Album multi-primé « Mauvais genre » de Chloé Cruchaudet à été chroniqué, décortiqué en long et en large donnant divers éclairages et hypothèses sur la quête identitaire de Paul, la misère du couple et l’étrangeté de cette société en crise, dans cette période de la Grande Guerre dont on célèbre cette année le centenaire comme un anniversaire gênant où l’on arriverait les mains vides.
Album multi-primé Mauvais genre à été chroniqué, décortiqué en long et en large donnant divers éclairages et hypothèses sur la quête identitaire de Paul – devenue Suzanne pour une partie de la nuit – sur la misère du couple et l’étrangeté de cette société en crise, au cœur d’une période de guerre dont on célèbre cette année le centenaire comme un anniversaire un peu gênant où l’on arriverait non seulement les mains vides, mais également invité par la mauvaise personne.
Le spectre de la guerre – selon la formule consacrée – rôde dans les recoins de ces pages dépourvues de cases, et accentue les tensions, donne du poids aux choix des personnages. Période trouble où se débattent nos deux (trois) héros qui ne peuvent atteindre cette vie « normale » qui fait tant envie. Un désir de devenir autre pour échapper à une vie violente comme un étrange écho à l’automutilation, qui ouvre le récit, pour échapper à une mort violente.
Car bien avant les histoires de mœurs et les violences passionnelles, il est bien question de misère et d’un prolétariat terrorisé. Conscription, rationnement, travail et salaires impossibles, tout ceci en parallèle des « loisirs » de Paul/Suzanne. Évasion de l’esprit par le don du corps, les virées de Suzanne accentuent le mal-être et la distance du couple qui se comprend de moins en moins, mais également de la place inexistante de ces derniers dans la société qui ne les accepte plus. Ce n’est pas un hasard si le tribunal ferme les yeux sur les actes de Louise – que les notables peuvent imaginer – tandis que ceux de Suzanne ne rentrent pas dans leurs grilles mentales.
Mauvais genre © Chloé Cruchaudet / Delcourt
Adapté d’un essai récent, La Garçonne et l’assassin de Fabrice Virgili et Danièle Voldman aux éditions Payot, ce nouveau livre se place dans la continuité du travail de Chloé Cruchaudet qui s’attache à mettre en scène et en image des biographies insolites et les sociétés qui leur sont contemporaines.
Et, si la forme narrative reste très classique, le traitement des planches à l’aquarelle, sans cases, change de ses albums précédents et donne un peu plus de caractère et de personnalité à cette histoire intrigante. Une fiction plus dense et psychologique, où les séquences de rêves se mêlent progressivement à la réalité gardant l’esprit « conte » pour adulte qui transparaissait déjà dans ses travaux précédents.
Très accessible au demeurant, cette bande dessinée s’inscrit dans cette mouvance où le sujet l’emporte un peu sur le médium. On assiste à un véritable engouement pour ces albums basées sur des faits réels avec un public de plus en plus large, et pas forcement lecteur ou amateur de BD, qui se penche sur ces problèmes de société, avec parfois un fort contexte historique. En tout cas, un album séduisant à lire et à offrir pour qui s’intéresse à ce grand moment tragique de l’Histoire ou à aux personnalités hors du commun.