Entretien

Adam Elliot pour Memoir of a Snail : “Je pense que les animateurs sont de vrais magiciens, plutôt que des cinéastes”

17 juin 2024
Par Lisa Muratore
“Memoir of a Snail” a remporté le Cristal du long-métrage au Festival international du film d'animation d'Annecy.
“Memoir of a Snail” a remporté le Cristal du long-métrage au Festival international du film d'animation d'Annecy. ©Arenamedia

Memoir of a Snail a marqué la compétition au Festival international du film d’animation d’Annecy en remportant le Cristal du long-métrage. Avant son sacre, L’Éclaireur a eu la chance de rencontrer le réalisateur australien, Adam Elliot, et de parler de son film, véritable coup de cœur de la rédaction.

Qu’est-ce que ça vous fait d’être de retour à Annecy après avoir présenté Mary and Max

J’ai présenté Mary and Max en 2009, puis je suis revenu en 2016, cette fois avec un court-métrage intitulé Ernie Biscuit. Depuis, j’ai remarqué que le Festival avait pris de plus en plus d’importance. Aujourd’hui, on parle de 17 000 accréditations, alors que, quand je suis arrivé ici pour la première fois en 1996, il n’y en avait que 4 000. Je vis en Australie et, là-bas, il y a très peu d’animateurs. La stop-motion est une petite entreprise. Quand on vient à Annecy, on se sent légitime et on est validé par la communauté. Il y a une véritable effervescence, une atmosphère incroyable et beaucoup de compassion.

Extrait de Mary and Max.

Ce qui rend le festival d’Annecy si unique, c’est que les animateurs ne sont pas aussi compétitifs. Bien sûr, c’est génial de gagner des prix et d’être reconnu, mais, en tant qu’animateurs, on se sent toujours à part, un peu comme des marginaux incompris [rires] ! Le métier d’animateur est un métier solitaire, donc il y a une sorte de camaraderie qui s’est installée. Je retrouve des amis ici, c’est comme une réunion de famille chaque année.

Vous évoquez les marginaux de l’animation. Cette notion fait-elle partie des obsessions qui traversent vos films ?

Absolument ! Je n’ai jamais voulu faire de films avec des archétypes héroïques classiques. Mes personnages sont davantage des anti-héros qui sont souvent incompris et marginalisés. Ce sont des outsiders. Ce sont aussi des personnages de fiction qui sont basés sur de véritables personnes, sur ma famille et mes amis. Je me reconnais dans Gilbert, tandis que Pinky est inspirée de ma propre mère. Grace est également inspirée de ma mère, car, comme elle, ma mère était une collectionneuse maladive.

Je regarde les gens qui m’entourent et je crée des histoires à partir de leur vie. Ce sont des gens du quotidien, ce ne sont pas des super-héros. J’essaie d’imaginer des personnages auxquels on peut s’identifier. C’est très difficile à créer avec de la pâte à modeler en stop-motion, d’ailleurs ! C’est très difficile de faire croire au public qu’un morceau d’argile est vivant. C’est pour cette raison que je pense que les animateurs sont de vrais magiciens, plutôt que des cinéastes. Tout le film est une illusion. Parfois, j’aimerais que la caméra recule afin que le public puisse voir l’envers du décor. 

Memoir of a Snail est un film en stop-motion. Qu’aimez-vous tant dans cette technique ? 

Grâce à cette technique, les animateurs peuvent devenir Dieu. Nous avons beaucoup de contrôle créatif et de liberté. Beaucoup d’animateurs vous diront d’ailleurs que ce sont des obsédés du contrôle et des mégalomanes. Grâce à la stop-motion, on peut décider de tout. Il y a quelque chose de magique dans la technique. Quand on voit une empreinte sur l’argile et la pâte à modeler, on sait que c’est artisanal. C’est un véritable objet que vous pouvez tenir dans vos mains.

Bande-annonce du court-métrage Ernie Biscuit d’Adam Eliott.

C’est quelque chose d’assez unique, d’autant plus aujourd’hui avec les problématiques autour de l’intelligence artificielle, qui nous poussent sans arrêt à questionner la valeur d’une image. J’adore l’animation faite sur un ordinateur, mais je pense aussi que je risquerais de m’ennuyer derrière un écran, car j’adore dessiner et faire quelque chose avec mes dix doigts. 

Comment l’histoire de Grace est-elle née ?

Grace, je le disais plus haut, est inspirée de ma propre mère, collectionneuse invétérée. J’ai aussi une amie qui est née avec une fente palatine. Elle a subi plusieurs opérations quand elle était jeune. Elle a aussi été harcelée à l’école et a traversé une enfance très dure. Pourtant, aujourd’hui, elle est très extravertie. J’ai toujours été fasciné par la manière dont elle a repris sa vie en main. Malgré toutes les épreuves par lesquelles elle est passée, elle a réussi à reprendre le contrôle de son existence. Ma mère et cette amie ont été primordiales dans la construction de Grace pour le film.

« Grâce à la stop-motion, les animateurs peuvent devenir Dieu. »

Adam Elliot

J’avais aussi cette fascination pour les jumeaux que l’on sépare, sur le lien indéfectible qui les unit et cette impression qu’ils ont, une fois séparés, qu’on leur a retiré un membre. Chaque film est une combinaison de différents ingrédients. Quand j’écris les premières ébauches, je m’accroche aux détails, je ne me soucie pas de la structure. Je regroupe ensuite tous ces détails et idées. J’essaie de réfléchir à la manière de les assembler, mais surtout d’en faire quelque chose de drôle. La structure évolue d’elle-même en trois parties : un début, un milieu et une fin. J’écris pour moi, sans jamais penser au public. C’est très organique comme technique, très intuitif. Je pense sincèrement que si le script est solide, alors le film le sera forcément. 

Comment avez-vous réfléchi au rythme de l’histoire entre l’émotion, l’humour et l’humanité qui ressortent du film ? 

C’est difficile de trouver un équilibre entre la comédie et la tragédie, entre la lumière et l’obscurité. Les premières ébauches étaient vraiment très sombres, puis les suivantes ont été très lumineuses. Il fallait donc trouver le bon ton. J’adore cette expression : “Sans l’obscurité, la lumière n’est rien.” C’est comme une sorte de soulagement. La comédie fonctionne ainsi. J’ai ces gags placés à différents endroits du texte, car ça offre un sentiment de soulagement et de légèreté au public malgré l’aspect sombre de l’histoire.

Grace est le personnage principal de Memoir of a Snail.©Arenamedia

C’est un film noir, mais grâce au happy ending, le public est capable d’oublier par la suite tous les événements malheureux qui arrivent à Grace. Nous avons passé un long moment à monter le film avec mon éditeur, qui est un vrai perfectionniste. Grâce à son expertise, nous avons pu trouver un équilibre dans le rythme. J’ai d’ailleurs guetté les réactions du public pendant la séance officielle, et c’était incroyable de les entendre au bon moment, car ce sont des scènes que nous avons travaillées longuement avec mon équipe. 

Le film ressemble presque à une œuvre gothique. Quelles ont été vos inspirations dans le design des personnages, mais aussi de l’histoire ? 

Pour commencer, ma couleur préférée est le noir ! Je commence tout le temps par le noir quand j’imagine mes personnages, mais je voulais que le film ait aussi cette touche marron. C’est l’une des règles que je me suis imposées. J’ai banni le bleu, le rouge, le rose et le vert de la colorimétrie du film. Les années 1970, époque durant laquelle se déroule le long-métrage, comportaient également une palette assez brune, selon moi, avec du beige aussi. J’aime utiliser la couleur comme un outil pour mieux comprendre mes personnages. J’ai apporté de la couleur de façon graduelle, à mesure que la vie de Grace prenait une tournure optimiste et positive. Mais, bien sûr, j’adore le gothique, son architecture, son atmosphère. J’aime utiliser le noir comme une base, puis je construis mon univers à partir de cette manière.

« Je pense sincèrement que si le script est solide alors le film le sera forcément. »

Adam Elliot

Gilbert pour sa part, nous rappelle une sorte d’Edward aux mains d’argent. Que pouvez-vous nous dire à son sujet ? 

C’est drôle, car nous avons essayé de rendre Gilbert très attirant, mais mes personnages sont rarement beaux [rires] ! Nous avons passé un long moment à réfléchir au design et à l’image de Gilbert. Quant à Grace, je voulais qu’elle ressemble à une personne qui n’est pas très active, à une personne alourdie par la vie, sans pour autant la montrer de façon trop énorme. Cela aurait provoqué tellement de pitié auprès des spectateurs. Ce n’était pas le sujet. Puis, quand on découvre pourquoi elle prend du poids dans le film, elle finit par reprendre, encore une fois, le contrôle de son existence. 

Quelle est la chose que vous préférez chez Grace ? 

Je pense que Grace est véritablement une survivante. Elle n’est pas vraiment héroïque, bien qu’elle ait montré qu’elle pouvait être brave et courageuse par instants. Ceci étant dit, elle est toujours optimiste. Par exemple, elle est persuadée de retrouver son frère un jour. Elle va aussi reprendre le contrôle de sa vie, malgré le fait qu’elle soit seule et en dépit de toutes les peines qu’elle a connues. Elle est bien plus une survivante qu’une héroïne.

C’est aussi un argument de mise en scène que nous avons voulu développer. Quand elle est enfant, la caméra la regarde d’en haut, mais, dès la fin du film, une fois adulte et indépendante, la caméra la regarde par le bas. Nous avons pensé qu’elle serait perçue de façon plus brave. 

Pourquoi avoir choisi les escargots comme totem pour votre film ? 

Ça n’était pas mon premier choix. Au départ, je voulais appeler mon film Lady Bird, mais le film de Greta Gerwig est sorti entre-temps. Par ailleurs, je trouvais finalement le symbole de l’oiseau bien trop soigné. Il me fallait un totem avec une symbolique. J’ai rapidement pensé aux escargots à cause de la manière qu’ils ont de rétracter leurs antennes quand on le touche. Grace se rétracte tout le temps dans sa coquille face à la vie. Le symbole du tourbillon sur sa coquille représentait également pour moi le cycle de la vie. Le symbolisme est très important dans mes films. 

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Grace est une collectionneuse invétérée. Quel objet collectionnez-vous pour votre part ? 

Fut un temps où j’étais un collectionneur aussi ! Je collectionnais plusieurs choses, très variées, notamment la mauvaise taxidermie [rires]. Je m’en suis débarrassé aujourd’hui en déménageant avec mon compagnon. J’avais aussi peur de finir comme mes parents, pour être honnête. Je suis plus minimaliste aujourd’hui, bien que je collectionne encore les œuvres d’art et les dessins. Ma mère, à l’époque, collectionnait les petits sacs en plastique que l’on vous donne dans les aéroports. Elle en avait des centaines et, à l’intérieur de chacun, il y avait d’autres sacs en plastique, comme de vraies poupées russes. C’est intéressant l’obsession qu’ont certaines personnes avec des objets. 

Le film peut également compter sur un casting vocal cinq étoiles comme Sarah Snook, Nick Cave ou encore Eric Bana. Comment les avez-vous choisis ? 

Sarah Snook a été mon premier choix. Nous avions pensé à d’autres actrices australiennes, comme Margot Robbie ou Cate Blanchett. Sarah me paraissait très terre à terre, timide et pleine d’autodérision. Finalement, l’opposé de son rôle dans la série Succession. La première fois que je l’ai rencontrée, j’étais très nerveux, mais elle est adorable. Sa voix est très neutre aussi, elle ne sonne pas trop australienne, ni trop émouvante. Elle vit à Melbourne, tout comme Kodi Smit-McPhee qui incarne Gilbert et Eric Bana qui joue James le Magistrat. Nous avons aussi collaboré avec Nick Cave pour le personnage de Bill Clarke. C’est un casting très varié, éclectique, qui fonctionne très bien. C’est un film à petit budget, mais ils ont compris l’engagement que cela nécessitait et sont tombés amoureux de l’histoire. 

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Grace et Gilbert sont séparés au début du film et Gilbert est envoyé dans une famille d’accueil très puritaine, qui n’accepte pas son homosexualité. Avez-vous voulu aussi refléter cette Australie profonde à travers ces personnages ? 

L’Australie est principalement athée, mais nous avons également diverses religions. Pour ma part, je suis athée, mais je voulais aborder la façon dont certaines personnes sont complètement absorbées par la religion et comment celle-ci peut devenir un outil de manipulation ; comment la religion peut être similaire à un lavage de cerveau. À travers Gilbert, je parle aussi des thérapies de conversion, qui sont encore autorisées dans certains pays bien que ce ne soit plus le cas en Australie. C’est aussi la première fois que je mets en scène un personnage homosexuel. L’animation devrait d’ailleurs plus aborder les personnages LGBTQIA+.

Quel est le plus grand défi que vous ayez dû affronter sur cette production ?

Je ne pensais pas que le projet allait prendre huit ans [rires] ! Ça n’aurait pas dû prendre autant de temps, mais la Covid a ralenti les choses. Souvent, les gens pensent que l’animation est très difficile en termes de technique, mais c’est avant tout trouver les fonds qui représente le plus grand défi. Par ailleurs, faire et produire des films indépendants d’animation pour adultes est peut-être la chose la plus difficile dans tout ce processus. 

Bande-annonce de Memoir of a Snail d’Adam Elliott.

Est-ce un souhait de rester indépendant ? Pourriez-vous travailler avec de grands studios d’animation ?

Éthiquement et moralement, j’aimerais rester indépendant toute ma vie, mais je vieillis et je n’ai pas beaucoup d’argent de côté pour ma retraite. Je pense qu’il est possible de trouver un équilibre, d’autant plus qu’il y a de plus en plus d’opportunités du côté de l’animation grâce à des studios comme Netflix. Je pense surtout que ça dépend du projet. J’adore écrire et j’aimerais encore réaliser un projet en totale indépendance, peut-être avec des partenaires australiens. 

Qu’avez-vous a appris sur ce projet que vous ne saviez pas avant ? 

J’ai appris à être plus autoritaire, car je suis parfois trop gentil. J’ai appris à dire non pour le bien du projet. J’ai aussi appris à être plus solide et à ne pas me soucier de ce que pensent les gens afin que le film soit toujours une priorité. Mais, je tiens à vous rassurer, tout le monde a survécu, nous sommes une grande famille, heureuse de présenter le film !

Memoir of a Snail n’est toujours pas daté en France.

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste