L’autrice Lola Lafon et la dessinatrice Pénélope Bagieu sortent une bande dessinée : La nuit retrouvée. Ensemble, elles pulvérisent les cases auxquelles sont assignées les femmes dans la société.
Un duo de choc ! L’autrice féministe Lola Lafon, connue pour sa plume engagée, et la dessinatrice Pénélope Bagieu, qui réhabilite notamment les figures féminines effacées de notre histoire dans sa saga Culottés, allient leur talent dans La nuit retrouvée (Gallimard), une bande dessinée tout en convictions et tendresse.
Récit d’émancipation
Que se cache-t-il derrière l’apparence discrète de cette mère de famille ? Dans La nuit retrouvée, Hélène fête ses 60 ans. Pour l’occasion, la sexagénaire réunit ses trois enfants, désormais jeunes adultes, autour d’un repas, dans leur maison de vacances à Hossegor, dans les Landes. Ils cuisinent ensemble, jouent à des jeux et se remémorent des souvenirs. Mais d’anecdote en anecdote, les révélations se fraient un chemin. Une fois ses deux fils partis, Hélène se retrouve en tête à tête avec sa fille Faustine.
Est-ce l’atmosphère festive ou l’intensité du ciel étoilé qui délie la langue la mère de famille ? Cette dernière est d’humeur à se confier. Des années plus tôt, dans cette même maison de vacances, Hélène passe son premier été séparée du père de ses trois enfants. Comment tout gérer seule ? La mère de famille navigue dans l’inconnu et tente de tout reconstruire. Elle traîne alors sa joyeuse troupe de marmots à une compétition de surf. D’un côté, sur la grande plage, la foule et les médias se ruent pour admirer les prouesses des surfeurs. De l’autre, sur une plage plus intimiste, les surfeuses battent, elles aussi, des records… mais en toute confidentialité. Un décor connu des romans de Lola Lafon, passionnée de surf et amoureuse du sud-ouest, qui ne perd jamais l’occasion de dénoncer les inégalités entre les femmes et les hommes.
Hélène est fascinée par ce sport spectaculaire, à l’opposé de son quotidien routinier. Mais tout bascule lorsque la championne du monde de surf lui manifeste un intérêt particulier. Face à l’océan et ses vagues indomptables, Hélène se laisse porter par ses désirs les plus enfouis pour la première fois de sa vie.
Entre flashbacks et confessions, Lola Lafon dissèque ce décalage entre le vécu de cette jeune mère fraîchement célibataire et ce qu’elle décide d’omettre, plusieurs années après, dans le récit qu’elle fait à sa fille. Côté dessin, Pénélope Bagieu capture à merveille ces silences qui en disent long. Ses planches pop et colorées, qui subliment à la fois les couchers de soleil sur l’océan et les nuances bleutées de la nuit, nous immergent dans cette bulle de révélations suspendue hors du temps.
Des héroïnes 2.0
Une mère de famille peut-elle être une héroïne de bande dessinée ? C’est le pari que se sont lancé Lola Lafon et Pénélope Bagieu. Dans tous ses romans, l’autrice féministe donne vie à des personnages qui prennent des tournants inattendus et dégomment, au passage, les stéréotypes de genre. Hélène, elle, est coincée par la société dans son rôle de mère de famille, douce, discrète et « programmée » pour s’inquiéter pour ses enfants. Sa famille aussi la fige dans ce rôle. Sa fille lui lance même : « Qu’est-ce que je suis contente, Maman, de tenir de toi pour tes taches de rousseur… plutôt que pour le sens de l’aventure. » En réalité, Hélène est bien plus complexe. En se réconciliant avec ses peurs, elle redevient l’héroïne de sa propre vie. Alors qu’elle traverse la forêt des Landes, seule, dans la nuit, Hélène n’a jamais vu aussi clair de toute sa vie.
Le dessin de Pénélope Bagieu célèbre quant à lui la diversité des morphologies féminines, loin des représentations fantasmées qui ont longtemps dominé dans le 9e art. Le personnage de la championne, dont les muscles saillants lui permettent de performer sur sa planche, ne correspond pas au stéréotype de la surfeuse blonde et longiligne dont raffolent les sponsors. Dans ce récit 100% féminin, rien ne sonne faux. À travers la plume de Lola Lafon, on imagine les heures passées par l’autrice à observer et admirer ces femmes que l’on ne raconte habituellement pas, ou très peu. Chaque personnage est authentique et les moments en famille sont universels. Les scènes d’intimité, aussi, sonnent vrai et célèbrent la douceur.
Un nouveau vent souffle sur la bande dessinée, qui se décide enfin à faire la part belle aux femmes de l’ombre. Dans la même veine que La nuit retrouvée, la BD Marcie de Cati Baur, sortie cette année, où l’autrice fait de l’invisibilité de son héroïne, une mère célibataire de 50 ans, un super-pouvoir qui lui permet de se glisser dans la peau d’une détective privée. Avec cet album commun, Lola Lafon et Pénélope Bagieu renversent le stigmate et introduisent un nouveau genre d’héroïne.