Dès les balbutiements du web, la volonté d’offrir des cadeaux virtuels a existé. Leur usage s’est cependant bien éloigné des premières attentes.
Un message pour la nouvelle année, un GIF animé choisi avec un soin, un mème qui illustre parfaitement votre relation… Internet permet de varier les manières de contacter et de faire sourire ses proches, de montrer que l’on pense à eux. Dès les années 1990, débuts du World Wide Web, des chercheurs et des entreprises se sont intéressées à ces usages sociaux pour créer des services qui y sont dédiés : l’envoi de cadeaux virtuels.
Cartes postales des débuts du web
Comme pour beaucoup d’avancées technologiques, les premiers cadeaux virtuels ont été inventés par des chercheurs américains. La doctorante Judith Donath, spécialisée dans l’analyse des relations sociales et du rapport à l’identité sur Internet, a créé en 1994 le premier service de cartes virtuelles : The Electric Postcard.
Comme tous les sites internet de cette époque, l’interface est plus que minimaliste, mais contient déjà l’essentiel : un ensemble de cartes pour diverses occasions comme Noël, mais aussi des photos et des œuvres de peintres célèbres comme Vincent Van Gogh, ainsi qu’un espace pour écrire le message que l’on souhaite, avec déjà la possibilité d’y ajouter des liens et des images pour peu que l’on s’y connaisse en HTML. Il y a un aspect très simple d’utilisation et purement altruiste : la plupart des cartes virtuelles sont gratuites, il suffit de taper l’adresse mail de son destinataire.
Ces sites se multiplient dans diverses langues au cours des années 1990 et 2000. En France, le leader est Dromadaire : en 2007, il détenait 90% du marché des cartes électroniques et affichait pas moins de 2,9 millions de visiteurs uniques par mois. Une dizaine d’années après The Electric Postcard, Internet a bien changé et les cartes virtuelles aussi. Finies les images fixes, en 2007, Dromadaire propose des milliers de cartes animées et de minijeux qui ont fait son succès.
Au fil des années, les usages numériques évoluent et les cartes virtuelles commencent à avoir une image plus désuète. Dromadaire résiste malgré tout : en 2018, il a tout de même compté 14 millions de visiteurs uniques. « C’était très à la mode, pendant une quinzaine d’années, de le faire en électronique parce que c’est beaucoup plus facile, mais il y avait quand même une implication, expliquait Lauris Olivier, cofondateur de Dromadaire, en 2018 pour BFMTV. Aujourd’hui, il y a un vrai désir du retour au papier. Les usages se multiplient aussi, vous avez par exemple le papier pour les grands-parents très attachés à ce support, l’électronique pour les amis et la famille éloignée, etc. » Aujourd’hui, les vidéos ont remplacé les animations Flash et le style cartoon aux couleurs criardes s’est clairement assagi pour devenir plus sobre et moins kitsch.
Il n’y a pas que l’intention qui compte
Dans les années 2000 débarquent également les premiers réseaux sociaux comme MySpace et Facebook, mais ceux-là ont les dents longues. Il ne suffit plus de faire plaisir à ses utilisateurs et à leurs proches, il faut que ça rapporte encore plus d’argent. Ils s’inspirent des proto-métavers comme Habbo ou Second Life pour vendre des cadeaux virtuels à acheter avec de l’argent bien réel. Seulement, contrairement aux jeux en ligne, les cadeaux virtuels des réseaux sociaux ne servent même pas à habiller son avatar, ce ne sont que des dessins à afficher sur son profil.
Avec la banalisation des paiements en ligne se multiplient également les cartes-cadeaux virtuelles. Facebook se lance sur ce créneau en 2012, remplaçant cœurs et images d’ours en peluche par des cartes-cadeaux Starbucks ou iTunes. Une dose de réalité qui n’aura pas le succès escompté : Facebook fermera finalement sa boutique de cadeaux en 2014.
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Recevoir des cadeaux, un business model populaire
Aujourd’hui, les cadeaux virtuels ne sont plus vraiment destinés à nos proches, mais sont plus considérés comme des pourboires à donner à nos créateurs de contenu préférés. TikTok est certainement le réseau social qui illustre le mieux ces dérives. Chez les créateurs de contenu de type NPC Lives (PNJ en direct, en référence aux personnages non jouables dans les jeux vidéo), les cadeaux virtuels sont non seulement le business model, mais aussi l’unique raison d’être de la chaîne.
Le concept : les spectateurs offrent des cadeaux virtuels et, pour chaque type de cadeau, le créateur – généralement une créatrice – exécute une interaction précise, à la manière d’un personnage de jeu vidéo à l’IA limitée, souvent sans que les spectateurs lui laissent de répit. Cette entrée d’un être humain dans la vallée de l’étrange peut être assez addictive à regarder, ce qui pousse les fans à l’achat de cadeaux allant de quelques centimes à quelques centaines d’euros. Ainsi, Pinkydoll, qui est devenue virale grâce à ce type de contenus, gagnait jusqu’à plusieurs milliers d’euros par jour.
D’autres créateurs organisent des « matchs » sur TikTok, des concours de popularité où les fans doivent envoyer le plus de cadeaux – donc d’argent – pour faire montrer leur tiktokeur préféré dans le classement. Une pratique très critiquée, puisque les jeunes utilisateurs peuvent aller jusqu’à voler la carte bancaire de leurs parents pour essayer de faire gagner leur idole et attirer son attention.
Vit-on donc une corruption du concept de cadeau virtuel ? Pas vraiment. Disons qu’il a évolué. Cela fait peut-être bien longtemps que vous avez reçu une carte virtuelle dans votre boîte mail, mais vous avez certainement dans vos conversations WhatsApp des liens vers des vidéos d’animaux mignons ou des mèmes. Des cadeaux virtuels gratuits, faciles à envoyer, personnalisés… comme un retour aux origines.