Comment rebondir après une série manga aussi drôle et intelligente que Switch Girl ? Pour Natsumi Aida, la réponse tient dans un concept encore plus audacieux. Et si sa nouvelle héroïne n’avait même plus l’excuse d’être une jolie fille qui se laisse aller dans l’intimité de son appartement ? Et si elle était le porte-drapeau de toutes ces filles, « moches », à qui on ne donne pas le droit d’être simplement aimées ?
Une héroïne avec une « tronche de cake »
Tordre le cou aux diktats de la beauté, Natsumi Aida l’a fait durant les 25 tomes de son best seller Switch Girl !! Mais le point de vue de cette série était celui d’une jeune fille séduisante qui ne supportait pas le poids des artifices quotidiens qu’elle devait déployer ni celui du regard des autres entretenant son image. Place désormais à Mito Meguro, une collégienne se situant elle-même très en dessous de la « moyenne basse » de sa classe. Elle qualifie son visage de « tronche de cake », et elle est obsédée par des joues proéminentes qui lui donnent des allures de petite grosse. Ces complexes ont débouché sur un quotidien dans lequel de nombreuses jeunes lectrices pourront se retrouver. Mito Meguro a peu d’amis, des « geekettes » partageant son goût pour des jeux vidéo de drague où elles peuvent projeter leurs fantasmes sentimentaux inassouvis. Dans ces jeux, Mito se voit en jolie princesse (d’où le titre, une princesse ressemblant aux héroïnes typiques de shôjo manga), séduite par un jeune bellâtre aussi lisse qu’attentionné.
La beauté cachée de Mito Meguro
Avec un monde intérieur en forme de forteresse pour se protéger du regard des autres, des complexes irrationnels qui lui interdisent de se valoriser, une vie sociale réduite, Mito Meguro souffre en silence mais possède une qualité importante : la ténacité. Et il lui en faudra pour gravir la montagne qu’elle s’est choisie, le beau Kunimatsu, dont elle vient de tomber amoureuse. Ce cri du cœur (« je suis moche mais je veux qu’on m’aime ») résume bien le crédo d’un manga qui ne va pourtant pas s’arrêter là et questionne en permanence le lecteur. Par exemple, Mito serait petite et grosse, réalité que l’auteure fait voler en éclat en interrogeant le lecteur sur sa capacité à observer et juger trop vite et trop mal les gens. Natsumi Aida a d’ailleurs toute la légitimité pour le faire : elle est dessinatrice.
Quant à l’intrigue, elle dépasse largement la question de la romance pour souligner à quel point le manque de confiance en soi peut devenir une prison pour l’âme. Ugly Princess est le récit subtil d’une quête du courage pour vaincre le poids des apparences, la solitude et réussir à changer de regard sur soi.
Un tournant dans l’œuvre de Natsumi Aida
L’importance d’Ugly Princess dans la carrière de l’auteure se retrouve également dans l’évolution du style graphique. Autant Switch Girl!! adoptait les codes graphiques commerciaux du shôjo manga pour mieux creuser le contraste avec le style burlesque du célèbre « mode off » de l’héroïne, autant Ugly Princess cultive bien plus de styles différents. Manga shôjo, réaliste, caricature de shôjo, cartoon, autant de styles qui permettent à l’auteur de baliser les différents niveaux de réalité et de bousculer de façon encore plus sophistiquée que dans Switch Girl!! les attentes des lecteurs. À bien des égards, Ugly Princess est résolument le shôjo manga le plus pertinent et le plus brillant de la saison.
Le second tome d’Ugly Princess est annoncé pour le mois de juin !
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Paru le 14 avril 2016