Décryptage

Dune : en quoi est-ce une œuvre de science-fiction unique en son genre ?

28 février 2024
Par Robin Negre
Paul Atréides est un personnage de science-fiction des plus complexes.
Paul Atréides est un personnage de science-fiction des plus complexes. ©Warner Bros.

À l’occasion de la sortie de Dune, deuxième partie, retour sur ce qui fait la singularité de l’œuvre créée par Frank Herbert, expliquant la grande difficulté à l’adapter, mais surtout son incroyable popularité depuis sa sortie.

1 Paul Atréides, un héros singulier

Comme toute œuvre de fiction à base de récit initiatique, Dune, le chef-d’œuvre littéraire de Frank Herbert suit le parcours d’un jeune héros destiné à découvrir un nouveau monde et suivre le fameux « appel de l’aventure ». Il fait ainsi face à différents enjeux, accompagné d’archétypes de personnages allant du mentor à l’allié, en passant par l’ennemi. Dune pourrait ainsi ressembler à d’autres œuvres phares de science-fiction ou de fantasy, telles que Le Seigneur des Anneaux ou Star Wars. Néanmoins, la saga de Frank Herbert se différencie notamment grâce à la construction et au développement de son personnage principal : Paul Atréides.

Contrairement à d’autres récits initiatiques, le personnage de Paul répond aux règles imposées par son univers bien avant sa naissance et évolue sur un échiquier politique et social complexe, brouillant les pistes autour de la notion même de héros.

Paul Atréides sous les traits de Timothée Chalamet.©Warner Bros.

Paul Atréides est le fils du duc Leto Atréides, chef de la Maison Atréides, et de Dame Jessica, membre de l’ordre des Bene Gesserit. Cette double ascendance pose la particularité de Paul. Fils d’un duc, héritier d’une maison et fils d’une « sorcière », œuvrant dans l’ombre avec son clan pour faire naître le Messie, l’être parfait capable d’amener l’humanité vers un autre stade d’évolution.

Dans le premier livre Dune (1965), la famille Atréides prend possession de la planète Arrakis sur ordre de l’Empereur. Arrakis, lieu dangereux et inhospitalier, terre des Fremen, est la seule planète capable de produire l’Épice, la substance la plus convoitée de l’univers.

À partir de
24,90€
En stock
Acheter sur Fnac.com

L’aspect politique de Dune est des plus passionnants. Il offre à Paul Atréides des responsabilités énormes et une place dominante dans le jeu des maisons. Toutefois, l’œuvre de Frank Herbert contient dans son essence même une thématique religieuse et mystique primordiale, changeant radicalement la perception du héros pour le lecteur, mais aussi pour les autres personnages.

Dans Dune, les Bene Gesserit sont présentées comme un groupe puissant de femmes énigmatiques capables de maîtriser certaines compétences exceptionnelles. Depuis plusieurs siècles, elles œuvrent donc dans l’ombre – en contrôlant la génétique et la reproduction de leur clan – afin de faire naître l’être ultime, le Kwisatz Haderach. Paul est présenté au lecteur dans l’idée qu’il pourrait être ce Kwisatz Haderach. Doté de visions lui montrant l’avenir, capable d’utiliser la Voix et de contraindre les autres, il se différencie immédiatement.

Paul Atréides sous les traits de Kyle MacLachlan.©Universal Pictures

Avec ces deux aspects complémentaires – fils d’un duc et fils d’une sorcière –, la destinée du jeune protagoniste de Dune change.

En introduisant des thématiques sociales, religieuses et politiques, l’œuvre de Frank Herbert se distingue du reste de la science-fiction en montrant les dérives et les dangers de l’idolâtrie. Le poids de l’héritage est immense pour le héros, qui s’émancipe de la trajectoire habituelle du récit initiatique pour devenir son propre maître et, d’une certaine façon, le celui des autres.

La destinée de Paul Atréides est étrange, complexe, surprenante, et mène les lecteurs – ou les spectateurs – sur un chemin narratif déstabilisant.

2 La Dune austère

C’est le génie de Frank Herbert : développer toute une saga de science-fiction en prenant pour terrain de jeu principal un lieu des plus austères, le sable d’Arrakis. D’autres planètes existent dans l’univers de Dune, mais, en développant la majorité de son intrigue sur une planète aride, l’œuvre de Frank Herbert se dote d’un esthétisme particulier et pose les bases des adaptations à venir.

Dune était présenté comme inadaptable. Arrakis est aussi hostile pour les personnages que pour les artistes tentant de s’en emparer. Au cours du siècle dernier, deux réalisateurs s’y sont essayés : Alejandro Jodorowsky, qui ne parvient pas à passer le stade de la production et donne naissance au film avorté le plus culte de l’histoire, et David Lynch, qui y parvient en 1984, mais n’arrive pas à convaincre le public et la critique.

La densité de l’œuvre originale et son esthétisme étouffent le réalisateur qui tente tant bien que mal d’incorporer tous les éléments essentiels du livre dans son film, sans trouver de compromis cinématographique acceptable. Visuellement, ce Dune part dans tous les sens et alimente l’idée que la saga d’Herbert ne convient pas à l’audiovisuel.

La bande-annonce de Jodorowsky’s Dune, dévoilant les coulisses du projet maudit.

Dune crée un double (ou triple) paradoxe : sur une planète de sable, différents peuples s’affrontent avec des moyens technologiques avancés tout en ayant banni l’utilisation de machines trop développées et de l’intelligence artificielle, responsables de l’effondrement de l’humanité des millénaires plus tôt. L’assemblage de ces considérations offre à Dune toute sa richesse et sa complexité, mais rend l’exercice de la transposition à l’écran plus délicat.

L’imagination foisonnante de l’auteur et des lecteurs vient constamment réfuter tout choix esthétique qu’une adaptation ferait du livre. Pour certains, le Dune de Jodorowsky aurait été trop baroque, celui de Lynch serait trop kitsch et celui de Villeneuve, trop terne… Il y a autant de Dune qu’il y a de lecteurs et chaque nouvelle adaptation a, et aura, ses détracteurs.

Le sable et l’Épice d’Arrakis.©Warner Bros.

Juste un peu de sable et une multitude de détails et d’éléments venant enrichir un espace infini. Frank Herbert a choisi avec soin son monde principal. Il y piège tout le monde : personnages, lecteurs, artistes, cinéastes et les laisse à la merci des vers géants, véritables maîtres du lieu.

Arrakis est le symbole même de la simplicité et de la complexité de Dune.

3 La féodalité de l’espace

Dune est autant œuvre de science-fiction que la conséquence de l’effondrement de l’humanité. Des millénaires avant l’histoire de Paul Atréides, les machines et l’intelligence artificielle ont pris le contrôle, obligeant les humains à livrer une véritable guerre sainte changeant la face du monde.

10 000 ans plus tard, l’espace est conquis et l’Impérium rassemble différentes maisons sous le joug de l’empereur Padishah Shaddam IV. Bien que les étoiles ne représentent plus de limite, le système en place est celui d’une féodalité. Les maisons répondent à la Maison mère et obéissent aux ordres de l’Empereur. Cette organisation politique, au sein d’un univers de science-fiction élaboré, donne une autre dimension à Dune au sein de la science-fiction.

Christopher Walken incarne l’Empereur dans Dune, deuxième partie.©Warner Bros.

Fresque moyenâgeuse au milieu des étoiles, dans laquelle les personnages manient le couteau avec grâce, la féodalité de Dune a plusieurs conséquences. Jeu politique complexe, système d’oppression d’un temps ancien se passant dans le futur et économie de moyens et de ressources : le voyage intergalactique coûte cher.

Plus largement encore, la féodalité de cet univers vient accentuer les éléments développés précédemment. L’obscurantisme est présent et l’oppression des peuples pose les bases d’une nouvelle guerre sainte. « Une guerre en mon nom ! », hurle Paul Atréides dans le film de Denis Villeneuve après une de ses visions. Une guerre de religion qui vient bouleverser l’ordre établi et entériné par la croyance d’un Messie attendu et libérateur. À moins qu’il ne soit également oppresseur ?

Bien qu’œuvre totale de science-fiction, Dune laisse vivre le mysticisme, la tyrannie, le jeu de pouvoir et la promesse de libération des peuples sur fond de croyance prophétique.

Derrière une organisation hiérarchique qui pourrait paraître anecdotique, la féodalité imaginée par Frank Herbert permet à Dune de se développer sur plusieurs siècles et de rebattre constamment les cartes, pour devenir ce monument de la littérature et de la culture apprécié par de nombreuses générations.

À lire aussi

Article rédigé par