Décryptage

Horreur, féminisme et monstre : c’est quoi, finalement, la saga Alien ?

15 août 2024
Par Robin Negre
Le xénomorphe est l'un des monstres les plus célèbres du cinéma.
Le xénomorphe est l'un des monstres les plus célèbres du cinéma. ©20th Century Studios

À l’occasion de la sortie d’Alien: Romulus, retour sur la célèbre saga de science-fiction et sur ce qu’elle représente.

En 1979, un jeune réalisateur du nom de Ridley Scott sort son deuxième long-métrage, Alien, le huitième passager. Quarante-cinq ans plus tard, le cinéaste Fede Álvarez s’apprête à proposer Alien: Romulus, nouvelle itération de la saga, revenant à l’essence même de celle-ci. Entre-temps, cinq autres films ont alimenté la franchise, réinventant les contours de son univers et revisitant le mythe, quitte à s’y perdre parfois.

« Dans l’espace, personne ne vous entendra crier. » C’est par cette phrase accrocheuse et énigmatique que le premier film Alien marque d’abord les esprits. Une promesse de science-fiction inédite, deux ans après le monument Star Wars, qui fait le choix de l’horreur et du huis clos anxiogène. Alien, le huitième passager est un monument du genre. Un cargo spatial découvre un étrange signal dans l’espace et s’arrête sur une planète abandonnée pour en découvrir l’origine. Sur place, les membres d’équipage découvrent les restes d’une ancienne civilisation, ainsi que des œufs extraterrestres. De retour dans leur vaisseau, le cauchemar commence : la créature la plus dangereuse de l’univers est déjà parmi eux.

La bande-annonce d’Alien, le huitième passager.

La force du premier Alien réside dans sa volonté absolue de ne jamais se perdre en exposition et de rester concentrer sur le point de vue des membres de l’équipage. Ils n’ont pas toutes les réponses, ne savent pas sur quoi ils tombent et restent quasiment sans défense à partir du moment où l’Alien sort de la poitrine de l’un des leurs.

Le reste est une maîtrise absolue de survivalisme et de huis clos, entre la contre-attaque désordonnée de l’équipage, l’impossibilité de trouver la créature et la gestion de la tension.

Sigourney Weaver dans Alien, le huitième passager.©20th Century Studios

Ridley Scott joue avec les ombres et les couleurs, avec les bruits et les formes, et décime peu à peu ses personnages jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un : Ripley, incarnée par Sigourney Weaver, qui trouve le rôle de sa carrière avec cette héroïne d’action.

L’efficacité du design

Jusqu’au bout, le cinéaste enchaîne les séquences cultes : la découverte de la véritable nature du personnage d’Ian Holt, la déchéance de John Hurt, ou encore la séquence finale, lorsque Ripley est persuadée d’être en sécurité, avant de découvrir que l’Alien est toujours présent. La force visuelle du film tient également au travail de Hans Ruedi Giger, qui invente le design de la créature et offre au film une direction artistique mémorable.

Dès la découverte de la civilisation perdue – alors qu’un homme gigantesque fossilisé semble contempler les étoiles dans un large télescope –, Alien, le huitième passager éveille la curiosité et l’imagination : l’univers est très large.

Le mystère d’Alien, le huitième passager.©20th Century Studios

Le film reçoit un très bon accueil critique et financier, mais il devient surtout une référence du cinéma d’horreur et de science-fiction. En créant une figure emblématique du 7e art, Alien, le huitième passager lance presque malgré lui une franchise qui cherchera toujours à comprendre sa propre origine et son propre genre. Que représente l’Alien ? D’où vient la civilisation ? Comment faire mieux dans le domaine de l’horreur ?

Avec Alien: Romulus, septième film de la saga, Fede Álvarez se pose certaines de ces questions et doit apporter sa touche personnelle s’il veut marquer l’univers d’Alien. Pour ce faire, il décide d’ancrer son film entre le premier et le second volet. Car, si Ridley Scott a lancé la saga, le réalisateur suivant, James Cameron, a su l’agrandir.

Une suite différente

Après le succès d’Alien, le huitième passager, le studio 20th Century Fox cherche à réaliser une suite. Elle se fera grâce à l’arrivée d’un autre jeune réalisateur de l’époque, James Cameron, qui vient également de bouleverser la science-fiction avec Terminator (1984). Dans Aliens, le retour, il reprend le personnage de Ripley, toujours incarnée par Sigourney Weaver, qui doit faire face aux conséquences du premier film, plusieurs décennies plus tard, alors qu’elle est réveillée de son sommeil artificiel.

Son ancien employeur ne croit pas en l’existence de l’Alien, jusqu’à ce qu’une colonie installée sur la planète abandonnée du premier film disparaisse, obligeant le détachement d’une division de Marines surentraînés et lourdement équipés à enquêter sur le phénomène aux côtés de Ripley. 

La bande-annonce d’Aliens, le retour.

Aliens, le retour dispose des grandes thématiques de James Cameron : la représentation de la force armée qui la conduit à sa propre perte, le discours sur la maternité et le propos sur l’écologie. Le cinéaste se démarque de Ridley Scott en offrant, cette fois-ci, à ses personnages humains la force militaire nécessaire pour faire face à l’Alien (ou plutôt, aux Aliens). Néanmoins, le résultat est le même.

La créature la plus dangereuse de l’univers s’adonne à nouveau à un carnage absolu et le film parvient à renouveler son postulat, à agrandir sa mythologie, en introduisant le concept de l’Alien reine, tout en façonnant un peu plus la figure de Ripley, icône féministe du cinéma d’action et de science-fiction.

Ripley, un véritable symbole

Celle-ci deviendra le porte-étendard de la franchise. Battante et forte, elle incarne une vision du féminisme inédite dans le cinéma de l’époque. Chaque film permet, par ailleurs, de façonner les contours de ce personnage souvent insaisissable. Entre empathie pour les Aliens et désamour pour le genre humain, la solitaire Ripley apparaît comme une héroïne passionnante, qui ne cesse de gagner en profondeur et en interprétations au fil des longs-métrages. D’une survivante, elle deviendra une véritable mère défiant la reine Alien, avant d’être ramenée au rang de prisonnière ou d’explorer une facette plus sombre et cynique de sa personnalité via son clone.

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À travers les différents blockbusters de la saga, l’arc narratif construit autour de Ripley apparaît ainsi captivant, entre ascension et chute. Une écriture émouvante – mais surtout humaniste malgré le cocon SF de la franchise – qui lui permet d’intégrer le top 10 des 100 meilleurs héros et méchants de cinéma d’après l’American Film Institute.

Le monstre ultime ?

Les deux premiers films Alien sont autant plébiscités l’un que l’autre pour des raisons différentes. Quand Ridley Scott utilise la sobriété et le désespoir, James Cameron se sert de la démesure et de la résilience. Dans les deux cas, le rôle de l’Alien est de renvoyer les humains à leurs faiblesses et à leur place dans la chaîne alimentaire. L’humanité n’est pas en haut de la pyramide.

L’Alien, c’est le monstre sous le lit, le monstre dans le placard qui sort sans crier gare. C’est l’organisme étranger qui envahit le corps de ses victimes pour s’en nourrir. C’est la représentation physique du prédateur ultime. C’est la bête qu’on ne peut raisonner. C’est enfin une matérialisation de la peur primaire des étoiles et de l’espace lorsqu’on se demande ce que cachent les confins de l’univers.

Aliens, le retour.©20th Century Studios

Les films suivants tentent de revenir à la créature avec plus ou moins de réussite. Alien 3 (1992) de David Fincher joue la carte du film de prison, alors qu’Alien, la résurrection (1997) de Jean-Pierre Jeunet pousse les limites de la science-fiction plus loin avec une histoire de clonage poussive.

En 2012, c’est Ridley Scott lui-même qui retrouve sa saga avec Prometheus, dans lequel il revient sur les origines mêmes de la créature et tente d’en expliquer l’existence. Puis, en 2017, dans Alien: Covenant, il introduit une nouvelle race d’Alien et continue de tisser des liens entre l’humanité et le monstre, comme si les deux étaient liés par la nature et l’évolution.

Fede Álvarez a un autre objectif avec son Alien: Romulus. Le film se présente comme un retour à ce que représente Alien : une chasse à l’homme implacable et sans issue. Le réalisateur de Don’t Breathe – La maison des ténèbres (2016), ou du remake d’Evil Dead (2013) a une connaissance intrinsèque du body horror et compte bien utiliser la créature pour déchirer les corps et les membres, tout en marquant le spectateur par un attachement émotionnel pour les personnages.

La bande-annonce d’Alien: Romulus.

C’est en tout cas ce que promettent les images dévoilées, qui jouent avec la tension et les morts violentes. Un moyen de rappeler que, 45 ans après le premier film, l’adage reste le même : « Dans l’espace, personne ne vous entendra crier. »

Alien: Romulus, de Fede Álvarez, avec Cailee Spaeny, Isabela Merced et David Jonsson Fray, 1h59, au cinéma le 14 août 2024.

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