La deuxième édition de Pop & Psy pouvait compter sur des invité·e·s de prestige, dont Andréa Bescond. La comédienne, scénariste et danseuse a notamment écrit et réalisé le film césarisé Les Chatouilles, et nous a accordé une interview après sa conférence bouleversante lors du festival.
Vous animez aujourd’hui une conférence sur les violences sexuelles et les psychotraumatismes. Pourquoi était-ce important pour vous de sensibiliser le public à ce sujet ?
Pour que les personnes qui ont été victimes de ces violences puissent se reconnaître dans mes mots. Je souhaitais leur retirer la culpabilité et la solitude dont elles souffrent et leur apporter du réconfort.
Vous avez été victime de violences sexuelles durant votre enfance. Peut-on se remettre d’une telle épreuve ? Comment parvient-on à se “réparer”, comme vous le disiez durant la conférence ?
Je ne pense pas qu’on puisse être complètement “réparée” quand on subit ce genre de violences. L’événement n’est pas vraiment derrière nous. Il sera dans notre tête toute notre vie, même si on parvient à s’en libérer avec le temps. On fait avec, on fait au mieux, mais la cicatrice sera toujours là. J’essaie d’en faire une force et ce combat est passé par la danse, l’écriture et par le militantisme. Il y a plein de chemins différents pour les unes ou les uns et les autres. Tu n’es pas forcément la personne que tu aurais été si tu n’avais pas été violée, mais toutes celles et ceux qui ont subi cette expérience ont un courage et une dignité incroyables.
À partir de quel moment la thérapie est-elle devenue nécessaire ? Y a-t-il eu un déclic dans votre vie ?
J’en ai ressenti le besoin vers 30 ans, quand je suis devenue mère. Je voulais être une bonne maman, accompagner mes enfants sans les juger et sans laisser cette violence que j’avais en moi depuis l’âge de 9 ans prendre le dessus. J’avais aussi subi une forme de maltraitance physique et psychologique, et j’avais besoin de casser ce fil. Je suis allée consulter à ce moment-là et j’ai eu la chance de tomber sur le bon thérapeute qui a su trouver les bons mots. Ça m’a beaucoup aidée. J’encourage tout le monde à faire une thérapie, mais aussi à porter plainte. Je pense qu’il faut acter ce qui nous est arrivé et le “rendre à la société” pour pouvoir dire : “Voilà ce qui m’est arrivé, voilà ce qu’on m’a fait subir.”
Vous êtes danseuse, chorégraphe, comédienne, autrice, metteuse en scène, scénariste et réalisatrice. L’art est-il aussi une forme de thérapie pour vous ?
Oui, complètement. C’est un endroit où je peux déverser énormément d’émotions et de colère. Je suis animée d’une très grande colère quand je vois le manque d’action politique autour du fléau des violences. C’est difficile quand on voit le nombre de personnes qui ont mal chaque jour. Les outils artistiques me permettent de transformer cette fureur en quelque chose de beau.
Votre pièce autobiographique, Les Chatouilles ou la Danse de la colère, a été adaptée en film et a reçu un César. Comment avez-vous vécu cette expérience ? La mise en scène de cet événement très intime a-t-elle été éprouvante ou libératrice ?
Il y a eu plusieurs étapes, de la douleur à la libération. Je l’ai créée il y a dix ans et écrite il y a 12 ans, quand j’étais enceinte de mon petit garçon. Ça a été un long processus. J’étais parfois très, très malheureuse, fatiguée et en empathie avec les personnes qui me révélaient leur histoire après avoir vu le spectacle. Je suis toujours en empathie, mais là, j’avais vraiment mal physiquement, psychiquement et psychologiquement. Aujourd’hui, le fait de me dire que mes œuvres ont permis à certaines personnes d’aller mieux est un vrai pansement au cœur. Ça fait partie d’une forme de réparation. Je vais aussi mieux grâce à ça, grâce à celles et ceux qui me témoignent cette gratitude.
Pendant longtemps, vous n’avez pas dit que cette histoire était la vôtre. Comment parvient-on à avoir le courage d’écrire sur sa vie et de révéler à tout le monde que cette expérience traumatisante était la nôtre ?
Je crois qu’à un moment, on ne se pose même plus la question. L’écriture s’est imposée à moi. Au début, j’étais sûre de ne pas vouloir dire que c’était moi, mais ensuite, tout m’a rattrapée. Je me disais que je ne pouvais pas prôner la libération de la parole, encourager les victimes à parler, tout en cachant cette partie de moi. C’était un non-sens. Au début, je le cachais pour préserver mes proches, puis je n’ai plus eu le choix. Je me suis dit que c’était mon histoire et que j’avais le droit d’en parler.
Le fait d’écrire cette pièce, puis ce film, a-t-il réveillé des traumatismes ? Comment se protéger quand on retranscrit une histoire personnelle ?
J’avoue que c’était difficile de jouer la pièce six mois d’affilée, six fois par semaine, au Petit Montparnasse. Au bout d’un moment, j’avais du mal à me confronter à cette enfance et je n’en pouvais plus. Je ne dirais pas que j’en ai fait le deuil pour autant. J’en retire plein de trucs positifs, même la figure de ma mère à qui je ne parle plus depuis 12 ans. Mes enfants la connaissent par le biais du gâteau au chocolat ou du mocha. Je veux garder ce qu’il y a de meilleur sans tronquer la vérité.
Une simple histoire de famille s’inspire de l’expérience de votre arrière-arrière-grand-mère, qui a tué son mari violent. Pourquoi était-ce important pour vous de raconter ce récit ?
Ce n’est qu’un postulat de départ, car tout le reste est fictif. Cependant, l’histoire de cette arrière-arrière-grand-mère qui s’est défendue m’a passionnée. Ça me plaisait de me dire que toute ma colère et mon engagement contre les violences pouvaient venir d’elle. Je l’extrapole un peu, mais ce postulat de départ m’a beaucoup inspirée.
Les Chatouilles, Une simple histoire de famille, Quand tu seras grand… Vos œuvres ont toutes une résonance sociale et politique. Voyez-vous l’art comme un outil politique, plutôt qu’un simple divertissement ?
Oui, j’ai besoin d’un engagement social et politique dans toutes les histoires que je raconte. J’ai besoin que les lectrices, les lecteurs, les spectatrices et les spectateurs s’interrogent après avoir été confrontés à mes œuvres. J’adore le divertissement et le fait de jouer ou mettre en scène quelque chose de comique, mais j’ai vraiment envie que mes pièces, mes livres et mes films soient portés sur les causes qui sont abandonnées.
Quels livres, anime, films et musiques vous ont touchée ces derniers mois ?
Mon livre de chevet, c’est La Petite Fille sur la banquise, d’Adélaïde Bon. Récemment, j’ai vu l’anime Blue Eye Samurai sur Netflix, qui m’a énormément plu et que j’ai trouvé fascinant. Je me suis refait trois fois Omar la fraise avec Reda Kateb et Benoît Magimel, et je pense que ça va devenir un film culte dans ma famille – mes enfants sont déjà archifans. Du côté de la musique, j’écoute beaucoup Aloïse Sauvage qui a un très grand talent. C’est une jeune femme qui a une grande personnalité et un immense potentiel. Ses textes sont très intelligents et sensibles.
