
Après un Prix du scénario à Cannes pour La conspiration du Caire (2022), Tarik Saleh revient sur la Croisette avec Les aigles de la république, une comédie politique aussi profonde que mordante sur l’Égypte d’aujourd’hui.
Trois ans après La conspiration du Caire (2022), Tarik Saleh explore, à nouveau, les arcanes du pouvoir politique et religieux en filmant, dans Les aigles de la république, le destin hors norme de George Fahmi (Fares Fares), un acteur reconnu en Égypte. Apprécié du grand public, ce dernier va cependant subir plusieurs pressions du pouvoir politique afin de tourner dans un film financé par l’armée retraçant le parcours du président égyptien, Al-Sissi
Comble de la proposition : celui que l’on surnomme « Le pharaon du grand écran » doit incarner lui-même le dictateur et militaire égyptien à la tête du pays depuis 2014, dont il ne partage pas les idéaux. Voilà le point de départ à la fois absurde et terrible du nouveau film de Tarik Saleh. Avec Les aigles de la république, le réalisateur conclut sa trilogie sur l’Égypte, le pays natal de son père, après Le Caire confidentiel (2017) et La conspiration du Caire.
Un anti-héros sublime
Pour l’occasion, le réalisateur retrouve son comparse de toujours, Fares Fares, impressionnant de naturel dans ce nouveau chapitre dédié à l’Égypte moderne. Le comédien, habitué à des rôles ténébreux, déploie ici une palette inédite, incarnant tour à tour une star égocentrique mais attachante, un père maladroit ou un détracteur discret du système qui va se retrouver embarqué, malgré lui, dans un complot politique.
Après avoir exploré le polar religieux et le film d’espionnage, Tarik Saleh s’essaie avec Les aigles de la république à un nouveau genre : la comédie politique. Un choix judicieux qui apporte beaucoup de rythme au dernier long-métrage de cette trilogie officieuse, mais qui permet aussi de souligner la gravité de la situation en Égypte.
Pourtant, le film ne tombe jamais dans le piège du pathos ni l’écueil du film d’auteur à charge. Le propos se dessine en filigrane et la tension monte à mesure que Tarik Saleh dresse le portrait amusant d’un anti-héros qui nous embarque tour à tour dans sa loge, dans une pharmacie pour acheter du Viagra ou encore dans les chambres d’hôtel aux côtés de ses maîtresses, parmi lesquelles on retrouve Lyna Khoudri, récemment vue dans Carême, et Zineb Triki du Bureau des légendes.
Violence au Caire
Pourtant, ni l’absurdité de certaines situations ni la métafiction n’enlèvent à la violence des Aigles de la république. Insidieuse et implicite, elle finira par se dévoiler dans une ultime partie aussi nerveuse que profonde, dans laquelle Fares Fares laisse exploser toute sa sensibilité. Surtout, cet ultime chapitre donnera à voir le vrai visage d’un système implacable et brutal.
Si, dans ses précédentes œuvres cinématographiques, Tarik Saleh montrait plus en détails les arcanes du pouvoir et la corruption d’un système, Les aigles de la république peut compter sur le charme de son acteur principal et sur un rythme désarmant pour séduire la Croisette. Par ailleurs, le film montre à quel point Tarik Saleh est un réalisateur tout terrain, capable de s’approprier différents de genre de cinéma, sans jamais occulter la profondeur de ses thèmes ni l’appréhension de ses personnages.
Après un Prix du scénario en 2022, Tarik Saleh pourrait, avec ce film dense et calibré, repartir avec un nouveau trophée, voire la tant espérée Palme d’or. En récompensant le réalisateur suédois pour ce dernier long-métrage, c’est toute une œuvre sur l’Égypte contemporaine que le jury de Juliette Binoche éclairerait. Réponse ce samedi 24 mai 2025 durant la cérémonie de clôture du Festival de Cannes.