Critique

Joker : folie à deux, ou la symphonie macabre de Joaquin Phoenix et Lady Gaga

01 octobre 2024
Par Sarah Dupont
“Joker : Folie à deux”, le 2 octobre au cinéma.
“Joker : Folie à deux”, le 2 octobre au cinéma. ©Warner Bros. Entertainment Inc.

Le 2 octobre, Folie à deux débarque dans les salles, marquant le grand retour de l’emblématique Joker incarné par Joaquin Phoenix. Ce second volet nous renvoie dans l’univers sombre et tourmenté d’Arthur Fleck avec une nouvelle dimension audacieuse : une comédie musicale troublante aux côtés d’une Lady Gaga dans le rôle d’Harley Quinn.

Todd Phillips nous invite une nouvelle fois à plonger dans les abîmes d’Arthur Fleck, cet homme brisé que le monde a transformé en monstre. On pourrait croire que la question est déjà tranchée : Joker est né, et ce deuxième volet ne serait qu’un prolongement de la démence du clown, une manière de capitaliser sur le succès du premier film sorti en 2019.

Pourtant, dès les premières minutes, on comprend que Folie à deux ne se contentera pas de rejouer les notes d’un succès passé. Le film se pare d’une ambition nouvelle, audacieuse, qui ose mêler les genres avec une maîtrise rare. Et cette audace prend, contre toute attente, la forme d’une comédie musicale.

Réel ou imaginaire : le flou captivant de la folie

Loin des ruelles crasseuses de Gotham, Arthur Fleck est désormais derrière les barreaux, où il attend son procès pour multiples homicides. Misérable, il n’est plus que l’ombre du Joker tapie dans l’obscurité ; mais la folie n’est jamais loin. Dans ce second volet, l’introspection initiée dans le premier film s’élève à un autre niveau.

Dans les couloirs du centre carcéral, au cœur du tribunal, dans les rues corrompues de Gotham, une interrogation obsède : Arthur Fleck est-il fou ? Souffre-t-il d’une dissociation de la personnalité, abritant un monstre prénommé « Joker », ou bien tout cela n’est-il qu’une ultime mise en scène, la recherche désespérée d’attention d’un homme brisé, ignoré par un monde impitoyable ?

©Niko Tavernise/™ & DC Comics

Les délires et errances mentales d’Arthur nous entraînent sans cesse à la frontière entre réalité et imagination, dans un jeu d’ambiguïtés savamment orchestré qui ne livre jamais de réponse claire. Ce flou constant est sublimé à l’écran par une esthétique où les éclats de lumière presque oniriques se heurtent à des ombres inquiétantes, reflétant la dualité torturée de son esprit.

Cette fois-ci, ces moments d’évasion sont chantés et dansés. Arthur revêt son costume de clown triste, incarnant une sorte de Gene Kelly déchu. Il glisse dans les pas d’un danseur délirant, se laissant emporter toujours plus loin dans les profondeurs d’une démence inéluctable.

Joaquin Phoenix toujours au sommet

La performance de Joaquin Phoenix est, une fois encore, d’une intensité rare. Plus qu’un simple acteur, il incarne parfaitement son personnage et chaque geste, chaque mimique semble porter en lui le poids du passé torturé d’Arthur Fleck. Le voir se débattre avec sa propre folie est une expérience à la fois fascinante et terrifiante.

©Warner Bros. Entertainment Inc.

Sa démarche est plus vacillante ; son rire encore plus désespéré et son regard perçant laissent transparaître une mélancolie si profonde qu’elle nous prend à la gorge. Ses performances musicales, tout aussi poignantes, ajoutent une nouvelle dimension à son interprétation, mêlant tristesse et ironie dans des numéros qui révèlent un homme en pleine décomposition. C’est là que réside tout le génie de Phoenix : il parvient à nous faire ressentir de la pitié pour cet homme, sans pour autant justifier ses actions monstrueuses.

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Visuellement, Phillips et son équipe nous offrent une véritable symphonie d’images, où chaque scène est pensée comme un tableau vivant. Les jeux de lumière sont incroyables : les décors carcéraux, froids et humides, contrastent avec les éclats lumineux des moments de délire musical, où les couleurs explosent à l’écran.

La caméra épouse les mouvements des personnages, capturant chaque émotion, chaque tremblement avec une délicatesse chorégraphique. Cette esthétique, où la réalité se confond souvent avec le rêve ou le délire, renforce l’idée que tout, dans ce film, est une question de perspective.

Lady Gaga : la puissance de la folie musicale

Un autre coup de maître de ce second opus est évidemment l’introduction d’Harley Quinn, alias « Lee », incarnée par Lady Gaga. Dès son apparition, le film bascule dans un autre registre, et c’est là toute l’audace de Folie à deux : plutôt que de se contenter d’une simple suite psychologique ou d’une romance teintée de folie, Phillips fait le pari d’un film hybride, entre drame et comédie musicale.

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Lee, à l’image du Joker, ne tombe jamais dans la caricature de l’antagoniste issue de l’univers DC. Pas de costume flamboyant ni de maquillage outrancier ; elle est dépeinte ici dans une version bien plus sombre et réaliste, loin de la Harley Quinn traditionnelle et assommante incarnée par Margot Robbie dans Suicide Squad.

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Si son jeu d’actrice est solide, c’est surtout dans ses performances musicales que Gaga s’impose véritablement. Ses solos deviennent des moments de grâce, où la folie douce de Quinn éclate au grand jour. Sa voix puissante confère à son personnage une profondeur unique, mystérieuse, angoissante.

Le mystère d’Harley Quinn, entre ombre et lumière

Ces scènes musicales représentent les rares moments de pure liberté pour le Joker, comme s’il renaissait progressivement de ses cendres à travers elles. Pourtant, cette renaissance laisse planer une incertitude inquiétante : où cette symbiose destructrice va-t-elle les mener ? Le duo qu’ils forment est saisissant, un ballet macabre où chaque note et chaque regard dévoilent leur folie mutuelle, sans jamais révéler ce qui en découlera.

Malgré son importance dans l’intrigue, le personnage d’Harley Quinn reste maintenu à distance, loin des tentatives d’introspection qui habitent Arthur Fleck, la réduisant à un rôle de personnage secondaire. On aurait aimé voir davantage de cette Lee, qui semble parfois n’être là que pour enrichir le tableau tragique de la chute d’Arthur.

©Niko Tavernise/™ & DC Comics

Mais peut-être est-ce aussi là la force du film : laisser planer une part d’incompréhension, de non-dit, qui nourrit le mystère de leur relation. Leur couple, pourtant, constitue l’un des moteurs de Folie à deux, révélant une nouvelle facette de Fleck, capable d’amour, toujours prisonnier de sa propre folie, mais aussi, contre toute attente, d’une certaine candeur.

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