Critique

A la rencontre du petit prince : l’exposition phare dans les pas d’Antoine de Saint-Exupéry

11 mars 2022
Par Félix Tardieu
A la rencontre du petit prince : l'exposition phare dans les pas d'Antoine de Saint-Exupéry
©Coll. Succession Saint-Exupéry - d'Agay Photo : MAD, Paris / Christophe Dellière

L’enfant le plus emblématique de la littérature moderne, le petit prince, pose aujourd’hui ses valises à Paris pour une exposition historique qui offre une plongée envoûtante dans l’œuvre d’Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944).

« Je suis de mon enfance ». L’œuvre d’Antoine de Saint-Exupéry est de part en part travaillée par cette figure de l’enfant, qui ne quittera jamais l’écrivain et pilote aguerri tout au long de ses périples aériens autour du globe. D’emblée, l’exposition À la rencontre du petit prince annonce la couleur : plus qu’une simple exposition, c’est une invitation à pénétrer dans la vie et dans l’oeuvre d’Antoine de Saint-Exupéry, dans son enfance, ses souvenirs, son imaginaire, à la découverte d’une existence poétique, philosophique, humaniste et morale. L’exposition jouit certes de la dimension exceptionnelle de l’événement : c’est la première fois que le manuscrit original du Petit Prince, conservé à la Morgan Library & Museum de New York, atterrit en France, pour l’occasion entouré de plus de 600 pièces exceptionnelles, dont une flopée d’illustrations originales de Saint-Exupéry pour Le Petit Prince, elles aussi dévoilées pour la première fois au public français.

Antoine de Saint-Exupéry, Le petit prince en tenue d’apparat ©Coll. Succession Saint-Exupéry – d’Agay ©Photo : MAD, Paris / Christophe Dellière

Les amoureux du Petit Prince, oeuvre qui constitue donc le centre névralgique de l’exposition installée au MAD (Musée des arts décoratifs), trouveront sans mal leur bonheur ; mais l’exposition constitue également une occasion incontournable pour les admirateurs de la plume de Saint-Exupéry de se plonger dans les innombrables lettres manuscrites et feuillets laissés ici et là par l’auteur de Courrier Sud (1929) et Terre des hommes (1939). Un corpus massif qui, pris dans ensemble, abrite à plus d’un titre les prémisses du Petit Prince, réputé être le deuxième ouvrage le plus traduit au monde après la Bible, conte poétique et philosophique et malgré lui testamentaire puisque son illustre auteur perdra la vie en juillet 1944 à bord de son Lockheed P-38 Lightning, alors qu’il survolait la Méditerranée pour une mission de reconnaissance, un peu plus d’un an seulement après avoir confié son manuscrit à son amie américaine Silvia Hamilton.

«  S’il vous plaît… dessine-moi un mouton ! »

On entre ainsi dans l’exposition comme on entrerait dans un coffre-fort de souvenirs, telle l’antichambre imaginaire de l’enfance de Saint-Exupéry où l’on s’amuserait à déchiffrer les lettres écrites à sa mère, au coin desquelles le jeune Antoine s’amuse déjà à griffonner quelques dessins, ou encore à découvrir les images qui ont très tôt façonné son imagination, ménageant déjà le sérieux et la gravité des choses humaines – les images de machines aériennes et des bombardements de Paris gravés dans les journaux de sa jeunesse – et la rêverie et l’aventure – l’Astronomie populaire de Camille Flammarion, les livres de Jules Verne et autres contes en tous genres.

Antoine de Saint-Exupéry chez Silvia Hamilton, 1942 ©Coll. Succession Saint-Exupéry – d’Agay

L’auteur de Vol de nuit (1931) semble avoir toujours été habité par cette cohabitation entre l’innocence de l’enfance et l’engagement dans le monde, à l’image de ses années à servir dans l’aviation, que ce fut en tant que pilote militaire, grand reporter ou bien durant ses années de service pour l’Aéropostale qui inspireront ses plus grands romans. L’exposition dévoile par exemple les feuillets de Courrier sud, qui présentent alors un lot de ratures, de dessins griffonnés dans la marge, comme la manifestation ultime de cette complémentarité fondamentale chez Saint-Exupéry entre l’image et l’idée et cette relation profonde entre l’aviation et l’écriture. 

La scénographie de l’exposition, sans être particulièrement révolutionnaire, est tout de même traversée de belles idées, comme celle de disposer certains corpus dans des vitrines ovales et circulaires, évoquant à la fois la rondeur de le l’astéroïde habité par le petit prince et les cartes aériennes tracées par Saint-Exupéry. La patience est de mise, alors que se rapproche doucement le clou de l’exposition. En 1935, Saint-Exupéry et son mécanicien André Prévot s’écrasent dans le désert égyptien durant le raid aérien Paris-Saïgon. De cette longue marche dans le désert de Libye, où les deux hommes faillirent bien rendre leur dernier souffle, Saint-Exupéry tirera l’un de ses romans phares, Terre des hommes (1939), œuvre dont émanent sa pensée humaniste et son sens profond de l’engagement.

Seul l’esprit, s’il souffle sur la glaise, peut créer l’Homme.

Antoine Saint-Exupéry, Terre des Hommes
Antoine de Saint-Exupéry, « Un jour j’ai vu le soleil se coucher quarante quatre fois« , illustrations pour le chapitre VI, 1942 ou 1943 ©Coll. Succession Saint-Exupéry – d’Agay ©Photo : Fondation JMP pour LPP

Se doutait-il alors, dans son dialogue intime avec la mort sous ce soleil ardent, que Le Petit Prince était sur le point de naître ? Saint-Exupéry y reviendra, dans ce désert, non pas en personne, mais du moins à travers ses souvenirs, comme afin de puiser certaines des images que l’on retrouvera ensuite distillées dans Le Petit Prince : l’aviateur abîmé dans le désert, le renard des sables, la rose… Assoiffé, en proie aux hallucinations et aux mirages, Saint-Exupéry aurait-il aperçu le petit prince ? L’a-t-il seulement rêvé, ou confondu avec cette silhouette humaine tant inespérée qui viendra finalement délivrer les deux hommes ? Nul ne le sait vraiment.

Mais c’est précisément ce mystère qui entourera à jamais la naissance du livre – au-delà de la demande explicite de son éditeur américain Reynal & Hitchcock de produire un conte pour enfants – qui en fait une oeuvre au rayonnement universel, à l’image de la dernière salle de l’exposition, conçue comme une bibliothèque, qui ne manque pas de rappeler que Le Petit Prince demeure un des ouvrages les plus lus et les plus traduits dans le monde.

Infos pratiques
À la rencontre du petit prince, Musée des arts décoratifs (Paris 1er), du 17 février au 26 juin 2022 – du mar. au ven. de 11h à 18h, le week-end de 11h à 20h – Tarif : 14€, TR : 10€, Gratuit pour les moins de 25 ans
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Article rédigé par
Félix Tardieu
Félix Tardieu
Journaliste