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Réseaux sociaux : les utilisateurs sont-ils prêts à payer ?

09 juillet 2022
Par Kesso Diallo
Les réseaux sociaux veulent devenir payants, mais les utilisateurs sont-ils prêts à les suivre ?
Les réseaux sociaux veulent devenir payants, mais les utilisateurs sont-ils prêts à les suivre ? ©TY Lim/Shutterstock

Snapchat, YouTube, TikTok… Les plateformes sont nombreuses à proposer ou à vouloir mettre en place des abonnements payants donnant accès à des contenus ou des fonctionnalités inédites. Les utilisateurs, eux, sont plus ou moins disposés à payer selon les avantages offerts.

À l’heure où nous payons déjà pour les plateformes de streaming, la musique ou les médias, un autre secteur se tourne de plus en plus vers les abonnements payants : celui des réseaux sociaux. Depuis le début de l’année, ils ont été nombreux à annoncer tester ou lancer ce type de formule. Instagram et TikTok se livrent actuellement à des tests permettant à certains créateurs de proposer des contenus ou des fonctionnalités exclusives aux abonnés. De son côté, Snapchat vient de lancer sa formule payante baptisée Snapchat + dans plusieurs pays – dont la France – deux semaines après la révélations de ce projet. Telegram a aussi récemment dévoilé son abonnement Premium qui offre plusieurs avantages.

Si les réseaux sociaux affirment vouloir aider les créateurs ou proposer des fonctionnalités inédites aux utilisateurs avec leurs offres, leur but derrière est évidemment de diversifier leurs sources de revenus. Étant gratuits depuis leur début, ils entendent devenir payants, mais pas pour tout le monde. Une question se pose alors : les utilisateurs sont-ils prêts à payer sur ces plateformes ?

Entre abonnements intéressants…

L’idée des abonnements payants sur les réseaux sociaux n’est pas nouvelle. Certaines plateformes en proposent depuis des années, comme YouTube. Lancé en 2014 (sous le nom de Music Key), YouTube Premium permet – pour 11,99 euros par mois – de regarder des vidéos sans publicité, en utilisant d’autres applications ou avec l’écran éteint. Avec cette formule, il est également possible de télécharger des contenus afin de pouvoir les regarder hors connexion. Le service de streaming audio YouTube Music offre aussi les mêmes avantages pour 9,99 euros par mois.

YouTube a franchi le cap de 50 millions d’abonnés avec ses formules.©FellowNeko / Shutterstock

Ces abonnements attirent les utilisateurs de YouTube : en septembre 2021, le réseau social a annoncé avoir dépassé les 50 millions d’abonnés. Ce chiffre comprend cependant les personnes qui testent ces formules avant de se décider comme le précise la plateforme dans son billet de blog. Cherchant toujours à séduire ses usagers, elle prévoit de développer de nouvelles fonctionnalités et avantages exclusifs, à l’image de l’afterparty organisé par Tim McGraw en août dernier après la sortie de son nouveau clip vidéo.

Si les utilisateurs sont prêts à payer, c’est notamment pour l’absence de publicité. Pour Will Aldrich, directeur principal de la gestion des produits au sein de la filiale de Google, il s’agit d’ailleurs d’un élément à inclure dans les abonnements pour attirer les internautes. « Je pense qu’un abonnement viable qui dure vraiment à long terme va avoir un mélange vraiment réfléchi d’absence de publicité – cet attrait universel simple, ce type de fonctionnalités pratiques », a-t-il récemment expliqué au média Protocol, ajoutant que cela est ensuite associé à « une exclusivité réfléchie ».

Directeur des études de l’agence Heaven, Emmanuel Berne considère également que la publicité peut être un vecteur d’abonnement : « Ça va dépendre de la pression publicitaire sur le moment, mais il peut y avoir un vrai ras-le-bol », affirme-t-il. Il estime même que l’idée des abonnements payants sur les réseaux sociaux vient principalement des critiques liées à la publicité, outre l’enjeu de monétisation qui se trouve véritablement derrière. « Les réseaux sociaux se sont dit que proposer un abonnement sera une réponse à la critique forte et fondamentale consistant à dire “Si vous ne payez pas, c’est que vous êtes le produit” », indique Emmanuel Berne.  

… Et formules qui peinent à séduire les utilisateurs

YouTube est l’un des seuls réseaux sociaux à proposer de payer pour se passer des publicités. Les autres plateformes préfèrent se concentrer sur des fonctionnalités différentes. Tel est le cas de Twitter avec Twitter Blue. Cet abonnement mensuel payant à 2,99 dollars par mois permet d’accéder à des fonctionnalités exclusives comme la possibilité d’annuler un tweet ou encore de lire des articles sans publicité. Depuis janvier, il est aussi possible d’afficher son NFT en photo de profil.

Twitter propose son abonnement dans quelques pays depuis 2021.©Twitter

Si les réseaux sociaux proposent ces outils, c’est parce qu’ils pensent que leurs utilisateurs ont des attentes en termes de fonctionnalités, mais sans être certain que celles-ci soient une bonne chose pour l’ensemble d’entre eux, d’après Emmanuel Berne. C’est pour cette raison qu’ils les réservent à un nombre limité d’usagers (prêts à payer). « L’exemple le plus frappant, c’est quand Twitter Blue a mis en place un dispositif pour afficher son NFT. Les gens dépensent des fortunes dans l’achat de NFT et ils sont aussi prêts à dépenser un petit peu plus pour montrer qu’ils ont ces objets numériques. C’est un moyen de se distinguer sur un réseau et ça, ça a de la valeur », indique le directeur des études.

Pour le moment, les avantages offerts par Twitter Blue ne séduisent pas grand monde. D’après des données de Sensor Tower partagées avec Protocol, cette formule est le premier achat intégré du réseau social, devant les Espaces payants. Cependant, les dépenses mondiales pour l’application mobile de Twitter n’ont atteint que 2 millions de dollars depuis septembre dernier pour une plateforme comptant… près de 230 millions d’utilisateurs quotidiens. Autre exemple : une utilisatrice du réseau social interrogée par le média a indiqué qu’il avait amélioré son expérience Twitter à certains égards, mais pas suffisamment pour que l’abonnement en vaille la peine. « Je ne vois pas de raison majeure pour moi de continuer à utiliser Twitter Blue. C’est juste une question de quand je veux annuler l’abonnement », a-t-elle déclaré.

Même si Twitter a pour objectif de « proposer une expérience suffisamment attractive avec des fonctionnalités premium pour que les utilisateurs jugent intéressant de payer un abonnement », il n’est pas encore parvenu à développer la fonctionnalité pour laquelle nombre de ses usagers seraient prêts à payer. La réponse est peut-être à trouver du côté de la publicité, mais la plateforme ne devrait pas s’en passer de sitôt : « Les publicités continuent de financer notre capacité à innover au fur et à mesure que nous développons ce nouveau volet de notre activité », précise Twitter par rapport à son abonnement, ajoutant qu’il n’est pas exempt d’annonces vu qu’il s’agit d’une « expérience accessible de manière totalement volontaire », avec des fonctionnalités initiales pensées « pour un segment spécifique d’utilisateurs engagés ».

Un abonnement nécessaire sur les réseaux sociaux professionnels

LinkedIn – étant destiné aux professionnels – n’est pas un réseau social généraliste comme Instagram ou Snapchat, mais il a lui aussi développé des formules payantes. Et, cela fonctionne bien. Selon le site Kinsta, sur les plus de 830 millions d’utilisateurs de la plateforme, 39 % payent pour un de ces abonnements. Ces offres ont, entre autres, pour but d’aider à se faire recruter, à élargir sa clientèle ou à trouver des talents. Pour Emmanuel Berne, LinkedIn a réussi à mettre en place un dispositif très efficace, en permettant de faciliter le recrutement de personnes ou encore de pouvoir les contacter. « Sur LinkedIn, il y a toute une offre d’abonnements payants et là, ça fonctionne. On les achète parce qu’on veut avoir plus de visibilité ou alors quand on est recruteur. On a besoin de ces offres », explique-t-il.

Les plateformes comme Facebook, Twitter ou TikTok, elles, n’ont pas mis au point une offre suffisante pour inciter les usagers. « De manière générale, la grande majorité des utilisateurs ne sont pas prêts à payer », affirme Emmanuel Berne. Cela est d’autant plus vrai pour les abonnements ne permettant pas de se passer des publicités, ce qui est notamment le cas avec Instagram, Snapchat et TikTok.

L’argument de la présence ou de l’absence des annonces n’est d’ailleurs pas seulement utilisé par les réseaux sociaux.  Après avoir perdu 200 000 abonnés au premier trimestre 2022, Netflix a par exemple indiqué qu’il pourrait proposer une offre moins chère et incluant des publicités. « Nous avons laissé de côté un gros segment de clientèle, à savoir les personnes qui disent : Netflix est trop cher pour moi et la publicité ne me dérange pas », avait déclaré Ted Sarandos, co-PDG de la plateforme, lors du Cannes Lions Festival en juin. Mais pour le directeur des études de l’agence Heaven, cette stratégie est un moyen pour le géant du streaming d’augmenter le tarif des abonnements payants : « Netflix va vous dire que si vous voulez rester à votre tarif actuel, il immisce un peu de publicité et si vous souhaitez garder le confort sans publicité, vous payez un peu plus cher. » La question se pose alors de savoir si et combien les utilisateurs seraient prêts à payer pour être s’épargner les publicités sur les réseaux sociaux et les autres plateformes.

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Article rédigé par
Kesso Diallo
Kesso Diallo
Journaliste