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Avatars : quels sont les risques de ce “dédoublement du Moi” dans le métavers ?

16 avril 2022
Par Kesso Diallo
Les avatars permettent d’avoir une identité différente dans les mondes virtuels.
Les avatars permettent d’avoir une identité différente dans les mondes virtuels. ©Flabygasted/Shutterstock

Ces représentations numériques, parce qu’elles permettent aux individus de jouer avec leur identité, peuvent se révéler problématiques.

Concept encore flou et lointain, le métavers est souvent défini comme un univers parallèle fait de mondes virtuels. Les entreprises, comme Meta ou Microsoft, sont nombreuses à investir dans leur construction. Leurs utilisateurs – qui pourront s’y divertir, travailler et socialiser – seront représentés par des avatars, leur identité virtuelle, plus ou moins proche de leur identité propre. La création de cette représentation numérique est d’ailleurs l’une des premières tâches que doivent réaliser les personnes qui entrent dans un monde virtuel.

Un avatar peut avoir une apparence fidèle à l’utilisateur ou être totalement différent. Dans le métavers, les personnes sont non seulement susceptibles de se présenter sous une autre forme, mais aussi d’adopter un autre comportement.

L’avatar, un moyen de jouer avec son identité

Pour comprendre ces représentations, mais aussi imaginer les futures attitudes dans cet univers de mondes numériques, l’entreprise française Webedia, spécialisée dans les médias en ligne, a mené une étude auprès de personnes âgées de 18 à 34 ans. Elle a pu appréhender le sujet grâce au jeu vidéo en tant que monde alternatif virtuel. De son observation ressort que l’avatar correspond à un « dédoublement du Moi », dans lequel on retrouve notamment les désirs du joueur. C’est un terrain d’expression et d’affirmation de soi.

Selon Michael Stora, psychologue et psychanalyste ayant cofondé l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines, les individus peuvent se servir de cette représentation numérique pour incarner une autre personne qu’ils n’ont pas l’habitude d’être : « Au fond, l’incarnation de l’avatar est souvent, en effet, une forme de mise en scène d’un soi qui n’est pas toujours assumé. Nous avons tous en nous, parfois, un masque que nous portons socialement, mais le masque que nous présentons souvent dans les espaces virtuels vient témoigner de quelque chose en soi qui, parfois, n’est pas toujours accepté. Par exemple, si vous êtes quelqu’un d’inhibé et de timide dans la vie, votre avatar pourra être complètement extraverti. »

Il estime que cette identité virtuelle est susceptible d’être une forme de trahison du soi social, mais aussi de travestissement et de capacité à pouvoir mettre en scène ce qu’une personne n’ose pas être d’habitude.

« La question de l’éthique et de l’empathie sont au cœur des mondes virtuels. »

Michael Stora
Psychologue

C’est l’un des avantages de l’avatar : il permet de jouer avec son identité. Cependant, cela peut se révéler dangereux, en particulier dans le cadre de l’addiction. Pour le psychologue, l’addiction est une forme d’évitement du Moi réel pour n’être, avant tout, que le Moi virtuel. Il est donc possible que le Moi numérique l’emporte sur le Moi réel de telle sorte qu’un individu n’ose plus être, agir et être entendu dans le vrai monde.

Un problème déjà observé avec les influenceurs sur les réseaux sociaux comme Instagram : « Ils sont finalement des avatars qui ont un Moi virtuel hypertrophié avec un modèle économique derrière, au détriment, parfois, du Moi réel. Cette sorte de faux self peut entraîner une pathologie qui s’apparente à une forme de burn-out. À force de n’être qu’un Moi idéalisé et virtuel, notre Moi réel n’a plus le droit d’exister, mais on ne peut évidemment pas éviter éternellement ce que l’on est dans la réalité. »

Comment avoir de l’empathie face à des avatars ?

Autre danger avec les avatars : dans les mondes virtuels, ils sont le seul moyen – outre le son de la voix – de percevoir l’utilisateur. Autrement dit, si cette représentation numérique permet d’être ce qu’on n’ose pas être, elle peut également servir à dire ce qu’on n’ose pas dire, parfois pour le pire. Une personne pourrait émettre des propos racistes ou haineux parce qu’elle peut se cacher derrière son avatar, mais aussi parce qu’elle perçoit l’autre uniquement de manière virtuelle. « La question de l’éthique et de l’empathie sont au cœur des mondes virtuels : même avant ce qu’on va voir advenir des métavers, on voit bien à quel point la relation virtuelle peut être nocive et terriblement agressive. Il est évident que la réflexion sur ces mondes-là, c’est de trouver des ressorts de design, de mises en scène technologiques qui permettraient de réenvisager l’autre avatar comme quelqu’un qui a aussi une capacité à être et qui n’est pas simplement une chose que l’on peut manipuler ou détruire », indique Michael Stora.

Lors de cette conférence sur le métavers, le psychologue a proposé une solution « un peu délirante » pour lutter contre le racisme et le sexisme : une forme de peine symbolique consistant à forcer un utilisateur à incarner l’avatar de la personne à qui il a causé du tort pendant une certaine période pour qu’il prenne conscience de la violence de son acte. Dans le cas du racisme, il s’agirait d’obliger un avatar blanc à incarner un avatar noir pendant un ou deux mois.

La question du temps est en effet importante pour susciter de l’empathie : « En général, il y a l’idée que c’est avec le temps que les choses, dans les processus émotionnels, existent. Ce n’est pas parce que vous y allez pendant une heure que vous allez véritablement ressentir des émotions propres à votre incarnation d’un avatar », déclare le psychanalyste.

Alors que la réalité virtuelle est vue comme un moyen de retrouver de l’empathie, il ne faut pas que ces expériences soient de courte durée. Pour Michael Stora, un mois ou deux serait nécessaire afin de ressentir ou imaginer ce que ça serait de vivre le racisme, par exemple.

Le besoin de règles face aux dérives des avatars

Si le métavers est en cours de construction, d’autres problèmes sociaux sont déjà présents dans ses premières itérations. Depuis février, Meta propose une fonctionnalité pour protéger les utilisateurs face au harcèlement sur ses plateformes de réalité virtuelle. Nommée Personal Boundary, il s’agit d’une frontière personnelle empêchant les avatars de s’approcher de trop près les uns des autres. Cette fonctionnalité a été introduite dans un contexte où deux femmes ont affirmé avoir été harcelées sexuellement par des avatars dans les espaces virtuels de Meta.

Alors que ce genre de comportement est puni dans le monde réel, ce n’est pas encore le cas dans le métavers. Des règles sont en effet à inventer pour ces mondes numériques. Les Français y sont d’ailleurs favorables : selon un sondage de l’Ifop, ils sont 47 % à être pour l’instauration des mêmes règles dans les mondes virtuels que dans le monde réel par les États.

D’après Michael Stora, il s’agit d’un véritable enjeu de société : « Internet est construit sur un diktat plutôt enthousiasmant qui était celui de la liberté d’expression, un espace où il est possible de tout dire, tout montrer et, enfin, pouvoir rompre avec une forme d’hypocrisie sociale et peut-être de société répressive. On s’est très vite rendu compte des dérives puisque, finalement, c’est à travers des cadres de lois spécifiques que, par exemple, les propos racistes sont punis. »

Outre le besoin d’un arsenal juridique proche du monde réel dans les espaces virtuels, il estime que l’enjeu du futur sera la modération : « On peut totalement imaginer que dans les métavers il y ait une modération qui soit vraiment à la hauteur, chose qui devrait déjà exister dans les grands réseaux sociaux. C’est-à-dire, tout simplement, une force comme les forces de l’ordre ou comme Police Secours, des personnes pour faire respecter la loi et, pourquoi pas, infliger des peines comme des bannissements. »

Au-delà des avatars, le psychologue – ayant commencé par travailler sur le jeu vidéo avec l’Observatoire et s’étant intéressé aux réseaux sociaux – craint que Meta cherche à reproduire son modèle économique et philosophique sur le métavers, à savoir celui de la performance, de la réussite ou encore de la beauté à tout prix. Il trouve aussi inquiétant que la réflexion sur cet univers porte, pour le moment, principalement sur la manière de gagner beaucoup d’argent étant donné que ce sont les « business men » qui y ont le plus investi. En plus des entreprises cherchant à développer le métavers, ces mondes virtuels attirent particulièrement les marques, qui sont nombreuses à vouloir proposer leurs produits aux utilisateurs. La question des règles n’est ainsi pas abordée alors que le besoin commence à s’en faire ressentir.

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Article rédigé par
Kesso Diallo
Kesso Diallo
Journaliste