Que se passe-t-il dans la tête de David Foenkinos quand il écrit ? D’où lui vient son inspiration ? L’auteur de Charlotte et La Délicatesse incorpore-t-il des petits bouts de vie dans ses romans au charme délicat ? Réponse dans cette interview Fnac, placée sous le signe de la création et célébrant le pouvoir de la littérature.
Comment vient un roman ? Qu’est-ce qui vous pousse à l’écrire ?
David Foenkinos : C’est une vague et très importante question ! Il y a certains jours, je suis simplement motivé par la nécessité organique d’écrire. Je ne suis pas du tout issu d’un milieu culturel, mais j’étais gravement malade à l’âge de 16 ans et, à ce moment-là, je me suis rendu compte que les mots avaient changé ma vie et allaient me sauver, d’une certaine manière. J’ai compris que je ne pourrais pas vivre sans cette nécessité-là, la nécessité d’écrire.
On était en 1991, donc il n’y avait pas internet, pas de possibilité d’accéder aux films, à la culture, à la vie des autres… Ce sont les livres qui m’ont permis de voyager, de m’échapper, de vivre plusieurs vies, tout en étant allongé. Je me souviens de tous les livres qui étaient sur ma table d’hôpital, il y avait Lolita, les livres de Henry Miller, Kundera, Paul Auster, Philip Roth. Ainsi a commencé une forme de boulimie de lecture.
Quel souvenir conservez-vous de votre première publication ?
C’était incroyable, c’était une aventure assez étrange. Pendant 10 ans (entre l’âge de 16 et 25 ans) j’ai écrit sans penser qu’un jour, je serai publié. J’ai finalement envoyé mon manuscrit à des maisons d’éditions : tout le monde l’a refusé… Sauf Gallimard ! C’était assez étonnant pour moi. J’ai même pensé que c’était une blague, un coup qu’on me faisait, quand j’y suis allé pour rencontrer mon éditeur. Cet homme, Jean-Marie Laclavetine, a changé ma vie. J’étais extrêmement pudique et je ne faisais lire mes textes à personne. La première fois que j’ai été publié, j’ai été incroyablement ému de voir mon nom inscrit sur la couverture. Je me suis dit que c’était le début de ma vie d’écrivain.
« Écrire des romans, c’est absolument organique, évident, nécessaire, c’est comme respirer »
Quel est votre conseil de lecture pour des gens qui ne lisent pas ou très peu ?
Pour démarrer, je conseillerais La Promesse de l’aube de Romain Gary. C’est exceptionnel, à la fois sublimement écrit, tellement beau, poétique et, en même temps, c’est la narration de sa vie, narration incroyablement romanesque et héroïque. Je trouve que c’est une très bonne entrée en matière.
Quel est le livre que vous auriez aimé écrire ?
La Vie sexuelle de Catherine M. ! (rires) Il y a tellement de livres que j’admire, que j’aime…
Pourquoi écrire ?
Je ne peux même pas me poser cette question, je ne peux pas rationaliser. C’est absolument organique, évident, nécessaire. Pour moi, c’est comme respirer. Je fais pleins d’autres choses, du cinéma, du théâtre… Mais le roman, et l’écriture, ça reste l’essence de ma vie. Je ne peux pas expliquer pourquoi, à l’âge de 16-17 ans, je me suis mis à écrire, à comprendre que c’était avec les mots que j’arrivais à m’exprimer et que j’avais besoin d’utiliser pour le faire.
Quel est selon vous, dans notre monde contemporain, la place de la littérature et celle de l’écrivain ?
La littérature me paraît extrêmement riche, diverse. Je n’aime pas trop qu’on enferme la littérature française dans l’idée qu’elle est très auto-centrée et que la littérature anglo-saxonne est plus fictionnelle. Ce que j’aime dans la littérature, c’est le fait qu’il n’y a pas vraiment de possibilité de rivalité : chaque auteur a son propre univers, on aime ou on n’aime pas, on y est plus ou moins sensible. J’ai le sentiment que la littérature est toujours aussi riche et étonnante. Quant à l’écrivain, je pense que sa place diminue d’une certaine manière. Quand on lit le Journal de Huguenin ou Sollers dans les années 1960, on se rend compte que, pour un jeune homme ou une jeune femme, publier un premier roman était une sorte de consécration intellectuelle. Aujourd’hui, on a plutôt l’impression que, si on annonce la publication d’un roman, vos proches vont vous dire : « Ah bon, toi aussi ? »
« Je ne suis pas du tout un psychopathe de mon oeuvre »
Vos livres sont traduits dans d’autres pays. Quel est votre rapport à la traduction ?
J’ai cette chance incroyable d’être traduit à peu près partout, et donc, si c’est bien traduit tant mieux, sinon ce n’est pas très grave. Je ne suis pas du tout un psychopathe de mon oeuvre. Je sais que mes livres marchent très bien en Allemagne. Un jour que je faisais une rencontre littéraire, un homme s’est levé et m’a dit : « Bonjour Monsieur Foenkinos, je suis le père de votre traducteur. Je voulais vous dire que vos livres sont très biens, mais ils sont encore mieux en allemand grâce à mon fils ! » Ça c’est le rêve ! Tant mieux si on trouve un traducteur qui améliore votre texte ! Cest comme les adaptations cinématographiques, d’une certaine manière : on ne peut pas retranscrire une langue, ça ne me paraît pas possible. On peut s’en approcher, l’adapter et c’est pour ça que, parfois, j’ai essayé d’apprendre les langues étrangères. J’ai été un peu obsédé par la littérature russe à une époque, mais je me suis arrêté au bout de quelques leçons, bien que j’ai eu le fantasme de lire Dostoïevski dans sa langue… Fantasme inassouvi, donc.
Lequel des romans de Dostoïevski est votre préféré ?
Ces quatre derniers romans me paraissent absolument majeurs. Si je dois choisir : Les Possédés, qui après a changé de titre pour se rapprocher du titre original, Les Démons. C’est le livre qui m’a rendu le plus fou dans son expérience de lecture, j’avais le sentiment de ressentir la fièvre des personnages en le lisant.
Si vous pouviez être un personnage de roman, qui seriez-vous ?
Je trouve que Solal (NB : personnage d’Albert Cohen) est incroyablement romanesque, flamboyant, drôle et fou, mais bon… La fin est un petit peu tragique. Donc je dirais Solal, mais au moment où il séduit Ariane, dans la première partie de sa vie.
« Le monde va de plus en plus vite, les gens vont avoir une aspiration de plus en plus forte vers la lenteur, l’introspection, l’intimité. Le livre va gagner en force et en nécessité. »
Avez-vous une citation préféré ?
Je ne suis pas un roi de la citation, mais si je dois en choisir une, je choisirais une citation de Aragon : « En vain la raison me dénonce la dictature de la sensualité ». J’adore cette expression de la dictature de la sensualité et l’idée qu’elle puisse être un combat parfois avec la raison. Quand on écrit, on est soumis à cette dictature-là.
Vos livres comportent-ils des anecdotes personnelles ? Un peu de votre vie ?
Il y a très peu de choses personnelles dans mes livres, à part dans Charlotte, étrangement. C’est la biographie d’une artiste allemande et j’y raconte mon enquête et pourquoi cette femme me touchait autant. C’est une autobiographie émotionnelle. La plupart de mes romans, même si parfois j’ai joué avec l’autobiographie possible, sont extrêmement éloignés de ce que je peux vivre. J’y mets forcément ma façon de voir les choses, mon regard sur la vie, l’humour ou la mélancolie, mais je ne me sens pas du tout dans une énergie autobiographique.
Comment voyez-vous la littérature évoluer dans les années à venir ?
Je suis d’une nature plutôt optimiste, donc je pense que l’on aura toujours besoin de la littérature. Le monde va de plus en plus vite, les gens vont avoir une aspiration de plus en plus forte vers la lenteur, l’introspection, l’intimité. Le livre va gagner encore en force et en nécessité parce que c’est vraiment le refuge absolu pour s’extraire du monde. Je suis très optimiste par rapport à ça. J’ai l’impression que c’est un désir de plus en plus fort, pour les gens, d’écrire. Je pense donc qu’il y aura de plus en plus de lecteurs et de plus en plus d’écrivains.
Quels conseils donneriez-vous à un aspirant romancier ? Que doit-il faire pour être publié ?
Je n’ai pas vraiment de conseil… Je pense qu’il faut être extrêmement libre dans son esprit, être curieux. Il ne faut pas être entravé par quoi que ce soit. Pour être publié, c’est simple : il faut se confronter et envoyer son texte aux maisons d’édition, ou le mettre sur internet. Je me dis qu’un texte, s’il doit exister et rencontrer les lecteurs, il le fera.
Avez-vous un roman en gestation, un roman que vous aimeriez écrire, sans pouvoir le faire, ou sans oser le faire ?
Non, je ne crois pas. J’ai plutôt des romans desquels je me sens assez éloigné. Par exemple, je n’aime pas du tout mes premiers livres, je les trouve trop fous, absurdes, burlesques. Ce n’est pas que je les renie, c’est que je ne m’en sens pas très proche d’eux. Je n’ai pas de roman que j’aurais aimé écrire et que je n’ai pas écrit. Tout le monde a envie d’écrire quelque chose d’intéressant et formidable… Je suis plutôt obsédé par ce que je vais faire après. Peut-être qu’il n’y aura rien après, mais ce n’est pas très grave.
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Photo : Francesca Mantovani – Éditions Gallimard