En constante évolution, le jeu vidéo est entré depuis peu dans une nouvelle ère : celle de la blockchain, des NFT et du play-to-earn.
Il suffit de replonger dans les vieilles boîtes et les cartouches de jeux des aînés pour se rendre compte à quel point le jeu vidéo a évolué au fil des décennies. Longtemps réservé aux geeks et parfois encore considéré par ses détracteurs comme un loisir néfaste pour la santé et la sociabilité, le jeu vidéo a acquis ses lettres de noblesse au sein de la culture, jusqu’à être promu au rang de dixième art. En France on compte 58 % de joueurs réguliers, contre 52 % en 2020, avec 53 % de joueurs et 47 % de joueuses (plus de 19 millions), indique le dernier rapport du syndicat des éditeurs de logiciels et loisirs (SELL).
Accessible depuis plusieurs années déjà en version dématérialisée, le jeu vidéo est un medium qui permet de connecter le monde entier, de le rassembler, de générer aussi de nouveaux métiers, de nouveaux business. Sa pratique à haut niveau est désormais assimilée à un sport (e-sport), pour lequel des équipes s’entraînent durement avant d’intégrer des compétitions où il est possible d’empocher des sommes conséquentes. L’univers du gaming suit logiquement les tendances liées aux évolutions numériques et au développement de nouvelles technologies. Et à une époque où le virtuel s’impose de plus en plus dans le réel, le cryptogaming fait de plus en plus d’émules.
Quand le jeu est synonyme de récompense
Le cryptogaming, c’est un jeu qui mêle jeu vidéo et cryptomonnaies, les joueurs étant récompensés en cryptomonnaie ou en NFT (Non Fongible Token) émis sur la blockchain. Les compétences et le temps que le joueur va investir dans le jeu déterminent ses chances d’obtenir des gains. Pour résumer : plus il joue, plus il augmente ses chances de gagner des cryptomonnaies. Un mode de fonctionnement qui, au premier abord, n’est pas sans rappeler les jeux Flash des années 2000, célèbres pour leurs publicités dans lesquelles plusieurs personnes expliqueraient qu’elles avaient gagné une belle somme d’argent « juste en jouant à des jeux vidéo ».
Le play to earn est un concept de gameplay permettant de récompenser les joueurs pour leurs efforts investis dans le jeu. Les gains peuvent être versés en argent réel, mais la tendance des rémunérations en cryptomonnaies, tokens ou NFT, s’accélère. Ils peuvent prendre la forme de monnaie in-game ou d’équipements obtenus à la fin d’une quête. Contrairement aux jeux pay-to-win traditionnels, qui poussent certains à dépenser du « véritable » argent pour avoir un avantage sur d’autres joueurs, ceux basés sur les blockchains et les NFT établissent un certain équilibre. L’idée est d’investir un certain montant au départ dans l’optique de gagner plus par la suite.
Sport, simulation ou RPG : les propositions sont variées
À l’image du free-to-play, qui concernait des jeux simplistes avant l’arrivée de mastodontes tels que Fortnite (désormais interdit en Chine) ou Warzone, les jeux play-to-earn ont énormément évolué, à tel point que les graphismes ou le gameplay sont aussi poussés que des jeux AAA. À l’image d’Axie Infinity, nouveau concurrent de Pokémon, où le but est d’élever et faire combattre des monstres, que l’on peut ensuite revendre contre de la monnaie numérique, de plus en plus de studios se laissent tenter par l’aventure. Dans l’univers des jeux vidéo, Axie Infinity a pris une place conséquente ces derniers mois, mais il existe de nombreux projets qui valent le détour, du RPG au jeu d’aventure, en passant par le trading card game.
Dans cette dernière catégorie, impossible de ne pas évoquer Sorare, dont le but est de collectionner des vignettes numériques de véritables joueurs de football dans le but de composer la meilleure équipe et d’affronter les joueurs du monde entier. Un titre de plus en plus populaire, notamment parce que les cartes sont sous licence officielle, à tel point que la start-up Sorare a levé le mois dernier 680 millions de dollars de fonds, ce qui constitue un record pour le secteur de la tech en France. Lancé en 2019, ce jeu de Panini numérique ne cesse d’attirer, poussant même certains à dépenser plus de 2 000 euros pour obtenir la carte virtuelle d’un joueur. Le 14 mars dernier, la carte unique de Cristiano Ronaldo, superstar du football, s’est par exemple vendue pour l’équivalent de 290 000 dollars, un record dans l’histoire du jeu et du cryptogaming en général.
2021, explosion des jeux basés sur la blockchain
Selon CoinMarketCap, une entreprise qui regroupe toutes les informations relatives au marché des cryptomonnaies (cours en temps réels, volumes, informations), il existe aujourd’hui plus de 160 cryptomonnaies liées à des jeux. D’un point de vue financier, la capitalisation boursière totale de ces cryptomonnaies atteint environ 13 milliards de dollars, là où elle n’était « que » de 7,9 milliards de dollars fin juillet. Autre chiffre clé révélateur de cette envolée du cryptogaming : 24 entreprises développant des jeux basés sur la blockchain ont levé 476 millions de dollars au cours du premier semestre 2021. C’est ce que relève l’étude Gaming Deals Activity Report H1’2021 publiée en août dernier par la société InvestGame. L’attrait du public pour le cryptogaming a connu un véritable essor avec les différents confinements. Selon Craig Russo, directeur de l’innovation et de l’investissement au sein de la start-up Polyient Games, 10,5 milliards de dollars ont été dépensés en avril 2020 par les gamers américains, un record pour les jeux pratiqués à domicile. Et le progressif retour à une vie normale n’a rien changé. Au contraire ! Sur le seul mois de juillet 2021, Axie Infinity a enregistré pas moins de 600 millions de dollars de transactions. Un mois historique pour le jeu, qui est par ailleurs devenu la collection NFT la plus chère de tous les temps, avec un volume de transactions de plus d’un milliard de dollars.
Du côté des joueurs, l’intérêt pour le cryptogaming est grandissant. Quel gamer un tant soit peu piqué n’a pas un jour rêvé d’être payé pour s’adonner à sa passion ? Il n’y a pas si longtemps, seuls les professionnels d’e-sport pouvaient espérer monétiser considérablement leur temps et leur niveau de jeu. Désormais, avec l’accélération du développement de jeux basés sur la cryptomonnaie, même les amateurs peuvent tenter leur chance. Avec la crise liée au Covid-19, de nombreuses personnes ayant subi une forte baisse de leurs revenus se sont essayées au play-to-earn pour arrondir leurs fins de mois. Comme il l’explique dans un entretien pour Le Télégramme, Jordan, alias jobznt23, a investi 6 500 euros entre mai et octobre 2020 sur Sorare pour parvenir, à la revente, à faire 18 000 euros net de bénéfice.
Les géants du gaming aux aguets
Pour la plupart des joueurs et observateurs, les NFT devraient rester l’élément clé des jeux crypto pendant un certain temps, ne serait-ce que parce que n’importe quel élément de jeu, zone ou personnage, peut être programmé en tant que jeton non fongible. Selon Sebastien Borget, cofondateur du jeu The Sandbox (un monde virtuel dans lequel les créateurs peuvent concevoir des jeux et les monétiser à l’aide de la blockchain Ethereum), « les technologies blockchain ont créé de nouvelles opportunités pour les utilisateurs et, au début des jeux NFT, certains studios ont vu le potentiel d’une économie véritablement détenue par ses joueurs ». Dans cette interview accordée à Daily Coin, il expliquait que tout le contenu, l’économie et même la gouvernance du jeu ou du monde virtuel étaient maintenant entre les mains des joueurs, des créateurs et des utilisateurs qui contribuent à ces jeux. Un changement notable scruté par les gros éditeurs de jeux, forcément.
Pour des questions juridiques, notamment, beaucoup d’éditeurs de jeux vidéo traditionnels hésitent encore à intégrer ce récent modèle. Le pay-to-win, que l’on retrouve par exemple sur FIFA ou Call of Duty, reste encore très privilégié par les grands éditeurs tels qu’Electronic Arts ou Activision. Une démarche évidemment motivée par des raisons économiques, qui peut aussi être vue comme une opportunité d’expérimenter et de monter en compétences en attendant un cadre juridique plus stable. Il y a quelques semaines, Valve a pris position en décidant de bloquer tous les jeux NFT et blockchain sur Steam, tandis que le PDG d’Epic Games, Tim Sweeney, déclarait qu’une inclusion était tout à fait possible dans l’Epic Games Store, à condition de respecter certaines règles et restrictions.
Déjà implantée dans le monde de la musique, la cryptomonnaie est donc en train de se tailler une place de choix dans celui du gaming, un univers qui rapporte bien plus que le cinéma. Au sein d’une industrie en constante évolution, le cryptogaming pourrait bien s’installer durablement dans le paysage vidéoludique. Dans le dernier rapport commandé par l’organisation Blockchain Gaming Alliance, on apprend ainsi que le monde du jeu représentait 55 % de l’activité totale de l’industrie de la blockchain, rien que sur le mois d’octobre 2021. Un chiffre qui en dit long sur la puissance de frappe de cette technologie. Responsable des finances et de la recherche chez DappRadar, Modesta Masoit va même plus loin dans le communiqué de presse du rapport en affirmant que 2022 peut déjà être attendue comme « l’année des jeux blockchain ».