Professeur et TikTokeur, Gatsu Sensei nous a confectionné sa fiche de révision parfaite avec les héros de Chainsaw Man et One Punch Man.
Sa première rencontre avec un manga, c’était Naruto. Le professeur l’admet dans son nouveau livre, Manga Philo, le ninja lui a permis de s’interroger sur la morale, l’éthique, l’épistémologie et la justice. Le passionné de BD japonaises en est persuadé : ces ouvrages peuvent être une porte d’entrée ludique pour comprendre la philosophie.
Même s’ils ne doivent pas être cités dans les dissertations au profit de références comme Platon, ils permettent aux élèves d’appréhender et d’intégrer des concepts complexes. Justice, morale, religion… Cette année, les terminales seront interrogés sur l’une des 17 notions au programme. On a demandé à Gatsu Sensei de décrypter et d’analyser celle du bonheur avec ses héros favoris.
One Punch Man et l’intensification de nos désirs
Le bonheur est-il le résultat de l’assouvissement de nos désirs ? Le professeur nous offre une réponse de philosophe : « Oui et non », car cette situation peut, aussi, nous condamner au malheur. Selon Schopenhauer, le désir a une structure problématique. « Quand on désire quelque chose, on ressent un manque, donc on souffre. »
Le spécialiste prend l’exemple du dernier iPhone : on se laisse convaincre par la hype, on a très envie de l’acquérir et on souffre de ce manque. « Puis, moment de grâce, on l’achète. On ressent de la satisfaction à l’instant T – ce qui nous fait penser que le fait d’assouvir nos désirs nous rend heureux –, mais le téléphone va finalement nous sembler moins attrayant à l’instant T+1, T+2, et T+3. »
Ce qu’on acquiert perd donc de sa valeur avec le temps, tout comme les relations humaines. « Quand on se met en couple avec une personne qu’on a désirée très longtemps, c’est la lune de miel. Puis s’installe une forme de monotonie, comme le montre le roman L’Amour dure trois ans de Frédéric Beigbeder. » Les objets et les relations finissent par nous ennuyer et ce qui nous rendait heureux ne suffit plus.
Et dans ces moments, le seul moyen de sortir de l’ennui est de recréer du manque. « Donc on attend l’annonce du prochain iPhone, on est heureux de l’acheter dès sa sortie, puis on s’ennuie à nouveau. C’est un cercle infini. » Grand pessimiste, Schopenhauer illustre ce phénomène par une citation devenue culte (et qui sera parfaite dans votre dissertation) : « La vie oscille, comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui » (dans Le Monde comme volonté et comme représentation).
Une problématique qu’illustre parfaitement le manga (et son adaptation animée qui bénéficie de la voix d’Orelsan en VF) One Punch Man (de One et Murata). « Les héros de shōnens sont toujours en quête de puissance, mais Saitama est déjà le plus fort. Il ne ressent aucune satisfaction lors de ses combats, car il sait qu’il va écraser tous ses adversaires en un seul coup de poing. Il est donc bloqué dans la phase de l’ennui. » Il adorerait ressentir ce manque et souhaiter être le plus fort, « mais il est destiné à rester un chauve blasé ».
Un sentiment que partage Kaido dans One Piece, qui assure que « [l’on] s’ennuie lorsque l’on est sur le trône. On espère que quelqu’un viendra nous défier ». Une image qui renvoie, aussi, aux tyrans et grands rois « qui ont déjà tout » dans les récits fantastiques. « Ils ont toujours la main posée sur leur trône, mais ils espèrent parfois revenir à une vie plus modeste pour ressentir à nouveau du plaisir. » Dans One Punch Man, Saitama cherche donc à intensifier ses désirs, car il les a déjà tous assouvis.
Chainsaw Man et la maîtrise de ses désirs
La vraie question n’est donc pas « Le bonheur est-il le résultat de l’assouvissement de nos désirs ? », mais « Quels désirs faut-il chercher à assouvir ? ». Pour atteindre le bonheur, il faudrait les prioriser. Prenons l’exemple de Chainsaw Man (de Tatsuki Fujimoto). Le héros du manga se nomme Denji et il ne possède rien. Il vend ses organes pour subvenir à ses besoins, son père s’est suicidé en lui laissant toutes ses dettes, et il vit dans une cabane dans les bois avec un petit chien démon qui est sa seule interaction sociale.
Une vie très modeste qui serait embellie par une seule chose : du beurre sur sa tartine. « Son mode de pensée est très épicurien, car il classifie ses désirs. Son bonheur ne dépend que de petits besoins naturels et nécessaires. » Mais quand on commence à céder à d’autres types de désirs, plus vains, « on devient fondamentalement malheureux, parce qu’ils sont sans fin ».
Autrement dit, et pour répondre à ce bon vieux Schopenhauer, on ne peut pas supprimer le manque, mais on peut apprendre à le gérer pour avoir un oscillement beaucoup plus bas. « Par exemple, si on a soif, il vaut mieux désirer de l’eau. C’est beaucoup plus accessible et rapide, car tout le monde a un robinet chez soi. » Grand épicurien malgré lui, Denji nous apprend donc qu’il faut savoir maîtriser ses désirs pour être heureux – un point de vue qui nous rappelle celui d’un certain Baloo dans Le Livre de la jungle.
Un monde sans peur, mais avec beaucoup d’émotions
Si on en croit Makima dans Chainsaw Man, le seul moyen d’atteindre le bonheur est d’éradiquer la peur. « Mais c’est une idéaliste, prévient le professeur. Nous devons connaître ce sentiment pour apprendre à vivre avec et dépasser l’adversité. Par exemple, si on accepte le fait qu’on va tous mourir, on vit d’une manière plus paisible. »
À l’inverse, les émotions sont essentielles pour accéder à ce sentiment. « Saitama a perdu la capacité de les ressentir, c’est un homme profondément déprimé. Il est condamné à une forme de lassitude permanente. Quand bien même le bonheur se définit comme étant un état de satisfaction permanente, pour prendre conscience de la valeur de cette satisfaction, il faut avoir expérimenté son absence. »
Comme le dit un adage populaire : « On ne connaît la valeur d’une chose que quand on l’a perdue. » Saitama s’est rendu compte de la valeur de ses émotions quand il ne les avait plus. Et si l’on reprend l’exemple (très concret) de l’iPhone, on réalise sa valeur seulement une fois qu’il est tombé, qu’il s’est cassé en mille morceaux, et qu’on doit le remplacer par le vieux Nokia de notre tante Yvette. « Nos émotions nous permettent de nous rendre compte de la valeur des instants positifs qui teintent notre vie. Elles sont essentielles. »
Les conseils de Gatsu Sensei
Pour réussir sa dissertation, le professeur conseille de bien distinguer les notions de « bonheur », « désir », « plaisir » et « joie ». Un point de vue partagé par Bergson dans La Conscience et la Vie, qui pense qu’il faut arrêter de chercher le bonheur et commencer à se mettre en quête de la joie. « Le bonheur est un état qui semble impossible à atteindre. À l’inverse, nous avons une boussole naturelle qui nous permet de nous rendre compte quand on est joyeux. »
La joie est fondamentalement liée à l’acte de création, qui est significatif dans notre existence – comme celle d’un commerçant qui lance son entreprise, celle d’un étudiant en médecine qui réussit pour la première fois une opération à cœur ouvert, ou encore celle d’un compositeur qui écrit une grande symphonie. « Ces moments n’impliquent pas la reconnaissance des autres. Ils ne regardent que nous-mêmes. »
Et ils sont bien plus accessibles que le bonheur, sorte de mythe inaccessible. « Dans l’une de ses dernières vidéos, Le Rire jaune parle de l’ikigai, un concept japonais qui s’intéresse à ce que l’on doit chercher dans la vie (passion, vocation…). C’est un peu l’équivalent de ce moment de joie chez Bergson. »
Autre clé pour réussir sa copie : s’intéresser au rapport entre le bonheur et le temps, que l’on retrouve, notamment, dans les Pensées de Blaise Pascal. « En réalité, le temps pervertit notre conception du bonheur. Selon le philosophe, l’être humain est le seul animal à avoir conscience de son passé et de son futur. »
On idéalise notre passé, on ressent de la nostalgie, on appréhende le futur… On place toujours notre bonheur dans un passé qui est révolu ou dans un futur qui est à venir, mais jamais dans le présent qui est le seul temps qui nous appartient. Pourquoi ? « Parce qu’on a conscience du temps. Pour Pascal, si on veut être heureux, il faut savoir être dans le moment présent, mais c’est quasiment impossible. Et la meilleure réponse que l’on puisse lui donner est celle de Nietzsche dans les Considérations inactuelles. »
Ce dernier prend pour exemple les vaches en train de paître dans un champ. « Si elles semblent heureuses, c’est simplement parce que leur seul bonheur est le fait de manger leur herbe à l’instant T. » Les animaux ont une vie non historique et Nietzsche nous dit qu’il faudrait apprendre à oublier. « Parfois, le passé peut être un traumatisme qui nous empêche d’agir et le futur une angoisse qui nous empêche d’agir. À l’inverse, le moment présent est celui où l’on s’oublie. »
On n’est jamais plus heureux que quand on retrouve nos amis pour boire un verre et refaire le monde. Le reste n’existe pas. « Je pense que ce serait super intéressant de développer une partie sur la valeur de l’oubli, telle que la développe Nietzsche, mais aussi le rapport de l’homme au temps, tel que le développe Pascal, dans votre copie. » Maintenant que votre cerveau a bien chauffé – comme après un bon cours de philo –, on vous laisse digérer tous ces conseils et, qui sait, peut-être trouver les clés du bonheur.
Cette fiche de révision s’inscrit dans une série d’articles qui vous permettront d’appréhender le bac de philosophie plus sereinement. Les précédents épisodes s’intéressaient à la notion de la justice, mais aussi aux conseils de Gatsu Sensei pour briller lors de l’épreuve.