclass d’écriture

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Créateur/showrunner de La Quatrième Dimension, Rod Serling assurera l’écriture de 92 épisodes sur 156, souvent des scénarios originaux, parfois des adaptations. Etant un des meilleurs scénaristes de son temps, Rod Serling a tout compris de la SF de l’Âge d’or et est un maître de la structure. Il sait monter la tension, pousser la perte de repères de ses héros jusqu’à une conclusion d’une justesse effroyable. Les épisodes de La Quatrième Dimension sont des merveilles de concision où le cauchemar prend aux tripes. Certains épisodes sont devenus légendaires : le twist d’Une flèche dans le ciel (1.15) sera repris dans La Planète des Singes (scénarisé par Serling), le twist de Pour servir l’homme (3.24) est devenu une référence de la pop culture, le concept du Journal du Diable (4.09) ressemble trait pour trait au futur Death Note et Peine Capitale (2.26) a tout simplement popularisé le verrou temporel repris plus tard par Un jour sans fin ! Les fins les plus choquantes et tragiques sont les plus renommées de l’anthologie, à tel point qu’une série comme Black Mirror peut être vue comme une actualisation réussie de La Quatrième Dimension, Charlie Brooker n’ayant jamais caché sa dette à Rod Serling. Mais La Quatrième Dimension a su aussi proposer des épisodes et des fins humoristiques (Y a-t-il un martien dans la salle ? 2.28) ou juste bouleversantes (L’Echange, 3.31, qui peut se passer de chute tant la dernière scène émeut).

Mais La Quatrième Dimension n’est pas qu’une série à twists, bien qu’elle soit à peu près inégalée dans ce domaine. C’est aussi la collaboration avec plusieurs grands auteurs de SF. En premier Richard Matheson (image ci-contre). L’auteur de Je suis une légende, Duel… est le spécialiste des réalités truquées. Charles Beaumont, lui, montre son obsession de la mort et du jugement ; il mourra à 38 ans, peu après avoir terminé son contrat avec la série. Avec Serling, le trio aura écrit ou co-écrit 128 des 156 épisodes – dont la totalité, moins un épisode, de la saison 1. Quant aux nouvelles adaptées, elles appartiennent à des maîtres du genre (Damon Knight, Ray Bradbury, Jerome Bixby…). Il n’est donc pas étonnant qu’en 2013, la guilde des scénaristes américains (la WGA) ait consacré La Quatrième Dimension comme la 3e meilleure série écrite de tous les temps derrière Les Soprano et Seinfeld. Pour une série qui a sans cesse lutté contre un budget minuscule, les scénaristes de La Quatrième Dimension ont d’autant plus joué sur la qualité des histoires et l’ingéniosité de leurs metteurs en scène. Douglas Heyes était capable avec trois bouts de ficelle d’instiller une atmosphère de cauchemar éveillé.

Des sujets lourds traités avec puissance

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Dès le pilote Solitude (1.01), Rod Serling médite via un homme seul piégé dans un monde inconnu sur les ravages de l’isolement. En avance sur son temps, la série s’attaque au racisme comme dans Un matin noir (5.26) où le soleil refuse de se lever quand un noir est injustement condamné à mort. A la violence enfantine comme réponse à l’abus parental via une poupée douée de vie (La Poupée vivante, 5.06), aux résurgences du fascisme (Il est vivant, 4.04, au ton très Brechtien), l’enfant-roi (C’est une belle vie, 3.08) à cette notion toute relative qu’est l’identité (Neuvième étage, 1.34), à la terreur face à l’inconnu (L’autostoppeur, 1.16, qui inspirera ce bijou qu’est Le Carnaval des âmes). Les chutes se montrent souvent à la hauteur des sujets. Si la série marque son âge sur quelques points, comme le péril nucléaire éminent, l’axe central de l’anthologie semble bien être l’ego, source de tous les vices pour ce philosophe qu’est Rod Serling. Dans ses meilleurs épisodes, le message est reçu avec une force titanesque en même temps que l’on s’éblouit devant les ressorts diaboliques du scénario. La Quatrième Dimension a tout simplement changé la manière de comment écrire et considérer un scénario dans une série. L’écriture dense, riche et thématique des séries d’aujourd’hui doivent beaucoup au chef-d’œuvre de Rod Serling.

La Quatrième Dimension a connu 3 remakes : La Cinquième dimension (1985), La Treizième dimension (2002) et The Twilight Zone (2019). De l’avis général, ils ne rivalisent pas avec la série originale, sans doute par leur ton plus empesé. Le film de 1983, réalisé par Steven Spielberg, John Landis, Joe Dante et George Miller, est un film à sketches souvent réussis qui reprend 4 histoires de la série.

Galerie de stars

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Peu de séries peuvent se vanter d’avoir casté autant de stars du cinéma en devenir. Un nombre étonnant de grands acteurs et actrices ont ainsi fait leurs classes à La Quatrième Dimension : Leonard Nimoy et William Shatner, avant Star Trek, sont passés par la Twilight Zone (voir ci-contre). Mais aussi Robert Redford, Charles Bronson, Ida Lupino, Mickey Rooney, Elizabeth Montgomery, Roddy McDowall, Dennis Hopper, Peter Falk, Veronica Cartwright, Richard Kiel, Lee Marvin, Lee Van Cleef, Donald Pleasence, Robert Duvall, Burt Reynolds, George Takei… la liste est énorme !

La Quatrième Dimension : 10 épisodes pour découvrir la série

La Quatrième Dimension est une anthologie, on peut donc suivre les épisodes dans n’importe quel ordre. Voici 10 épisodes pour vous donner envie :

Question de Temps (1.08)

Un employé de bureau brimé voudrait juste qu’on le laisse tranquille pour qu’il puisse lire en paix. Son vœu sera exaucé mais certainement pas comme il le voulait. Commentaire ironique sur une société accordant plus de place au travail qu’aux arts, Question de Temps est une merveille d’ironie, renommée pour sa chute finale d’une cruauté choquante (et parodiée dans Futurama !)

Les Monstres de Maple Street (1.22)

Une petite ville est privée d’électricité et des évènements étranges se produisent. Bientôt, l’ambiance tourne à la paranoïa et à la violence, chacun accusant son voisin. Métaphore évidente du McCarthysme, Les Monstres de Maple Street est peut-être l’épisode le plus noir et pessimiste sur la nature humaine, où les barrières de la civilisation peuvent s’effondrer à tout moment et faire revenir l’état sauvage. La chute, inattendue, passe presque au second plan tant la virulence tranchante de l’épisode prend à la gorge.

Arrêt à Willoughby (1.30)

Prisonnier d’un job oppressant, blessé par sa femme qui le considère comme un loser, un employé rêve d’atteindre la ville de Willoughby, havre de paix où un train fantastique s’arrête de temps à autre. Mais qui se cache derrière Willoughby ? Pamphlet d’une acidité folle sur les chimères du rêve américain, sur la souffrance au travail et la difficulté de s’échapper du désespoir tranquille du quotidien, Arrêt à Willoughby résonne toujours avec une force terrible. La chute claque comme une porte de fer qui se referme à jamais.

Un monde à soi (1.36)

Tout n’est pas tristesse et souffrance dans La Quatrième Dimension ! Quand un écrivain découvre qu’il a le pouvoir de modeler la réalité selon ses désirs, il ne va pas s’en priver. Comédie festive aux rebondissements incongrus, Un monde à soi est une hilarante métaphore sur les pouvoirs de l’écriture, conclue par une chute méta renversante, l’une des plus imprévisibles de l’histoire des séries !

L’œil de l’admirateur (2.06)

Dans une société où la laideur est passible de déportation, une jeune femme subit une opération de la dernière chance. Parabole maligne sur l’aléatoire des standards de beauté, L’œil de l’admirateur est mémorable pour sa mise en scène ombrée et sa mémorable chute finale. Son suspense prenant et son épilogue doux-amer n’ont rien perdu de leur éclat.

Les Envahisseurs (2.15)

Une vieille femme isolée est attaquée par des envahisseurs miniatures. Muet à l’exception de la démentielle réplique finale qui en est la chute, Les Envahisseurs est un home invasion de la plus belle eau. L’épisode inverse David et Goliath à coup de scènes stressantes et de résistance désespérée. En victime valeureuse au mutisme impuissant, Agnès Moorehead dévore l’écran.

Le Silence est d’argent (2.25)

Un colonel épuisé par les jacassements d’un membre endetté de son club lui propose un pari : 500000$ s’il parvient à se taire pendant un an. Le pari est accepté, s’ensuit une guerre d’ego où les deux hommes vont se détruire mutuellement, mais l’un avec plus de tragique que l’autre. Récit virulent sur l’orgueil, Le silence est d’argent se passe de tout élément surnaturel mais n’en dispose pas moins d’une des chutes les plus atroces de l’anthologie.

Cinq personnages en quête d’une sortie (3.14)

Cinq personnes, un militaire, un clown, une danseuse, un clochard, un musicien, se réveillent enfermés dans une cellule à ciel ouvert. Comment sont-ils arrivés là, nul ne le sait. Et surtout, comment sortir de leur prison aux murs lisses ? Fascinante méditation existentialiste sur l’identité doublée d’une troublante énigme, Cinq personnages en quête d’une sortie se conclut par une chute sidérante où merveilleux et tragique s’entrelacent pour un final restant longtemps en tête.

Personne inconnue (3.27)

Imaginez que vous vous réveillez un matin et personne ne vous reconnaît : ni votre partenaire, ni vos collègues de boulot, ni vos parents… pourtant, physiquement, personne, pas même vous, n’a changé. Cauchemar absurde mais horrifique dont les mâchoires se referment inexorablement sur son héros, Personne inconnue exploite en crescendo son high concept jusqu’à la glaçante chute finale.

Etape dans une petite ville (5.30)

Un couple ayant un peu trop abusé de l’alcool se réveille dans un village isolé, désert, où les apparences sont trompeuses. Au dehors, une voix sans visage semble les narguer. Que se passe-t-il ? Renommé pour sa chute vertigineuse, Etape dans une petite ville est un malicieux récit plein de fausses pistes et parcouru par un mystère étouffant qui ne laisse jamais en repos.

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