Pour Charles Perrault, les frères Grimm ou Andersen, un conte de fées ressemble plus à un sordide fait divers moralisateur qu’à une féérique bluette animée signée Disney. La sortie en salles d’une énième version de La Belle et la bête offre donc un solide prétexte pour relire les grands anciens et rappeler que les versions proposées au cinéma depuis une certaine Blanche-neige en 1937 sont quelque peu… édulcorées.
Aux origines, la tradition orale
Hérités de la tradition orale des folklores locaux, les contes deviennent sous la plume de leurs célèbres transcripteurs de brutales leçons de morale d’où, contrairement au crédo du vieux Walt, le happy end est accessoire. Les ogres et les loups y dévorent les enfants sans condiments alors que les marâtres préfèrent les rôtir au four, les belles-mères sont des harpies malfaisantes, les sirènes se mutilent pour se faire aimer et de candides princesses se font lâchement abusées dans leur sommeil par des princes pas vraiment charmants…
Perrault vs Grimm vs Disney
Homme de lettres et académicien du XVIIe siècle, Charles Perrault réécrit et réinterprète ces vieilles histoires aux origines parfois incertaines – grâce notamment à de nouveaux titres – dans son recueil des Contes de ma mère l’oye pour éduquer ses enfants alors que les frères Grimm les reprennent un siècle plus tard pour en proposer de vigoureuses versions germanisées. Adeptes des scènes chocs, l’épilogue faussement heureux de leur Petit chaperon rouge est d’ailleurs digne d’un film gore, chaperon et mémé étant sauvées in extremis des sucs digestifs par un chasseur éventreur de loup, quand la version antérieure du français verse dans la noire sentence moraliste avec un loup triomphant et bien repu. Et que dire du final du Blanche neige version Grimm où la méchante reine est condamnée par sa rayonnante belle fille au supplice létal de la chaussure bouillante… Walt Disney n’aurait jamais validé ça !
Le cas de la princesse Aurore
Et pour finir sur une note encore plus dure, dans la version originelle de La Belle au bois dormant, que Perrault, Grimm et Disney se sont empressés de rendre acceptable, ce n’est pas un chaste baiser qui réveille la princesse Aurore mais bien les deux enfants qu’elle a mis au monde durant sa narcolepsie. Immaculées conceptions ? Demandez donc au prince Philippe de faire un test de paternité.
Les histoires de monsieur Andersen
Alors qu’il aurait pu facilement puiser dans son expérience de grand voyageur pour adapter à la sauce scandinave des contes du monde entier, Hans Christian Andersen se donne le mal de doter d’une morale austère ses propres histoires. Plutôt sombres et mélancoliques, ses contes les plus célèbres comme La Petite Sirène et La Reine des neiges sont à des années lumières des adaptations joyeuses et bigarrées qui ont fait chavirer de bonheur des millions d’enfants sur la planète. Faut-il les laisser croire que la belle Ariel se marie toute en jambes avec Éric ou bien leur avouer que sa double mutilation volontaire pour gagner l’amour du prince est un échec cuisant aux conséquences dramatiques ? Imaginent-ils un seul instant que La Reine des neiges n’a rien d’une pétillante patineuse blonde mais qu’elle est en réalité une femme maléfique qui ne trouve rien de mieux à faire que de planter des morceaux de miroir ensorcelé dans les yeux d’un gentil garçon ? Depuis la face cachée des contes de fées, toutes les vérités ne sont décidément pas bonnes à dire…
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Photos d’illustration © Jill 111 / Anja Schindler