Entretien

Morgane Soulier : “Le métavers n’est absolument pas mort”

17 février 2024
Par Kesso Diallo
Morgane Soulier : “Le métavers n’est absolument pas mort”
©DR

Chroniqueuse et consultante, Morgane Soulier vient de publier Métaverse, comprendre le monde qui vient. Co-écrit avec l’auteur et conférencier Michel Lévy-Provençal, ce livre retrace l’histoire et la généalogie du métavers et offre des perspectives et projections jusqu’à 2050.

C’est quoi le métavers aujourd’hui ?

C’est très difficile de donner une définition d’un mot qui, il y a presque deux ans maintenant, n’était pas dans le dictionnaire. On peut parler du métavers comme, à mon sens, le futur de l’Internet. On dit que, tous les 10 à 15 ans, il y a une évolution de l’Internet que l’on connaît au moment où on en parle. Il y a eu le début des années 1990 avec l’Internet statique, les premiers accès, notamment à des moteurs de recherche. À ce moment-là, en tant qu’internautes, on n’avait pas la possibilité de créer du contenu, on ne faisait qu’accéder à du contenu. Puis, au début des années 2000-2010, il y a eu l’émergence des réseaux sociaux. Depuis, en tant qu’internautes, on peut créer du contenu, le mettre en ligne, interagir avec et commenter.

« Contrairement à ce que dit la presse et à ce que l’on pense, le métavers n’est absolument pas mort. Il n’est peut-être pas encore totalement mature techniquement. »

Morgane Soulier

Il y a maintenant ce qu’on appelle le Web3 avec tout un tas de nouvelles possibilités d’interactions. Le métavers arrive vraiment à ce moment-là avec l’évolution de la façon dont on crée, on se sert, on accède à Internet. Là, le nouveau shift, le changement de paradigme, c’est qu’on n’est plus vers un Internet en deux dimensions où on est derrière notre écran. On est dans un Internet où on peut consommer et créer du contenu en étant nous-mêmes dans l’écran. La virtualisation de nos contenus, de la façon dont on les consomme, dont on y accède, mais aussi de nos interactions en est le premier élément.

Pour le moment, c’est encore très difficile de donner une définition vraiment tangible et définitive du métavers. Pour moi, c’est comme si on essayait de donner une définition d’Internet. C’est quelque chose qui est mouvant, qui continue à évoluer au fil du temps. Aujourd’hui, je parlerais d’un ensemble de mondes virtuels : de la même façon qu’il y a plusieurs sites Internet, il y a différents métavers. Cet ensemble va nous permettre, via nos avatars, d’interagir, de travailler, de bouger, de rencontrer du monde, de consommer, d’acheter des choses, de participer à des concerts. Ce sont des mondes qui vont être indépendants, peut-être même économiquement, à terme. En tout cas, ils vont nous permettre de vivre des expériences assez riches d’un point de vue émotionnel, mais aussi, un jour, d’un point de vue sensoriel.

Vous publiez ce livre à un moment où le métavers a été éclipsé par l’intelligence artificielle…

J’ai commencé à l’écrire après avoir rédigé un mémoire dans le cadre de recherches pour Sciences Po Paris. Le métavers n’a été éclipsé par l’intelligence artificielle que dans les centres d’intérêt du grand public. 

Il faut bien avoir en tête qu’on a commencé à parler de métavers fin 2021, quand Mark Zuckerberg a opéré le rebranding de son entreprise Facebook en Meta. S’il l’a fait à ce moment-là, c’est parce qu’il y avait beaucoup de polémiques sur la responsabilité de Facebook dans pas mal de scandales, notamment début 2021 avec l’assaut du Capitole et le reproche fait à Facebook de ne pas avoir su modérer des contenus d’incitation à la haine, à la violence. Mark Zuckerberg a donc opéré un rebranding en disant que Facebook n’était pas qu’un réseau social et a voulu montrer qu’il y avait d’autres activités sur lesquelles il était en train de travailler.

« Il va y avoir une hybridation des sujets de l’intelligence artificielle et du métavers et c’est là que le métavers prendra tout son sens. »

Morgane Soulier

Contrairement à ce que dit la presse et à ce que l’on pense, le métavers n’est absolument pas mort. Il n’est peut-être pas encore totalement mature techniquement. Beaucoup d’entreprises travaillent à l’évolution des outils techniques qui vont nous permettre à nous, internautes, consommateurs, de virtualiser de plus en plus nos interactions. En atteste la sortie le 2 février du premier casque de réalité augmentée d’Apple, l’Apple Vision Pro, qui nous mène petit à petit à une démocratisation de ces usages virtuels.

Pensez-vous que le métavers et l’IA sont indissociables, comme Mark Zuckerberg ?

Absolument ! Parce que le métavers sera quelque chose de personnalisé. Quand on parle de personnalisation, on parle évidemment d’algorithmes, d’intelligence artificielle. Dans le livre, l’économiste Nicolas Bouzou le dit à juste titre. En fait, il va y avoir une hybridation des sujets de l’intelligence artificielle et du métavers, et c’est là que le métavers prendra tout son sens.

Dans votre livre, vous proposez quatre scénarios par rapport au métavers. Lequel vous semble le plus plausible ?

À mon sens, il faut vraiment garder en tête que déjà, le métavers est l’évolution de nos interactions sur Internet, sur les réseaux sociaux, sur la virtualisation, de façon lente. Je ne suis pas du tout favorable à un scénario catastrophe où l’intelligence artificielle ou les robots vont prendre le pas sur toutes nos interactions. 

Les êtres humains ont des instincts, des comportements et des besoins fondamentaux qui leur sont propres, tels que la socialisation, l’alimentation, le sommeil. Ces aspects vitaux de l’existence humaine ne peuvent, à mon avis, être pleinement remplacés ou reproduits par les robots, l’IA ou les mondes virtuels. Je suis assez optimiste à l’idée que certains points de repères fondamentaux de nos vies perdureront et que nous, êtres humains, conserverons ces moments de rassemblement. 

Le scénario le plus plausible n’est peut-être même pas dans le livre, mais c’est un scénario où on va avoir un équilibre dans nos interactions et où, tout comme aujourd’hui en fait quand vous voulez faire un achat quel qu’il soit, vous avez quatre options : aller en magasin, faire votre achat et ramener le produit à la maison ; aller sur Internet, faire votre achat et vous le faire livrer ; aller sur Internet, vous renseigner, aller en magasin pour acheter le produit choisi ; et aller en magasin, vous renseigner, puis revenir à la maison, faire un comparatif de prix, l’acheter sur Internet et vous le faire livrer.

« Un impératif pour chacun, pour le citoyen, pour le chef d’entreprise, pour le collaborateur, pour le salarié, pour tout le monde, est effectivement de se préparer dès aujourd’hui à cette révolution qui est en train d’arriver. »

Morgane Soulier

Finalement, on se rend bien compte que tous, dans notre vie au quotidien et dans nos façons de consommer, on fait l’un ou l’autre des scénarios en fonction de là où on est, du moment de vie, de nos besoins et du produit.

C’est exactement ce qui va se passer dans notre rapport à Internet : en fonction de nos envies, de nos besoins au moment du type d’activité qu’on aura à faire, on va faire du pick and choose, on va utiliser l’une ou l’autre des technologies pour accéder au besoin. Les scénarios que le métavers dessine sont les scénarios dans lesquels nous, êtres humains, allons choisir la technologie la plus pertinente à utiliser pour le besoin du moment.

Jumeaux numériques, Web3… Comment se préparer à ces changements technologiques ?

Beaucoup d’entreprises se sont déjà emparées des sujets de jumeaux numériques, d’assistants virtuels, de tous ces sujets qui sont prégnants. Un impératif pour chacun, pour le citoyen, pour le chef d’entreprise, pour le collaborateur, pour le salarié, pour tout le monde, est effectivement de se préparer dès aujourd’hui à cette révolution qui est en train d’arriver. Le premier conseil, c’est de s’acculturer, c’est-à-dire d’essayer de comprendre, de façon très pédagogique, avec des mots très simples ce qui est en train d’arriver et comment on en est arrivé là.

Si vous êtes chef d’entreprise, il faut embarquer ses ressources internes, il faut embarquer l’équipe de direction. C’est un travail de pédagogie qui est absolument nécessaire. En entreprise, il faut allouer les ressources compétentes et pas que des technophiles. Ce sont des sujets qui concernent à la fois des technophiles et nous en tant que consommateurs, il faut embarquer des équipes de marketing, de communication, de ressources humaines, d’innovation. On est tous concernés.

Ensuite, il faut tester les expériences, tester les casques de réalité virtuelle ou augmentée. Facebook a prévu d’ouvrir des boutiques, des Facebook Stores qui permettront de tester les casques de réalité virtuelle. Apple dans les Stores permet d’avoir accès facilement aux Vision Pro. Plusieurs outils de type ChatGPT ou Midjourney offrent également des périodes d’essai gratuit.

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Enfin, il faut faire une veille régulière, s’informer et se tenir à jour continuellement sur les dernières avancées, innovations et tendances dans le domaine de la technologie, et plus spécifiquement dans les domaines de la réalité virtuelle, de la réalité augmentée et des outils d’intelligence artificielle. Cela implique de suivre activement les nouvelles recherches, les publications, les lancements de produits, ainsi que d’expérimenter directement avec ces technologies pour comprendre leurs capacités, leurs mises à jour et comment elles peuvent être appliquées ou intégrées dans différents contextes ou industries.

Pour bien rester informé et ne pas être dépassé par les nouvelles technologies, dont l’évolution est fulgurante, et surtout pour se forger sa propre opinion, il semble crucial de tester les outils, de les challenger.

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Article rédigé par
Kesso Diallo
Kesso Diallo
Journaliste