
Après une pause imposée, Miossec remonte sur scène pour une tournée marquée par l’improvisation, le dépouillement, la sincérité. Entre rééditions, projets et réflexion sur la liberté artistique, il évoque une carrière en mouvement, guidée par une fidélité tenace à lui-même. Avant de le retrouver le 4 juillet au Fnac Live, entretien.
Comment se passe cette tournée, après cette longue pause forcée, ce silence imposé ? Qu’est-ce que ça vous fait de pouvoir chanter à nouveau “le réel” ? De redonner voix à des titres forts, presque prémonitoires… Notamment Rester en vie, après une longue absence de la scène ?
C’est inespéré. Il y a beaucoup de joie, c’est vraiment chouette. Sur scène et dans le public, il se passe quelque chose de très chaleureux. C’est agréable. Rester en vie n’a jamais été un problème, mais rester en vie professionnellement, oui. Je croyais que c’était fini. C’est assez dingue de retrouver cela, de remonter sur scène. Je pense que je ne mesurais pas assez la chance que j’avais. Maintenant, si.
La tournée fait la promotion de l’album Simplifier et reprend 1964, un album réédité. Pourquoi avoir choisi de rééditer cet album-là en particulier ? À sa sortie, on parlait d’un disque de maturité, voire de consécration. Aujourd’hui, qu’est-ce qu’il représente pour vous ?
Il y a deux faces à cette réédition, dont une version avec le grand orchestre d’Avignon qui n’avait jamais été entendue. C’est drôle de ressortir ça après autant d’années, de proposer de nouvelles versions. Dans une carrière, il y a de bons albums, des moins bons, et celui-là fait partie des moins mauvais. Je suis donc heureux de le faire revivre. On a complètement réorchestré les morceaux, ce sont des versions 2025. Les refaire à l’identique aurait été triste. Là, c’est une manière de les faire vieillir, un peu comme on fait vieillir du vin – parfois ça marche, parfois non. Mais j’ai le sentiment que ce nouvel album a été bien accueilli.
Et si vous pouviez dire quelque chose à celui que vous étiez en 1964 ?
Peut-être que je lui dirais : “N’aie pas peur.”
Peur de quoi ?
Je n’ai jamais voulu avoir trop de succès. Je m’en suis toujours méfié. À l’époque de 1964, il y avait une forme de consécration, mais ça a toujours été en dents de scie. Après, il y a eu Ici-bas, ici-même, et on a encore parlé de maturité. Ce sont des mots qu’on emploie, mais, au fond, je suis content de ne pas être resté figé dans ces chansons. C’est important de ne pas être tourné vers le passé. Surtout pas.
Au sujet de Simplifier, vous dites : “Simplifier : pas pour faire pauvre ou misérabiliste. Simplifier et ne rien s’interdire, les envolées comme les retenues.” Est-ce devenu votre leitmotiv ?
Oui, un peu. J’ai voulu revenir aux origines. J’ai tout fait à la maison : les basses, les guitares, les boîtes à rythmes… Je voulais me retrouver dans un état de pauvreté, presque, comme à l’époque de Boire, avec juste un magnéto-cassette. Aujourd’hui, il y a beaucoup de technologies, mais je voulais aller au plus simple.
Et le processus de création, a-t-il été simple ?
Pas du tout. C’était compliqué. Paradoxalement, atteindre la simplicité demande beaucoup de travail. Il faut faire tenir debout une chanson avec moins de choses. C’est plus exigeant, mais aussi plus excitant.
En termes d’écriture, qu’est-ce qui a le plus changé depuis vos débuts ?
Ma manière d’être. Je ne suis plus du tout la même personne. Il y avait quelque chose dans Boire que je ne pourrais pas reproduire aujourd’hui. Même les paroles. Je veux rester honnête dans ce que j’écris, et juste écrire. C’est une question de fidélité à qui je suis, à l’instant t.
Comment vous décririez-vous aujourd’hui ?
Je ressens surtout une énorme envie de monter sur scène. Je suis avec Stéphane Fromentin à la guitare, Nicolas Méheust aux claviers… C’est du pur plaisir.
Est-ce plus simple de monter sur scène à 60 ans ?
C’est plus dangereux. Ça peut être ridicule si on reste accroché au passé. J’ai 60 ans, je chante comme un homme de 60 ans. Je ne reprends pas les textes de Boire, par exemple. Il faut rester juste dans ce qu’on raconte. Sinon, on a l’air d’un guignol. Il y a toujours le trac, mais c’est ce qui rend l’expérience excitante. Sans trac, ce ne serait pas marrant. Il faut juste ne pas se laisser déborder par l’émotion. Rester en maîtrise. Monter sur scène et chanter ses chansons, c’est quand même contre nature. Jouer de la guitare m’aide beaucoup. Ça me donne une légitimité, ça occupe les mains et l’esprit.
Dans une interview donnée au Télégramme, vous disiez que votre ego et votre personne n’avaient pas besoin de la scène pour passer une bonne journée. De quoi avez-vous besoin d’autre ?
L’océan. C’est une chance de pouvoir vivre près de l’océan !
Vous racontez que Simplifier vous a aidé à arrêter “la machine à gamberger”. Comment fait-on cela ?
On gamberge moins et on fait plus. Être dans l’action empêche de trop réfléchir. Et être seul, au début, ça oblige à agir, à décider. Il n’y a personne avec qui débattre. Il y a une forme d’immédiateté. Ce qui sort sur l’instant, c’est ça, la vérité.
Votre écriture a toujours été très directe, ancrée dans le réel. Comment nourrissez-vous cette tension entre poésie et quotidien ?
Je ne sais pas. J’écris sans trop y réfléchir, justement pour ne pas intellectualiser. J’essaie d’être honnête. Même si la chanson n’est pas bonne, au moins qu’elle soit sincère, qu’elle ne dise pas de bêtises.
Aujourd’hui, est-ce que l’époque – socialement, politiquement – influence votre manière d’écrire ?
J’ai toujours essayé de faire des chansons sociales, même si ce n’est pas ce qu’on entend en premier. Je pense que l’émotion est politique. Elle n’est pas que ça, heureusement, mais elle l’est en partie. En revanche, je ne veux pas faire de commentaire politique dans les chansons. C’est casse-gueule. Une chanson politique est finalement valable trois mois.
À quoi peut s’attendre le public pour le concert du Fnac Live ?
Avec la formule qu’on a, on ne fait jamais deux fois le même concert. Il y a plein de morceaux et, parfois, on ne sait même pas comment on va les finir. Être en trio permet d’improviser. Surtout, j’avais envie qu’on ne reconnaisse pas les morceaux à l’intro. Je m’en vais ou Brest sont des titres qu’on ne peut pas identifier dès les premières notes. Ils ont tellement changé que ce n’est plus reconnaissable.
Est-ce qu’il y a un ou une artiste que vous avez hâte de découvrir dans la programmation du Fnac Live Paris 2025 ?
Baby Volcano. J’ai écouté, et j’ai hâte de voir ce que ça donne sur scène. J’ai entendu de bons retours.
Une collaboration passée vous a-t-elle particulièrement marqué ?
Juliette Gréco et Jane Birkin, dès le départ. Elles m’ont beaucoup aidé. C’était fort, au-delà de la musique. Je manquais de confiance, et elles m’ont beaucoup donné. Johnny Hallyday aussi, à la fin de sa vie, comment il montait encore sur scène alors qu’il était épuisé… C’était impressionnant. C’était de belles leçons. Et leur indépendance, leur liberté, c’est ce qui m’a le plus marqué. Il n’y a que ça qui compte dans ce métier.
Écrivez-vous encore ? Un prochain album est-il en vue ?
Un album est prévu pour 2026. Je cherche des poèmes à mettre en musique. Pas les miens, ceux des autres. J’ai tellement parlé… Ça me plaît de dire les mots des autres. Pas tout l’album, mais une moitié, j’espère. J’ai envie d’être passeur. Un passeur d’émotions, surtout.
Vous dites souvent que les textes doivent rester simples, qu’ils ne doivent pas être “incompréhensibles”. Qu’est-ce qu’une poésie qui ne l’est pas ?
C’est celle qui ne fait pas de la poésie pour les poètes. Qui n’oublie pas qu’il y a un auditeur, un lecteur. Il faut que ça reste fluide.