Entretien

Sara Giraudeau pour Tout va bien : “Le bon sentiment existe très peu dans la vraie vie”

17 novembre 2023
Par Agathe Renac
“Tout va bien” est disponible sur Disney+ depuis le 15 novembre.
“Tout va bien” est disponible sur Disney+ depuis le 15 novembre. ©Disney+

Sara Giraudeau est un véritable caméléon. Du Bureau des légendes à Petit Paysan en passant par Tout va bien, elle s’adapte et brille dans tous les genres. On a profité de la sortie de la série Disney+ pour l’interroger sur son nouveau rôle difficile, sa manière d’appréhender les drames et de gérer les émotions.

Bouleversante, juste et drôle, Tout va bien est l’une des plus belles séries que nous avons pu voir cette année. Créée par Camille de Castelnau (Le Bureau des légendes) et incarnée par un trio féminin exceptionnel (Virginie Efira [Rien à perdre], Nicole Garcia [Le Cavaleur] et Sara Giraudeau [Le Bureau des légendes]), elle nous plonge au cœur d’une famille qui doit affronter la leucémie de Rose, 9 ans, en attente d’une greffe de moelle osseuse à l’hôpital Robert-Debré, à Paris. La maladie affecte le quotidien de chaque membre de la famille, dont Marion (Sara Giraudeau), la maman de la petite fille.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de rejoindre cette aventure ?

Tout m’a profondément plu et attiré dans ce projet. Premièrement, j’étais trop heureuse de revoir Éric Rochat et Camille de Castelnau, avec qui j’avais travaillé sur Le Bureau des légendes durant cinq ans. C’était comme une histoire d’amour : on s’est quittés, je pensais ne plus jamais collaborer avec eux, puis on s’est retrouvés pour vivre toutes ces nouvelles aventures.

C’était génial d’être à nouveau soumise à l’écriture de Camille, car elle est particulière, culottée et très tendre à la fois. Elle sort vraiment des sentiers battus et elle ne tombe jamais dans le pathos ni dans le larmoyant. Elle a une analyse beaucoup plus fine et intelligente. Avec elle, les silences veulent dire beaucoup de choses.

J’ai été très touchée par le sujet de la série, car je connaissais la nièce de Camille quand elle était malade et je l’avais vue en réanimation. Ce milieu pédiatrique me prend aux tripes depuis très longtemps, et c’est pour cette raison que je m’étais rendue à Robert Debré pour faire un documentaire sur Le Rire médecin et ses clowns qui donnent le sourire aux enfants dans les hôpitaux. Le fait de jouer la mère de Rose dans Tout va bien était donc un heureux hasard. C’est comme si la fiction et la réalité se rejoignaient. Au final, j’ai lu le scénario et j’en suis tombée amoureuse.

Tout va bien relève un défi très périlleux : parler d’un sujet très grave, sans jamais tomber dans le pathos. Quels sont ses secrets pour y parvenir ?

L’un des secrets, c’est le fait d’ajouter des éléments de fiction à la réalité. Ça apporte de l’incongru, de l’inattendu. Par exemple, une maman d’un enfant malade ne vivrait pas une histoire d’amour avec un clown qui travaille à l’hôpital. On a besoin de ces éléments pour surpasser le réel, mais tout en restant extrêmement véridiques et réalistes sur le sujet.

Ces situations profondément dramatiques sont complexes, les personnes ne sont pas constamment en train de pleurer ou de protéger les autres. Le bon sentiment existe très peu dans la vraie vie. Quand une fiction tombe dans le pathos, c’est comme si elle contournait le sujet et qu’elle n’en faisait que le commentaire.

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Pourtant, la douleur liée à la maladie d’un enfant qui est en train de mourir est une sensation extraordinaire – dans le premier sens du terme. La famille est confrontée à la normalité de la vie et ne peut pas s’en extraire, alors qu’elle vit une situation totalement anormale. Je pense que la vérité est là : dans ce moment où les deux réalités se percutent. Il donne lieu à des événements complètement burlesques, comme quand les pompes funèbres appellent Marion pour lui dire qu’ils ne peuvent pas garder le cercueil de sa fille, qui n’est toujours pas morte. La confrontation avec la vie normale est parfois surréaliste.

Dans la famille Vasseur, chacun a sa réaction : la grand-mère est dans la positive attitude permanente, la tante est dans l’action et le soin, et la mère dans le déni. Comprenez-vous la réaction de votre personnage ?

Oui. Je comprends la réaction de tous les personnages. D’ailleurs, Camille nous a dit qu’elle avait mis un peu d’elle dans chacun d’eux. La plupart du temps, les scénaristes ou réalisateurs s’identifient à un protagoniste, et donnent aux autres des éléments empruntés à leurs proches, ou à des personnes qu’ils ont côtoyées. Le choix de Camille permet aux spectateurs de se retrouver dans tout le monde. Les membres de cette famille ont des personnalités très différentes et on comprend les agissements de chacun. Il y a aussi une hiérarchie et un ordre établi très marqué : la grand-mère est dans le déni total, la tante est dans le catastrophisme et Marion est plus pudique et calme que les autres.

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Il y a cette tempête qu’elle garde à l’intérieur, mais c’est sa manière de vivre le moment présent. Elle s’est créé une sorte de jardin secret pour qu’on lui foute la paix. Je comprends cette forme de candeur ou de douceur candide qui lui permet de se protéger du monde extérieur. Ce dernier est très agressif en raison de la maladie de sa fille et de l’inquiétude de ses proches, donc elle va finir par se dédoubler pour se préserver.

D’un côté, il y a la Marion profondément meurtrie qui ne communique plus avec son entourage et n’a plus de relation avec son mec – d’ailleurs, ce point est très juste. Les parents qui vivent cette douleur ne peuvent pas la partager. C’est une espèce de bombe atomique pour les couples. Cette souffrance est tellement intense et personnelle qu’on ne peut la vivre avec les autres. C’est comme si les deux conjoints vivaient dans des mondes parallèles. Chacun est dans son petit enfer et attend que ça se termine.

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Et d’un autre côté, il y a une autre Marion qui veut vivre, garder sa jeunesse, rester une femme désirable… Elle tente de conserver une forme de liberté, malgré ce qui lui arrive. Tout le monde pense qu’elle est dans le déni, mais ce n’est pas totalement le cas. Elle a juste besoin de se sauver.

Êtes-vous plutôt du genre à affronter les malheurs en faisant de l’humour, en vous plongeant dans des to do lists interminables, en les ignorant, ou en vous laissant submerger par vos émotions ?

Je suis plutôt du genre à me laisser submerger par mes émotions, mais tout en restant dans le self-control. Je sais qu’il y aurait une émotivité très forte dans cette situation – contrairement à Marion, qui refuse de l’accueillir. Je pleurerais beaucoup, mais je ne ferais pas pour autant des crises d’angoisse, par exemple.

Comment avez-vous préparé et abordé ce rôle ? Avez-vous regardé des films, des documentaires, avez-vous échangé avec des parents qui ont connu ces tragédies ?

Il s’est préparé d’une manière assez naturelle. Je connaissais et chérissais ce sujet depuis longtemps, notamment quand j’ai travaillé sur le documentaire Mes héros. J’avais déjà fait des observations dans les hôpitaux, auprès des clowns, j’avais beaucoup pleuré et énormément appris. J’étais en relation avec les parents, avec les enfants, avec le personnel médical… Je m’étais imprégnée de ces vies et ça m’a énormément servi pour ce rôle.

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J’avais l’impression de retrouver un univers que j’avais déjà éprouvé et chéri, d’autant plus qu’on tournait dans Robert-Debré. Mon rôle de mère dans la vraie vie m’a aussi beaucoup aidée à appréhender celui de la fiction, car mes émotions du quotidien m’ont portée durant tout le projet.

Ce documentaire et le rôle difficile de Marion ont-ils eu un impact sur votre vie, dans votre manière de voir ou de ressentir les choses ?

Oui, surtout le documentaire, car il s’agissait de la “vraie vie”. Ce sujet me faisait tellement peur que j’ai enfoncé les portes de cette angoisse pour pouvoir l’éprouver et ensuite l’aborder dans ces différents projets. Cette expérience m’a permis de réaliser tout ce que la mort peut apporter à la vie. C’était l’acceptation de l’inacceptable.

Chaque tournage nous fait grandir, mais ceux avec des sujets aussi forts nous font encore plus réfléchir. On se demande ce qu’on ferait dans cette situation, on voit nos personnages comme des héros et on est fiers d’eux – si j’avais la force d’agir de Marion, je serais une super-héroïne. On essaie de comprendre pourquoi ils fonctionnent de cette manière, et leur force nous apporte beaucoup.

Dans la série, votre mère, incarnée par Nicole Garcia, ne cesse de répéter que “ça va aller”, et que “le positif attire le positif”. Êtes-vous d’accord avec ce mantra ?

Oui, mais à dose raisonnable ; pas à dose de Nicole Garcia dans la série (rires) ! J’essaie de ne pas anticiper les drames ou de ne pas trop y réfléchir. J’ai l’impression que plus on y pense, plus on les attire. Certaines personnes ont clairement plus de chances que d’autres et c’est une question de hasard, pas de positive attitude. Après, on peut plus ou moins attirer bonne fortune, mais ça nécessiterait un gros travail au niveau psychanalytique.

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J’adore ce domaine, car je pense qu’on est vraiment portés par notre inconscient. Il faut réussir à prendre du recul et ne pas interpréter les choses à la va-vite, que ce soit dans le côté très dramatique ou positif. Les deux extrêmes ne sont pas bons, il faut trouver un juste équilibre.

On l’a dit : le sujet de Tout va bien est très difficile. Pourtant, on ressent quelque chose de très solaire dans ce trio féminin que vous composez avec Virginie Efira et Nicole Garcia…

Oui, le tournage s’est très bien passé ! Il y avait des émotions très fortes étant donné le thème de la série, mais aussi une protection et une douceur envers les enfants. Le rôle de Rose était particulier à jouer pour une enfant de 9 ans. Il fallait qu’elle comprenne tout, mais sans pour autant s’inquiéter ni avoir peur du sujet. Il y avait évidemment une très bonne ambiance avec Virginie et Nicole ; elles ont des personnalités différentes, mais complémentaires dans leur énergie. La mienne est plus calme, comme Marion. On était assez proches des caractères de nos personnages, c’était joli. Toute l’équipe a fait corps d’une manière assez tendre.

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste