Décryptage

Nativité, sapin et cadeaux : comment Noël est-il représenté dans l’art ?

21 décembre 2023
Par Zoe Terouinard
Gustave Doré, “La Nuit de Noël”, encre noire et gouache, non daté, 75x51,5cm, Paris.
Gustave Doré, “La Nuit de Noël”, encre noire et gouache, non daté, 75x51,5cm, Paris. ©Musée d'Orsay

Votre sapin est décoré, vos cadeaux sont emballés et votre dîner est (presque) préparé : pas de doute, Noël arrive ! Alors que les cases de votre calendrier de l’avent se vident, L’Eclaireur vous propose une petite gourmandise supplémentaire et fait le plein d’anecd’hottes pour un voyage hivernal dans l’histoire de l’art.

De la nativité aux symboles capitalistes, de la tradition à la création, les artistes s’emparent depuis de nombreuses années du thème de Noël, que ce soit pour célébrer ses valeurs ou pour, au contraire, en critiquer le fond et la forme. Retour sur un sujet presque universel qui traverse les années sans prendre une ride.

Il est né le divin enfant

L’histoire commence très tôt, bien avant le gros bonhomme rouge de Coca-Cola. Avant de décliner les symboles du réveillon en peinture, les artistes explorent d’abord le thème de la Nativité. Si les plus anciennes représentations paléochrétiennes de ce sujet biblique datent du milieu du IIe siècle, elles se multiplient surtout aux IVe et Ve siècles. Le plus vieil exemple connu est sans doute la scène d’Adoration des mages trouvée dans la catacombe de Priscille, à Rome, datée du IIIe siècle. Dès le Moyen-Âge, puis au Quattrocento, ce sujet prend une toute nouvelle dimension et se décline sous le coup de pinceau de grands maîtres de la peinture.

On en trouve de très belles représentations dans les Très Riches Heures du duc de Berry (1411-1416), dans des œuvres de Botticelli, de Charles Le Brun, du Caravage, ou encore de Robert Campin. Elles sont d’ailleurs toutes presque aussi populaires que les scènes de crucifixion. Pour les artistes, l’exploitation d’un tel thème est aussi l’occasion de s’approprier une iconographie extrêmement rebattue et d’en faire un objet de génie.

La Nativité du Christ de Giotto di Bondone (1267-1337), Scène n°17 de la fresque de la chapelle des Scrovegni, Padoue.

En bref, en représentant la Nativité, chacun tente de tutoyer les étoiles et de réaliser la scène la plus marquante. Un premier exemple de compétitivité que Giotto di Bodone semble avoir remporté avec sa Nativité de Jésus (1303-1305), fresque faisant partie des « Histoires de Jésus » qui décorent la chapelle Scrovegni à Padoue, en Italie. Devenue un point de référence pour tous les artistes des générations suivantes, cette œuvre se détache presque du contexte religieux, par la représentation des émotions notamment. On y voit une famille avant tout, et cette fresque contribuera à faire passer la Nativité de la sphère chrétienne à la sphère profane.

Rapidement, le Divin Enfant devient simplement un enfant. Dès le début du XXe siècle, Marc Chagall remplace la Nativité par La Naissance (1901). L’usage des couleurs et des formes – notamment l’ouverture du rideau rouge – renvoie à l’utérus maternel et désacralise la mise au monde de Jésus, qui n’est ici qu’un nouveau-né comme les autres.

Du côté des surréalistes, Salvador Dalí en tête de file, le thème de la Nativité devient l’occasion de réfléchir aux royaumes de l’au-delà. Dans La Madone de Port Lligat (1950), Dalí représente Marie sous les traits de sa femme et muse Gala, qui flotte dans un nuage de symboles, le petit Jésus devant elle, un morceau de pain à la place de son abdomen. Ceci est littéralement son corps.

Dans la photographie contemporaine, la Nativité est également l’occasion de créer des scènes de groupe, s’éloignant du caractère religieux des premières représentations, à l’image de Nativity de David Lachapelle (2014) qui célèbre le corps noir dans un ensemble afrofuturiste sensuel et décalé.

La crèche, elle, est largement exploitée dans l’art contemporain, faisant du rassemblement de santons un véritable sujet politique. On pense notamment au travail de Prosper Legault, alors jeune diplômé de l’École des Beaux-Arts, à qui l’on confie l’installation de la fameuse crèche de l’Église Saint-Eustache en 2020. En réponse à cette thématique, le jeune plasticien réinterprète la Nativité du Christ pour mettre en lumière la situation des sans-abris, qui dorment dans des cabanes de fortune.

All I Want for Christmas… is Presents !

Pas uniquement présents pour entourer le petit Jésus dans sa crèche, les anges parcourent aussi le ciel à la recherche de petits enfants sages à gâter. Avant le père Noël et ses rennes, ce sont eux qui sont chargés d’offrir les cadeaux, du moins si l’on en croit La Nuit de Noël de Gustave Doré (1866), dans laquelle on voit une figure angélique penchée au-dessus de la cheminée, les bras chargés de présents.

Cette tradition remonte à l’Antiquité et à la coutume des étrennes, qui, en lien avec la déesse de la santé, Strena, fêtée le premier jour de l’année, voulait que la royauté romaine se fasse des cadeaux. Un rite repris par les fêtes liturgiques chrétiennes du Moyen-Âge, où les enfants sont les premiers destinataires de ces petites attentions. À partir du XVIIIe siècle, l’aristocratie, les bourgeois et les artisans font de Noël un jour sacré lié à la famille et à la générosité envers les plus jeunes. 

Gustave Doré, La Nuit de Noël, encre noire et gouache, non daté, 75 X 51,5cm, Paris.©Musée d'Orsay

Contrairement à ce que l’on croit, l’Amérique de Roosevelt n’est pas à l’origine de la forme contemporaine de la célébration familiale de Noël, avec ses cadeaux emballés sous un sapin décoré. Ce rituel apparaît en Allemagne au début du XIXe siècle, sous l’influence du pasteur germanique Friedrich Schleiermacher qui prêche que la joie de l’enfant « devrait s’exprimer non pas dans les églises autour d’éléments controversés et arrangés de la vie du Christ, mais au sein de la famille à travers l’expérience sensible de la présence divine ». Pourtant, ce sont bien les représentations américaines que nous avons en tête, et notamment celles du début du XXe siècle et de Norman Rockwell.

L’illustrateur, connu pour ses couvertures hyperréalistes du Saturday Evening Post, fait le témoignage du quotidien des États-Unis durant l’entre-deux-guerres et l’après-guerre. Dans Merry Christmas, Grandma… We Came in our New Plymouth ! (1951), une famille en tenue hivernale, les bras chargés de cadeaux, devient le symbole de la famille nucléaire des USA, modèle parfait revendiqué par les médias des années 1950.

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Bien entendu, cette tradition d’ouvrir des cadeaux permet également de critiquer l’emprise capitaliste sur les fêtes de fin d’année. Une aubaine pour les artistes qui détournent les codes de Noël pour sensibiliser aux dégâts provoqués par la surconsommation. Dans son œuvre Our Gift to Mother Nature (2013), Bordalo II détourne des poubelles de Lisbonne afin de sensibiliser aux questions écologiques et aux déchets post-Noël.

La dimension commerciale des fêtes est un thème cher aux artistes de la seconde moitié du XXe siècle, à commencer par le pape du Pop Art, Andy Warhol, qui décline la figure du père Noël – un personnage éminemment lié à la culture populaire américaine, dont l’apparence a été façonnée par une publicité pour Coca-Cola dans les années 1930 – dans sa série Myths (1981). Au même titre qu’une Marilyn Monroe ou qu’un Mickey Mouse, Santa Claus est sérigraphié comme un simple produit marchand dont les tirages peuvent se reproduire à l’infini.

Les dérives capitalistes de la fête de Noël, largement critiquées par Banksy, sont mises en lumière dans son œuvre Christ With Shopping Bags (2004), qui détourne l’iconographie de la crucifixion pour dénoncer le consumérisme effréné et les cadeaux ostentatoires qui entourent désormais la fête de Noël. 

Mon beau sapin, roi des forêts

Des cadeaux, ostentatoires ou non, qu’il faut bien mettre quelque part ! Né de la tradition germanique médiévale, le sapin est rapidement devenu l’un des symboles les plus significatifs de la période de Noël, comme en témoigne la toile Joyeux Noël du peintre danois Viggo Johansen (1891) dans laquelle on voit une famille faire la ronde autour d’un sapin illuminé.

Les décorations tiennent d’ailleurs une grande part dans l’installation d’un sapin chez soi. Si la légende veut que le théologien Martin Luther ait été le premier à illuminer un sapin chez lui, il faut savoir qu’avant, dès le XIe siècle, les décorations étaient des pommes rouges, en lien avec le péché originel et l’histoire sacrée de cette fête.

Shirazeh Houshiary, Tate Britain Christmas Trees Commission, 1993.©Tate (Marcus Leith)

En 1858, suite à une pénurie de fruits, un verrier originaire de Metz a eu l’idée de remplacer les pommes par des boules de verre coloré. Si le sapin est représenté en peinture dans le premier quart du XXe siècle, il l’est surtout pour contextualiser la période peinte et mettre en lumière (sans mauvais jeu de mots) l’enthousiasme des enfants, à l’image de Children by the Tree de l’Allemand Leopold von Kalckreuth (date inconnue), ou du Christmas Morning de Henry Mosler (1916).

Des enfants émerveillés, un sapin brillant de mille feux : une recette qui fonctionne jusqu’à l’éclatement iconoclaste des années 1920 où l’on s’éloigne de la représentation réaliste de ces symboles. L’Américain Wally Hedrick, par exemple, s’empare du célèbre arbre de Noël pour en faire une sculpture cinétique de pacotille, rompant avec la beauté statique d’un arbre parfaitement décoré. Ferrailles et câbles électriques ont même « attaqué » un visiteur de son exposition au MAM de San Francisco (1958) où était présentée l’œuvre. On est loin du beau sapin chanté par les chorales de rue ! 

Paul McCarty, Santa Claus on the Eendrachtsplein, Rotterdam.©James Linders

Peut-être est-ce ce goût du décalé qui a insufflé l’idée au musée de la Tate Britain de commissionner un artiste chaque année depuis 1988 pour réaliser un sapin de Noël installé durant un mois dans le hall principal de l’institution londonienne. On se souvient notamment de la version dépouillée de l’artiste iranienne Shirazeh Houshiary qui, en 1993, décide de retirer tous les ornements habituels de l’arbre de Noël pour se concentrer sur ses qualités naturelles.

Le sapin est présenté à l’envers, racines peintes en or contre le plafond, reflétant ainsi la lumière sur les branchages verts. Tout aussi sobre, mais bien plus controversé, le Tree de Paul McCarthy, installé place Vendôme à l’occasion de la FIAC de 2014, dont la forme épurée renvoie à celle d’un sex-toy géant. Un rapprochement dont s’est défendu le plasticien, mais qui renvoie à des travaux précédents, notamment à son immense sculpture Santa Claus With a Butt-Plug (2009) dont le nom parle de lui-même. Une histoire de l’art bouleversée par les festivités hivernales, que l’on a hâte de voir évoluer au fil des années. 

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