Cinq ans après les attentats du 13 novembre, En thérapie s’ancre, cette fois, dans la crise sanitaire et ses conséquences individuelles. Dans le cabinet du docteur Dayan, de nouveaux itinéraires. Toujours addictive, toujours émouvante, la série tend encore ce miroir au gouffre abyssal universel.
La série En thérapie, conçue par Éric Toledano et Olivier Nakache, continue de décrypter, d’explorer, d’exposer la psyché dans une saison 2 tout aussi vertigineuse et addictive que la première, basée, à l’époque, sur le traumatisme collectif des attentats du 13 novembre 2015.
Cinq ans plus tard, en pleine crise sanitaire mondiale, d’un confinement à l’autre, le psychanalyste Philippe Dayan, toujours porté par un Frédéric Pierrot envoûtant de retenue mais au bord de l’implosion, vit en proche banlieue parisienne. Fatigué, déprimé, paumé, souvent seul dans sa vie personnelle, il est attaqué en justice depuis plusieurs années par la famille d’Adel, ce flic démissionnaire parti combattre Daesh en Syrie et mort sur place, joué par un Reda Kateb brillant d’impulsivité. Mais rien qui n’altère la profonde qualité d’écoute du psy.
Quatre nouveaux patients
Dans son cabinet, tout aussi similaire que différent du premier, Inès, d’abord, incarnée par la merveilleuse Eye Haïdara, déjà dirigée par le duo Toledano-Nakache dans Le Sens de la fête. Avocate quadragénaire tenace, éloquente, charismatique, bouffée par son métier, aux rapports difficiles avec sa famille d’origine malienne, elle participe à instruire le dossier de non-assistance à personne en danger dans lequel est englué Dayan. Il ne se souvenait pas d’elle, elle n’a jamais oublié celui qu’elle est allée consulter avant d’avorter à 17 ans. Elle lâchera le dossier pour reprendre un travail thérapeutique laissé en plan depuis trop longtemps.
Le mardi, au tour de Robin, au visage d’Aliocha Delmotte, cocktail étonnant de mélancolie et de vivacité. L’adolescent enrobé est le fils du couple volcanique de la première saison : Léonora et Damien (Clémence Poésy et Pio Marmaï). Obsédé par le Covid, le garçon de 11 ans, envahi de culpabilité, ne veut pas croire au divorce de ses parents.
Mercredi, voilà Lydia, pétillante Suzanne Lindon. Fille de, héritière du talent fou aussi lumineux que névrosé de ses parents (Vincent, évidemment, et Sandrine Kiberlain). La patiente, étudiante en architecture, cherche la bonne personne pour se livrer et est très remontée contre une consœur de Dayan. Il apprendra vite que la jeune femme refuse de soigner une grave maladie dont personne n’est au courant autour d’elle.
Enfin, le jeudi, c’est Alain qui vient demander un coup de pouce à Philippe Dayan. Grand patron, l’homme est pris dans la tourmente après le suicide d’une employée surmenée pendant le confinement. Sauf qu’il confond psy et communicant. Jusqu’à se livrer et mettre en perspective des sauts dans le vide traumatisants. Peut-être l’un des plus beaux rôles du comédien Jacques Weber, formidable d’émotions en chef d’entreprise impitoyable et rétrograde dont ces instants confidentiels subliment l’humanité.
Le vendredi, c’est Dayan qui s’ouvre, face à une nouvelle superviseure, Claire Brunet, psychanalyste de renom, essayiste en vogue. Charlotte Gainsbourg s’en charge et continue de nourrir une galerie de personnages d’une justesse rare.
Des maisons qui deviennent des bureaux, des frontières floues entre les règles et les nécessités, des malades imaginaires et d’autres qui s’ignorent, certains qui abandonnent, d’autres encore qui sont abandonnés, des personnes seules, d’autres qui s’isolent… Cette saison 2 s’empare d’une nouvelle épreuve collective pour creuser plus encore le sillon des cicatrices personnelles. Des sillons et cicatrices qui dessinent le visage marqué de Frédéric Pierrot, comme les trainées que laissent les histoires de chacun sur celui qui écarte la sienne.
Tous défrichent l’inconscient pour tisser des liens entre les événements de leur vie, des mises en perspective qu’ils se sont sentis, trop longtemps, incapables d’apercevoir. Des échanges qui montrent que rien n’est jamais anodin.
Tout n’est pas triste, au contraire, mais chaque mot, chaque pensée renvoie toujours à un autre mot, à une autre pensée, enfouie, loin dans une existence qui ne cherche pas toujours à connecter les instants, qui a peur de construire un puzzle dont le semblant de cohérence pourrait produire un vertige effrayant. Mais salvateur. En thérapie, c’est un duel. Un duel contre soi-même, contre ce qu’on est venu entendre mais qu’on ne veut pas écouter.
Quatre nouveaux réalisateurs
De nouveaux personnages et de nouveaux réalisateurs pour sublimer ces confidences : Agnès Jaoui, Emmanuelle Bercot, Emmanuel Finkiel et Arnaud Desplechin, dont les épisodes sont repérables à la tentation de toujours plonger au plus près des regards, des mimiques de chacun. Même rythmique, même mécanique que la première saison, mais voilà 35 épisodes aussi addictifs que leurs aînés. Avec de grandes libertés prises par rapport à la série israélienne originelle, Betipul.
On est tous cet enfant dont les parents divorcent, ce patron confronté au suicide d’une salariée, 50 ans après celui de son frère, cette avocate carriériste incomprise par sa famille, cette jeune femme qui ne veut pas soigner son cancer… Ces intimités deviennent le miroir indéniable de nos propres vécus, de nos expériences, de nos souffrances, de nos mélancolies.
On est tous hantés, malgré nous, par des images qui ont orienté le cours de nos vies. On a tous des mots à lâcher. En thérapie, c’est intelligent, surprenant, envoûtant et vertigineux. Inoubliable.
En thérapie, saison 2, depuis le 31 mars sur Arte.