Il a fait l’objet de multiples adaptations à l’écran, mais son venin saisit chaque fois son entourage et son public. Tom Ripley, issu d’une série de polars, revient, avec succès, en série.
Il existe un lien fort entre Alain Delon et Andrew Scott – découvert en France en prêtre sexy dans la série-phénomène Fleabag et en Jim Moriarty brillant dans Sherlock. Les deux artistes ont en commun ce que seuls deux grands comédiens peuvent partager. À plus de 60 ans d’écart, ils ont tous les deux incarné le même personnage. Une entité énigmatique qui traverse les époques, parfois discrètement, parfois en coup d’éclat.
Un homme dont on ne sait que trop peu, si ce n’est qu’il est prêt à tout. Entre le Français et le Britannique, l’Américain Matt Damon s’est, lui aussi, glissé dans l’univers interlope de ce type aussi transparent que capable d’attirer toutes les attentions sur lui. Cette toile de l’ombre tissée d’une performance à l’autre, c’est le génie névrosé et sociopathe Tom Ripley qui en déroule les fils.
Si le film de 1999, Le Talentueux Mister Ripley, avec Matt Damon et Jude Law, a marqué son époque jusqu’à devenir culte, Tom Ripley habite la pop culture depuis bien plus longtemps. En 1955, d’abord, avec la série de romans éponymes (cinq au total) de l’autrice de polars texane Patricia Highsmith, Européenne d’adoption. Puis avec des apparitions régulières à l’écran (Dennis Hopper dans un film de Wim Wenders en 1977, John Malkovich en 2002 dans un autre de Liliana Cavani, et Barry Pepper en 2005 chez Roger Spottiswoode), plus ou moins célèbres, jusqu’à s’installer en 2024 dans le catalogue Netflix, avec la série sobrement et mystérieusement intitulée Ripley.
Obsession maladive
Est-il seulement possible de dire qui est Tom Ripley ? D’où vient-il ? Ce n’est pas la bonne question. Celle qu’il est nécessaire de se poser, c’est : où va-t-il ? Soit un jeune homme pour le moins désargenté à New York dans les années 1950-1960. Cultivé comme peu de ses congénères, il survit de petites arnaques sans envergure. Jusqu’à être approché par un riche constructeur de bateaux dont le fils, Dickie Greenleaf, mène la dolce vita loin de ses obligations, en Italie.
Tom Ripley qui, d’une mystification à l’autre, aurait connu le jeune oisif, est missionné, financement à l’appui, pour aller le chercher et le ramener aux États-Unis. La belle affaire ! Ripley débarque dans le sud de l’Italie et, facilement, s’intègre à la vie bohème de Dickie et de Marge, sa compagne, jusqu’à en nourrir une obsession maladive. Il veut Dickie. Mais surtout sa vie faite de faste. Quoi qu’il en coûte.
Scénariste de génie
Quand pour Le Talentueux Mister Ripley, avec Matt Damon, Jude Law et Gwyneth Paltrow, le réalisateur Anthony Minghella faisait le choix d’un environnement élégant et vintage, ensoleillé et léger – non sans la tension et la violence originelles du thriller –, il s’appuyait peut-être plus sur Plein Soleil, l’adaptation de René Clément en 1960 avec Alain Delon et Marie Laforêt, que sur le roman de Patricia Highsmith.
La création de Netflix reprend la noirceur de l’ouvrage jusqu’à en transposer la couleur à l’écran, dans un noir et blanc sombre, et à en utiliser plus de détails. C’est bien le propre d’une série, la possibilité d’étirer la temporalité, de jouer le temps long.
Au scénario et derrière la caméra, un habitué de la complexité, du mystère, de l’obscurité, du sang : Steven Zaillian, l’auteur-réalisateur de l’excellente minisérie The Night Of et le scénariste de La Liste de Schindler, Hannibal, Gangs of New York, American Gangster, The Girl With the Dragon Tattoo, Le Stratège, The Irishman… Entre autres. Il dirige avec virtuosité un Andrew Scott magnifique de mystère, ni jeune, ni vieux, ni homo, ni hétéro (l’admiration de Ripley pour Greenleaf relève souvent de l’attirance sexuelle), tout à fait louche et infiniment manipulateur.
Johnny Flynn (Love Sick), fou d’arrogance, et Dakota Fanning (Once Upon a Time in Holywood, Ocean’s 8…) reprennent les rôles emblématiques de Dickie et Marge, en lieu et place de Jude Law et Gwyneth Paltrow. Le splendide trio nous entraîne dans les affres sanglantes de l’envie, de l’obsession, de l’emprise, de la manipulation. La mystification, une fois de plus, a fait de nous des victimes, ravies d’avoir été mystifiées par ce fascinant personnage intemporel.