Dans le sillage de Dune: Prophecy, attendue le 18 novembre prochain sur Max et centrée sur un ordre féminin ancestral, plusieurs fictions au casting majoritairement féminin ont vu le jour ces dernières années. Mais que nous disent ces nouvelles représentations, post-MeToo, des femmes et de leur rapport au pouvoir ?
Événement de cette fin d’année sur HBO, le spin-off Dune: Prophecy prend place 10000 ans avant les aventures de Paul Atréide dans le diptyque Dune, réalisé par Denis Villeneuve en 2021 et 2024. Développée par Diane Ademu-John et Alison Schapker, la série s’intéresse aux Bene Gesserit, une mystérieuse communauté de femmes présente dans les films, qui possède une grande influence politique et religieuse dans la société de l’Imperium.
À la suite d’un entraînement rigoureux, les sœurs Bene Gesserit obtiennent des capacités physiques et mentales extraordinaires, qui les rendent indispensables aux yeux des grandes maisons et des puissants. Elles tirent les ficelles du pouvoir, mais restent dans l’ombre.
Tout, sauf une femme aux commandes
Dans Dune: Prophecy, Valya Harkonnen (Samantha Morton), la Révérende-Mère, a dans l’idée de renverser l’ordre établi. En effet, elle travaille depuis des décennies à la réalisation d’une prophétie qui annonce l’ascension d’une Bene Gesserit sur le trône de l’Imperium. Ses plans vont être contrecarrés par l’arrivée de Desmond Hart (Travis Fimmel), un mystérieux soldat qui menace l’existence même de l’ordre.
L’univers de Dune est complexe, mais il se résume finalement à une question : qui a le pouvoir, les hommes sur le trône ou les femmes qui murmurent à leurs oreilles ? Dune: Prophecy débarque sur nos écrans précédée de plusieurs séries diffusées ces dernières années et tournant autour du pouvoir au féminin.
Comme dans le spin-off de Dune, il y a celles qui tentent de renverser le système patriarcal de l’intérieur, mais la mission semble impossible, même dans les séries fantastiques. Demandez à Rhaenyra Targaryen (Emma D’Arcy), l’héroïne de House of the Dragon : elle a beau avoir été désignée par son père héritière du Trône de fer, la princesse ne peut éviter une guerre de succession sanglante.
Le préquel de Game of Thrones repose sur l’impossibilité pour les femmes à briser le plafond de verre, même fictionnel. Un thème qui résonne terriblement avec l’actualité, alors que Donald Trump vient de remporter les dernières élections présidentielles américaines face à Kamala Harris.
Sœurs guerrières et mentorat féminin
Avec sa communauté de sœurs sur-entraînées physiquement (au maniement des armes, mais aussi à l’obtention de pouvoirs surnaturels) et mentalement (les Bene Gesserit apprennent l’art bien pratique de reconnaître le mensonge chez leurs interlocuteurs), Dune: Prophecy s’inscrit dans la lignée de fictions féminines badass, comme Motherland Fort Salem (2020-2022) ou Warrior Nunn (2020-2022), dans lesquelles les femmes prennent les armes pour combattre le mal. La première propose un audacieux mélange entre organisation militaire et sorcellerie, tandis que la deuxième allie surnaturel et religion catholique.
Avec leurs personnages en pleine possession de leurs moyens, ces séries creusent la richesse des relations féminines. Elles mettent en scène des relations de mentorat au féminin, si rares dans la fiction. Dans Warrior Nunn, la jeune Ava (Alba Baptista) est entraînée à la dure par la Mère supérieure. De prime abord particulièrement stricte et inflexible, cette mentor cache un cœur généreux, qui ne manquera pas de s’ouvrir au contact d’Ava.
Avec son cortège de femmes à former et son duo de mères supérieures (Valya et Tula Harkonnen) aux méthodes très différentes, Dune: Prophecy promet de nous proposer de nouvelles représentations de mentorat féminin. Dans notre société patriarcale, qui s’épanouit quand les femmes se divisent, nous avons plus que jamais besoin de ces modèles fictionnels.
Libérées, délivrées du patriarcat ?
Adaptée en 2023 par Naomi Alderman de son propre best-seller, la série The Power prend place dans notre monde, à la différence près que les adolescentes acquièrent la capacité de produire des décharges électriques. Tandis qu’elles apprivoisent leur nouveau pouvoir, les gouvernements prennent des mesures autoritaires.
On suit plusieurs destinées féminines – une femme politique, une survivante de viol qui se mue en prophétesse, la fille d’un gang criminel londonien… – dans cette série qui propose une métaphore à peine voilée sur le droit des femmes à disposer de leurs corps.
Dans sa première saison, The Power ne renverse pas le patriarcat, mais elle a le mérite de proposer une galerie de personnages féminins complexes, loin des stéréotypes de genre. Ses protagonistes font preuve de violence, surtout quand elles sont motivées par un désir de vengeance lié à des injustices subies.
Alors, comment se défaire des chaînes du patriarcat ? En remettant les compteurs à zéro et en éliminant toute présence masculine. Ainsi, les séries qui se rapprochent le plus de l’idée d’une société matriarcale – où les ressources et les différentes strates du pouvoir sont détenues par les femmes – appartiennent au genre de la survie.
Dans Class of ‘07 (2023), The Wilds (2020-2022) et Yellowjackets (2021), un groupe de femmes isolées du reste du monde doit survivre en autarcie. Dans le premier épisode de The Wilds, un Lost au féminin, le personnage de Leah demande en voix off : « Qu’y avait-il de si génial dans la vie que nous avons laissée derrière nous ? Être une adolescente normale aux États-Unis ? Ça, c’était vraiment l’Enfer. »
Rage féminine et sororité
Chacune à leur manière, ces trois séries permettent à leurs personnages féminins d’affronter leurs traumatismes. Pris en tenaille entre injonctions sociétales intenables (être belle, mais pas trop, mince, mais pas trop, désirable aux yeux des hommes, mais pas trop, bonne élève, mais pas trop, docile, mais pas trop…), bouleversement hormonal et apprentissage chaotique de la sexualité, les femmes conservent bien souvent un souvenir amer, voire traumatisant, de leur passage à l’âge adulte.
Dans The Wilds, créée par Sarah Streicher, la naufragée Rachel Reid (Reign Edwards) a tout le temps de se remémorer sa descente aux enfers. Cette athlète control freak a mis sa santé en danger pour poursuivre sa carrière sportive et se sentir aimée par ses parents. Elle entretient une relation complexe avec sa sœur jumelle Nora, faite de tendresse, d’incompréhension et de rivalité.
On sent poindre chez Rachel une immense rage féminine, émotion qui traverse nombre de protagonistes dans ces séries de survie. Cette rage est d’autant plus forte qu’au cœur d’une forêt ou sur une île déserte, personne ne vous entend hurler. Vous pouvez vous lâcher.
Ces séries creusent aussi l’intensité des amitiés féminines. Créée par Ashley Lyle et Bart Nickerson, Yellowjackets suit les sombres péripéties d’une équipe de footballeuses du New Jersey, dont l’avion s’écrase dans la forêt canadienne. Parmi elles, Shauna (Sophie Nelisse) et sa meilleure amie Jackie (Ella Purnell) nourrissent une relation toxique, à base de non-dits et de jalousie, qui culmine avec la mort tragique de la deuxième.
Dans un style plus lumineux, la comédie Class of ‘07 insiste sur la joie et le confort que peuvent apporter les amitiés féminines, en retraçant celle qui unit Amelia (Megan Smart) et Zoe (Emily Browning), deux BFF au lycée qui se sont perdues de vue. Côté romance, ces séries explorent plus facilement que d’autres fictions des relations lesbiennes, comme celles de Taissa et Van dans Yellowjackets ou de Shelby et Toni dans The Wilds.
Le thème central de Yellowjackets est la violence féminine. Le personnage de Shauna, incapable d’exprimer ses émotions, refoule sa colère et sa frustration et finit par commettre des actes violents. De plus, il n’y a pas vraiment de leader dans ce groupe féminin. L’illuminée Lottie (Courtney Eaton) embarque ses compagnes d’infortune dans un rituel païen et violent, destiné à les connecter à leur nature primale. Attention, on est loin d’un retour au « féminin sacré » et d’une imagerie de gentille « fée des bois » : le groupe de femmes, en transe, se met à courser un des rares hommes survivants (ils sont deux) pour le tuer et potentiellement le manger.
Faire société autrement
Dans Class of ‘07, la cheffe de la bande, Saskia, est une ancienne mean girl qui reprend du service, sur demande insistante de ses anciennes victimes. Finalement, les survivantes réalisent que se reposer sur une personne autoritaire est le meilleur moyen pour reproduire une hiérarchie de pouvoir injuste, proche du patriarcat qu’elles ont connu.
Ces séries parlent en creux de la naissance d’une sororité, qui n’a rien d’une promenade de santé, alors que tout le monde est en mode survie. The Wilds, Yellowjackets et Class of ‘07 nous disent chacune à leur façon qu’une autre voie, collective, est possible. Mais le partage du pouvoir et l’abandon de dynamiques toxiques ne viennent pas sans ses complications.
Affranchis de leur visage social et du regard masculin, les personnages de ces séries féminines peuvent respirer et goûter à une forme de liberté. Ils font face à leurs démons intérieurs, à leur rage et apprennent à connaître leurs semblables féminins. C’est aussi ça, la beauté de ces matriarcats : explorer une autre façon de vivre ensemble, qui ne serait pas un bête miroir du système patriarcal, avec les femmes aux commandes.
Dans une industrie des séries largement dominée par les récits masculins, les shows à tendance matriarcale font souffler un vent de fraîcheur sur le petit écran, en particulier à un moment de notre histoire où le backlash féministe (soit un mouvement réactionnaire qui suit un mouvement progressiste, concept théorisé par Susan Faludi dans son essai, Backlash paru en 1991) se fait sentir.
Alors que les droits des femmes reculent dans certains pays (États-Unis, Afghanistan…) et que l’extrême droite gagne du terrain en Europe, regarder ces fictions où les femmes ont l’opportunité de choisir leur destin et de ne se préoccuper que d’elles, a quelque chose de terriblement réconfortant.
D’autant que ces productions ont été créées le plus souvent par des plumes féminines, au sein d’un business majoritairement masculin. Est-ce pour cette raison que ces fictions dépassent rarement les deux saisons ? Ou bien ces récits contiennent-ils une trop grande charge subversive ? Seule Yellowjackets, attendue pour une troisième saison en 2025, aura peut-être le privilège de voir son récit raconté jusqu’au bout.