Décryptage

Bac de philo 2024 : comment réviser la notion de justice avec les mangas ?

05 mai 2024
Par Agathe Renac
“One Piece” est le manga le plus vendu au monde.
“One Piece” est le manga le plus vendu au monde. ©Toei Animation

Professeur de philosophie et créateur de contenu sur YouTube et TikTok, Gatsu Sensei nous a confectionné sa fiche de révision parfaite avec ses meilleurs alliés : les héros de Death Note et de One Piece.

Sa première rencontre avec un manga, c’était Naruto. Le professeur l’admet dans son nouveau livre, Manga Philo, le ninja lui a permis de s’interroger sur des questions relatives à la morale, l’éthique, l’épistémologie et la justice. Le passionné de BD japonaises en est persuadé : les mangas peuvent être une porte d’entrée ludique pour comprendre la philosophie.

Même s’ils ne doivent pas être cités dans les dissertations au profit de références comme Platon, ils permettent aux élèves d’appréhender et d’intégrer des concepts complexes. Bonheur, morale, religion… Cette année, les terminales seront interrogés sur l’une des 17 notions au programme. On a demandé à Gatsu Sensei de décrypter et d’analyser celle de la justice avec ses héros favoris.

Death Note et l’opposition de deux justices

Pour le professeur, L et Light représentent l’opposition radicale de deux concepts : une justice suprasensible et idéelle, contre une justice humaine et institutionnelle. « Light a un regard biaisé sur le monde », explique Gatsu Sensei. Considéré comme l’étudiant le plus intelligent du Japon, il a une grande capacité d’analyse et réalise que « ce monde est pourri », car de nombreux criminels sont impunis, ce qui provoque une grande injustice pour les victimes.

« Quand il trouve le Death Note, il le voit comme un moyen pour réaliser une fin qui touche à toute l’humanité, à savoir : rétablir une plus grande justice sur Terre à travers ce carnet qui peut s’apparenter à une forme de châtiment divin. » En effet, quand Light inscrit le nom d’une personne dans ces pages, cette dernière meurt. « Le concept qu’il incarne est donc celui d’une justice suprasensible. Elle appartient à un monde idéel, elle n’est pas concrète, et serait parfaite. » Light pourrait donc être considéré comme un platonicien, car « il pense que cette justice doit être un modèle pour celles qui sont appliquées en société, et que les hommes doivent devenir intransigeants vis-à-vis du mal ».

À l’inverse, L est le représentant d’une justice institutionnelle et humaine. Il n’a pas volé son statut de « plus grand détective du monde », et comprend très rapidement qu’une personne physique se prend pour un dieu et tue toutes ces personnes, d’une façon ou d’un autre. « Il croit en la puissance de la justice des hommes, malgré le fait qu’elle paraisse imparfaite, avec ses institutions, ses tribunaux, ses juges et ses policiers. »

©Madhouse

Death Note nous présente donc deux modèles de justice : une qui se veut parfaite, qui domine le monde, que les hommes ne peuvent pas comprendre, mais doivent suivre une justice métaphysique et une justice du monde humain qui est accessible aux hommes et qui peut rétablir une plus grande justice par la puissance de ses institutions, en jugeant celui qui se prend pour un juge suprasensible.

One Piece et la relativité de la justice humaine

Gatsu Sensei le revendique : « One Piece est une œuvre politique. » En effet, le lecteur suit des pirates, donc des hors-la-loi, qui s’opposent à la Marine, la force militaire principale du Gouvernement mondial. La question de la justice est donc centrale, aussi bien dans le manga que dans l’anime, notamment quand les personnages arrivent sur une nouvelle île – qui est régie par ses propres lois. « Parmi toute la galerie de protagonistes, Doflamingo est particulièrement intéressant. Contrairement aux héros de Death Note, il pense que LA justice n’existe pas. »

©Shueisha / Eiichiro Oda

Pour rappel, Don Quijote Doflamingo est dragon céleste, une sorte d’aristocrate. « Il faisait partie d’une noblesse qui régnait sur le monde, avant que son père ne décide de revenir avec le “bas peuple”. Il sait comment fonctionne le monde et qui tire les ficelles. » Il a donc choisi de devenir un grand corsaire, soit un pirate à la solde du gouvernement. En échange de son immunité, il ne peut piller que les autres navires pirates et doit verser une petite partie de son butin aux puissants.

Et quand on lui demande si ce qu’il fait est juste, il répond en évoquant la relativité de la justice. Pour lui, elle n’existe pas. « Un enfant qui a toujours connu la guerre et la famine aura une conception de la justice totalement différente de celle d’un enfant qui a vécu avec une cuillère en or dans la bouche. Ils ne peuvent pas se comprendre. La justice est donc relative, dans le sens où elle dépend du vécu de chacun. Une décision juste pour l’un sera fondamentalement injuste pour l’autre. »

Pour le corsaire, la justice n’appartient qu’au vainqueur et elle est toujours liée aux intérêts personnels de chacun. Tout comme Light, il dénonce le fait que l’idée de justice n’existe pas, que la justice humaine de L n’est pas une justice unifiée pour toute l’humanité. « Doflamingo a conscience que les jeux de pouvoir changent et que la notion de justice est redéfinie par les plus forts. »

Les trois infos à retenir

Professeur attentionné et passionné, Gatsu Sensei n’est pas avare en conseils. Sa première suggestion est de se mettre à la place d’un philosophe, dont le travail « revient souvent à distinguer deux concepts ». Il faut donc être capable de faire la distinction entre les concepts d’égalité et d’équité, mais aussi de justice idéelle et institutionnelle.

©Toei Animation

Deuxième recommandation : interroger la figure du légaliste, qui est une personne qui considère que le droit est toujours juste. « La notion de droit n’est plus au programme, mais elle est toujours intrinsèquement liée à celle de justice et ça peut rendre un sujet intéressant. » Dans One Piece, un légaliste dirait que la Marine est toujours dans son bon droit et qu’il ne faut jamais aller contre ce qu’elle dit, même si sa décision paraît injuste.

« Ça peut amener à des dérives, comme on l’a vu dans l’histoire avec le procès Eichmann. Il affirmait qu’il n’avait fait qu’appliquer les ordres, qu’il était très bon dans son travail et qu’on lui a demandé d’agir ainsi. Cependant, il savait que c’était profondément injuste. » Avis aux futurs bacheliers : distinguez bien la légalité de la justice.

©Madhouse

« Ce qui nous amène à une figure intéressante : celle de l’Homme révolté. » Dans One Piece, cette dernière est représentée par Kobby, qui se révolte contre la justice de la Marine, car il considère que ses actes sont devenus injustes. « On ne peut pas dire ce qu’est la justice, mais on peut dire ce qu’elle n’est pas. Quand on voit des hommes s’entretuer pour des intérêts personnels, on sait que c’est injuste. »

Un élément que l’on retrouve dans L’Étranger d’Albert Camus, qui nous laisse entendre que le sacrifice est le seul acte qui prouve qu’une personne se bat pour une conception de la justice qui dépasse ses intérêts personnels. « Quand on se sacrifie, on n’a aucun intérêt personnel. Ce n’est pas une justice mue par des intérêts, mais par la volonté d’atteindre une plus grande forme de justice qui touche l’humanité. »

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Cette fiche de révision est le début d’une série d’articles qui vous permettront d’appréhender le bac de philosophie plus sereinement. Les prochains épisodes s’intéresseront à la notion de la morale, du bonheur, mais aussi aux conseils de Gatsu Sensei pour briller lors de l’épreuve.

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste