Décryptage

Séries, jeux vidéo, réseaux sociaux… Comment la Formule 1 est-elle redevenue un sport à la mode ?

23 juillet 2024
Par Antistar
“F1 Manager 24” sortira le 23 juillet 2024 sur PC, PS4, PS5, Xbox One, Xbox Series et Nintendo Switch.
“F1 Manager 24” sortira le 23 juillet 2024 sur PC, PS4, PS5, Xbox One, Xbox Series et Nintendo Switch. ©2024 Frontier Developments

La Formule 1 a longtemps été très populaire auprès des développeurs de jeux vidéo, mais ce pendant vidéoludique a connu un lent déclin, voire une certaine traversée du désert. La sortie de F1 Manager 2024 ce 23 juillet est l’occasion d’analyser ce retour en force de la catégorie reine des sports mécaniques dans l’univers du gaming.

Depuis que le jeu vidéo existe – ou presque –, il y a eu des jeux de Formule 1, et, plus largement, de course automobile. Il faut dire que c’était l’occasion rêvée pour des milliers, voire millions de fans de sports mécaniques de vivre en quelque sorte l’expérience d’une discipline extrêmement sélective, à très haute vitesse, et plus ou moins réservée à une certaine élite. L’antithèse absolue du football ou même du tennis, praticables par tous – ou presque –, bien que très populaires, eux aussi, sur bornes d’arcade, consoles et micro-ordinateurs.

Cependant, au fil des années, l’intérêt pour la F1 a diminué, entraînant une baisse de production de jeux vidéo basés sur une licence mine de rien très coûteuse. Aujourd’hui, la catégorie reine du sport automobile jouit d’une popularité sans précédent et, évidemment, cela se traduit par de plus en plus d’exploitations de la licence détenue par Liberty Media dans la pop culture, bien au-delà du simple cadre du gaming.

Plus qu’un sport, une légende

Inauguré en 1950, le Championnat du monde de Formule 1 est considéré assez universellement comme la plus prestigieuse des compétitions de sports mécaniques. Mettant en scène des valeurs de résilience, d’engagement et de concentration physique et mentale sans égales, elle a séduit des millions de spectateurs à travers le monde grâce, entre autres, à des prestations de champions d’exception et de rivalités de légende.

©Jaap Buitendijk/ Rush Films Limited / Egoli Tossell Film and Action Image

De Giuseppe Farina à Max Verstappen, à travers les hégémonies de Juan Manuel Fangio, Michael Schumacher ou Lewis Hamilton, et en passant par le duel Lauda-Hunt fidèlement reconstitué dans le film Rush (2013) de Ron Howard, ou la guerre mythique entre Alain Prost et Ayrton Senna s’achevant sur le décès tragique du champion brésilien en 1994, la F1 est source d’émotions depuis bientôt 75 ans. Ainsi, il était plus que logique que son aura dépasse les frontières du sport, et que la pop culture s’y intéresse.

Une discipline qui tourne en rond

Cependant, la technologie commençant à supplanter l’humain, et les performances en piste des pilotes donnant davantage l’impression de reposer sur la parfaite maîtrise d’une mécanique bien huilée, les exploits sportifs ont perdu de leur superbe dans l’esprit collectif.

Pire encore : l’ultradomination de deux grands champions allemands dans les années 2000 et 2010, Michael Schumacher (cinq titres de champion du monde de 2000 à 2004) et Sebastian Vettel (quatre fois titré de 2010 à 2013) a entraîné un désintérêt du public, lassé de voir toujours les mêmes gagner – d’autant plus que le spectacle en piste, même pour les places d’honneur, commençait à se raréfier.

©Codemasters

En 2007, pour la première fois depuis plus de 15 ans, aucun jeu vidéo sous licence officielle ne permettait de vivre l’expérience de la saison de Formule 1 en cours. Il a fallu attendre 2010 pour que Codemasters (studio expert des jeux de course automobile) reprenne le flambeau avec une œuvre d’excellente facture parue sur PlayStation 3, Xbox 360 et PC. Cela restait toutefois un titre relativement de niche, acclamé par la critique et bien reçu par les joueurs, mais ne trouvant son public qu’auprès des fans les plus fidèles de la discipline.

La reconquête par l’Amérique

En 2011, la FIA (Fédération internationale de l’automobile) commence à instaurer de nouvelles réglementations pour favoriser les dépassements en piste, ces derniers étant devenus trop rares, leur absence entraînant des courses aux allures de lentes processions sans suspense. Cependant, le vrai tournant est venu des États-Unis, contrée au passif un peu compliqué avec la F1.

Outre-Atlantique, ce sont surtout des disciplines comme la NASCAR ou l’IndyCar qui règnent, la F1 étant relativement secondaire et ayant connu, qui plus est, de longues absences du territoire américain au calendrier durant pratiquement l’intégralité des années 1990, avec en point d’orgue un Grand Prix des États-Unis 2005.

Ce dernier a suscité l’une des plus grandes controverses de l’histoire de la compétition : seules six voitures ont pris le départ d’un simulacre de course après le retrait volontaire des 14 véhicules équipés de pneus Michelin avant le début de la course, par mesure de sécurité et par protestation. En dépit de relations vraiment compliquées entre la F1 et le pays de l’Oncle Sam, la société américaine Liberty Media rachète en 2017 les droits d’exploitation de la discipline.

©Shutterstock, Tricia Daniel

Ses objectifs : changer radicalement son image de marque, aussi bien en piste qu’à la télévision et sur les réseaux sociaux, pour la moderniser, restaurer l’intérêt des fans, en accueillir de nouveaux, et évidemment, en faire un vrai show à l’américaine.

Les circuits en ville ou de nuit se multiplient, avec, en point d’orgue, un Grand Prix nocturne dans les rues de Las Vegas, comme un symbole ultime d’une reconquête à travers le prisme du spectacle – quitte à faire passer le sport et les prouesses technologiques au second plan.

Le show pour survivre

C’est évidemment dans ce contexte que Netflix s’est aussi emparé du phénomène médiatique que la Formule 1 s’apprêtait à redevenir. Durant toute la saison 2018, les caméras du géant de la SVOD ont arpenté les paddocks du monde entier, afin de produire Drive to Survive (Pilotes de leur destin en français), une série retraçant une année entière de championnat, la romançant quelque peu pour renforcer la dramaturgie d’une compétition regagnant en intérêt – en grande partie parce que la réalisation et les moyens mis en œuvre contribuaient à la mise en avant du spectacle.

Visionnée par des millions de spectateurs, et particulièrement des jeunes (un tiers de l’audience aurait moins de 30 ans selon Netflix), elle apporte un tout nouveau public à une discipline qui en avait besoin, et connaît dès lors une explosion de popularité qui se traduit notamment sur les réseaux sociaux.

Electronic Arts, l’un des éditeurs majeurs de l’industrie du jeu vidéo (grâce à la série annuelle des FIFA), en profite pour racheter Codemasters et les droits d’exploitation de la licence F1 en 2021, devenue très rentable.

Les roues de la fortune

Au-delà de la Formule 1, l’opération séduction de Liberty Media et de Netflix a permis de sensibiliser toute une nouvelle génération à l’intérêt des sports mécaniques, qui ne sont désormais plus vus comme une discipline macho que le père de famille regarde le dimanche après-midi une bière à la main.

En France, le célèbre influenceur Squeezie, conscient de l’intérêt grandissant des jeunes audiences pour les courses automobiles, a lancé le concept du GP Explorer en 2022 – une course de Formule 4 (monoplaces de puissance et de technologie moindres) entre créateurs de contenu –, diffusé sur Twitch en direct et réunissant un peu plus d’un million de spectateurs simultanés.

Une expérience extrêmement positive, reproduite l’année suivante pour un succès encore plus élevé (avec un pic à 1,3 million de spectateurs et près de 7 millions sur la totalité de l’événement). Si les ventes de la série F1 d’Electronic Arts commencent quelque peu à chuter, tout comme les audiences de la série Drive to Survive, la popularité de la Formule 1 et des sports mécaniques reste très élevée, et surtout, bien plus qu’elle ne l’était avant que les États-Unis ne se décident enfin à s’y intéresser pour de bon.

Il aura fallu que la Formule 1 se mette à tourner en rond pour qu’un virage salvateur lui soit offert sur un plateau d’argent. Discipline reine devenue caricature d’elle-même et n’offrant que peu de suspense et d’intérêt, elle a su se renouveler grâce à l’intérêt d’investisseurs fanatiques de spectacle qui lui ont permis de redorer son blason, que ce soit sur la piste, dans les tribunes, mais aussi et surtout à la télévision, sur consoles, PC et mobiles, et évidemment, sur les réseaux sociaux. Ce n’est que justice pour un sport riche de trois quarts de siècle d’histoire, et dont la légende s’est construite sur sa dramaturgie, ses rivalités et un sens du spectacle inégalé en son genre.

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