En plein JO et pour rebondir sur le livre de Louis Chevaillier, Les Jeux Olympiques de littérature, retour sur un drôle d’évènement qui n’a jamais rencontré son public.
Les Jeux Olympiques de littérature est un ouvrage savoureux à découvrir, à quelques jours de l’ouverture des JO de Paris. Éditeur pendant treize ans chez Folio et Phébus, aujourd’hui membre du comité de rédaction de l’hebdomadaire Le 1, où il est responsable de la rubrique La voix du poète, Louis Chevaillier retrace les coulisses d’une série de concours pas comme les autres, des épreuves artistiques imaginées par Pierre de Coubertin, se déroulant en parallèle des épreuves sportives qui ont marqué l’Histoire des Jeux Olympiques. Plongée en immersion dans une époque révolue où écrivains, musiciens et peintres étaient des icones plus appréciées encore que les athlètes.
« Il s’agit d’unir à nouveau par les liens d’un légitime mariage d’anciens divorcés : le Muscle et l’Esprit ». En 1906, dix ans après avoir relancé une tradition antique et inauguré la première mouture des Jeux Olympiques modernes, le baron Pierre de Coubertin veut aller encore plus loin. Aux traditionnelles épreuves sportives, il veut adjoindre toute une série de concours artistiques qui détermineront les meilleurs créateurs du début de siècle. Ceux-ci auront pour mission d’exprimer leur talent en s’emparant d’un sujet sportif de leur choix. En 1912 à Stockholm, se tiennent donc pour la première fois des épreuves de littérature mais aussi de sculpture, de peinture, de musique et même d’architecture. Une excellente initiative qui ne rencontre malheureusement pas l’engouement attendu puisque la plupart des compétitions sont vides. Désintéressés par le format mais aussi par la question du sport qu’ils ne jugent pas assez noble, les artistes n’ont pas répondu à l’appel. Comble du comble, c’est Pierre de Coubertin lui-même qui gagne, sous pseudo, l’épreuve de littérature. Le faux-départ est presque risible et la mésaventure se répète en 1920 à Anvers.
Mais le baron continue à y croire et voit dans les Jeux Olympiques de Paris, en 1924, le véritable lancement de sa nouvelle obsession. Quel meilleur endroit que la capitale artistique du monde pour faire briller les athlètes du verbe, des notes et de la couleur ? Alors il met le paquet, sur les jurys surtout. En musique, on retrouve Igor Stravinsky, en peinture, le japonais Tsugouharu Foujita. Mais c’est surtout en littérature qu’il frappe un grand coup. Le jury prestigieux est composé de l’Italien Gabriele D’Annunzio, l’Américaine Edith Wharton, Paul Valéry, Maurice Barrès ou encore Jean Giraudoux. Il reprécise également les règles du concours : tous les genres littéraires peuvent être soumis au jury, théâtre, romans, nouvelles, poèmes mais les textes ne peuvent dépasser 1000 vers ou 20 000 mots pour la prose. Pourtant, c’est encore du côté des candidats que le bât blesse. À part Henry de Montherlant, les 32 candidats de l’épreuve littéraire sont ainsi d’illustres inconnus au talent contestable. Le jury couronne la pièce de théâtre d’un dénommé Géo-Charles, poète amateur et employé à la Foire de Paris qui ne marquera jamais l’histoire de son art. Et pour cause, son style est le symbole de l’académisme anachronique du concours, à l’heure où le surréalisme déferle sur le monde.
Dans les autres disciplines, le constat est encore plus cinglant puisque plusieurs concours se soldent par un aveu d’échec terrible : aucune médaille n’est remise du fait de la pauvreté des propositions. Malgré le fiasco, les Jeux Olympiques artistiques se poursuivront jusqu’en 1948 à Londres, une édition qui sonnera le glas d’une bonne idée qui n’aura jamais sur rencontrer l’adhésion. Louis Chevaillier nous emporte dans un tourbillon de petites histoires et d’anecdotes croustillantes sur la face cachée des Jeux. S’il retrace la destinée contrariée du sale rejeton artistique, il n’oublie pas de raconter quelques moments clés de son pendant sportif et glorieux. Il dresse au passage un portrait pas tendre du baron Pierre de Coubertin, père brillant des JO modernes mais grand egocentrique, raciste et misogyne. Il s’amuse aussi du mimétisme troublant des des doutes qui agitent deux éditions séparées par un siècle d’écart. Comme si c’est en boucle que fonctionnait l’histoire. Au final, il se tourne vers l’avenir et pose sincèrement la question : à l’heure où la littérature sportive a plus que jamais le vent en poupe, pourquoi ne pas remettre le sujet sur la table ?