Les banques centrales sont nombreuses à avoir manifesté leur intérêt pour une version virtuelle de leur monnaie fiduciaire face à l’utilisation importante des solutions numériques et la popularité des cryptomonnaies. Explications.
Une centaine, c’est le nombre de pays explorant actuellement une monnaie numérique de banque centrale (MNBC) selon le Fonds monétaire international (FMI). Si certains – comme l’Union européenne – sont en pleine recherche et que d’autres entreprennent des tests, quelques pays les distribuent déjà au public. Comme leur nom l’indique, ces MNBC sont des versions numériques de monnaies fiduciaires matérielles, soit des espèces. Utilisables pour effectuer des transactions, elles sont notamment vues comme une alternative aux cryptomonnaies, également connues sous le nom de monnaies privées.
Surfant sur une vague de popularité depuis l’année dernière, celles-ci se sont invitées dans les jeux vidéo, le cinéma ou encore l’art. Plus de 15 000 milliards de dollars ont ainsi été échangés sous cette forme en 2021. Mais leur notoriété s’accompagne aussi de craintes liées aux risques qu’elles présentent par certaines de leurs caractéristiques. Des inquiétudes ne sont plus présentes avec les MNBC, qui constituent bien plus qu’une alternative aux cryptomonnaies.
Une monnaie numérique plus sûre
Face à la popularité croissante des cryptomonnaies, les banques centrales sont nombreuses à craindre une perte de contrôle de l’offre de monnaie et de systèmes de paiement. « Les pays cherchent à préserver les aspects clés de leurs systèmes monétaires et financiers traditionnels, tout en expérimentant de nouvelles formes de monnaie numérique », a déclaré Kristalina Georgieva, directrice générale du FMI en février dernier. Les cryptomonnaies constituent en effet un risque pour la stabilité économique par rapport à leur volatilité. Dépendant des investisseurs et de la spéculation, leur valeur peut atteindre des records tout comme elle peut s’effondrer en l’espace de quelques heures. En témoigne les variations récentes du cours du bitcoin : après avoir franchi le cap des 68 000 dollars en novembre 2021, il a chuté de plus de 40%, passant à 33 000 dollars en janvier.
L’absence de réglementation et de contrôle par une autorité centrale est une autre caractéristique des cryptomonnaies. Cette décentralisation est même au coeur de sa raison d’être. Un manque qui s’accompagne de plusieurs risques, à l’image des usages criminels. À la croissance de leur utilisation s’est d’ailleurs ajoutée une augmentation des transactions illégales en 2021. Les MNBC auraient l’avantage de ne pas présenter ce genre de problèmes. Conçues pour être plus stables et plus sûres, leur valeur est indexée sur la devise d’un pays. Pour la directrice du FMI, elles constitueraient une meilleure alternative que les stablecoins, qui sont pourtant moins volatiles que les cryptomonnaies du fait de leur valeur adossée à celle d’actifs plutôt stables comme le dollar américain ou les métaux précieux. « Même les stablecoins les mieux gérés et réglementés peuvent ne pas être tout à fait à la hauteur d’une monnaie numérique stable et bien conçue de la banque centrale », a-t-elle déclaré. Encore faut-il obtenir une bonne conception, ce qui nécessite du temps et des expérimentations.
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Des caractéristiques à prendre en compte dès la conception
Les MNBC étant une version numérique de l’argent liquide, les banques centrales doivent reprendre certains de ses aspects pour intéresser les futurs consommateurs. Ces caractéristiques ont été relevées par le FMI dans un rapport, mais aussi par plusieurs autorités dont la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). L’anonymat est l’une d’entre elles. Il est en effet impossible de tracer les achats effectués avec les espèces et il n’y a pas de risque pour la vie privée. Il n’est cependant pas facile de garantir l’anonymat avec les MNBC. Selon la CNIL, les conditions d’émission et de distribution en ligne de l’euro numérique ne semblent pas compatibles technologiquement avec un anonymat total dans l’usage.
Les banques centrales ont conscience que cette caractéristique est importante pour les futurs utilisateurs. En avril 2021, la banque centrale européenne a par exemple publié les résultats d’une consultation publique dans laquelle 43% des répondants ont indiqué qu’ils considéraient la confidentialité comme le point le plus important pour un euro numérique. L’anonymat des paiements présente tout de même un certain problème : il peut être utilisé à des fins illicites comme le financement du terrorisme. Il est donc nécessaire de trouver un équilibre, et l’une des solutions actuelles se présente sous la forme de seuil en dessous duquel l’anonymat serait garanti pour les transaction quotidiennes.
Autre élément considéré comme essentiel : la possibilité d’effectuer des transactions hors ligne. En plus d’atténuer les risques de traçage, cela permet de rendre une monnaie numérique accessible partout et dans toute situation. « La capacité de payer lorsqu’ils ne sont pas connectés aux principaux systèmes de télécommunication est importante pour accroître la résilience dans les situations de crise, telles que les catastrophes naturelles et les conflits armés », indique le FMI dans son rapport. C’est aussi une fonction importante pour les zones disposant d’un accès aux télécommunications inégal.
Le défi de l’inclusion financière
La fonctionnalité hors ligne pour les MNBC est en outre importante pour plusieurs pays car elle permet d’accroître l’inclusion financière. Ce terme désigne la possibilité, pour toute personne, d’avoir accès aux services financiers de base nécessaires au quotidien comme un compte bancaire. Si le Salvador parie sur le bitcoin pour y parvenir, c’est aussi l’un des objectifs politiques pour de nombreuses MNBC. Elles sont vues comme un moyen de faciliter l’inclusion financière en augmentant l’accès aux paiements numériques. Les Bahamas ont ainsi lancé leur monnaie numérique baptisée « Sand Dollar » en 2020 pour, entre autres, « atteindre l’inclusion financière, la rentabilité et offrir un meilleur accès aux services financiers » dans tout le pays. 20% de la population adulte n’y disposerait pas de compte bancaire. Un problème en partie lié à la géographie des Bahamas qui se composent de nombreuses îles et pour lesquelles il est coûteux d’assurer des services financiers.
Avec les monnaies numériques, les banques centrales cherchent également à faciliter l’accès aux paiements. Cela concerne même les pays avec un niveau élevé d’inclusion financière, à l’image de la Suède, selon le rapport du FMI. La Riksbank, soit la banque centrale suédoise – qui travaille sur son projet de monnaie numérique – a pour objectif d’assurer un large accès aux paiements avec l’e-krona. La Suède fait partie des pays où l’utilisation des espèces diminue au profit des solutions numériques. Le problème, c’est que certaines parties de la population préfèrent les paiements en espèces. La Riksbank a ainsi identifié les personnes âgées et les groupes souffrant de certains handicaps comme ceux qui seraient potentiellement affectés dans une société sans argent liquide. Elle cherche donc une manière, avec l’e-krona, de faciliter la création des paiements numériques particulièrement adaptés à ces groupes en complément des espèces. Il ne s’agit pas de remplacer l’argent liquide. Au contraire, la Riksbank s’est engagée à en garantir la distribution et l’utilisation dans le futur.